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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Bainville, le troisième homme | | | Olivier Dard Michel Grunewald Collectif Jacques Bainville. Profils et réceptions Peter Lang - Convergences 2010 / 47 € - 307.85 ffr. / 280 pages ISBN : 978-3-0343-0364-4 Imprimer
Après Charles Maurras et Léon Daudet, Jacques Bainville apparaît comme le troisième homme de LAction française, mouvement auquel il se rallie dès le tournant du XXe siècle. Historien, biographe, chroniqueur, Bainville fut, au travers de nombreux essais, un témoin avisé de son temps, aux inquiétudes souvent fondées en matière déchanges franco-allemands et de relations internationales.
Publier un recueil détudes à propos de cette figure méconnue ou sous-estimée comportait sa part de risque. Dans la foulée dun colloque organisé en mai 2009 à lUniversité Paul-Verlaine de Metz, Olivier Dard et Michel Grunewald ont pourtant courageusement relevé le gant. Les actes quils nous proposent sont portés par la louable intention de «contribuer à renouveler et à élargir la connaissance sur Bainville». Trois axes sont privilégiés dans ce volume : les profils du personnage, ses facettes évidentes ou plus discrètes, et les multiples avatars de son talent ; les moments forts de son itinéraire, notamment le choc de 1914 ; enfin, la réception de sa pensée, principalement en Europe, mais avec des incursions vers les États-Unis et létranger. Tour dhorizon
Guillaume Gros se penche sur une charnière indispensable à la compréhension fine de Bainville : larticulation entre lhistoriographie et le journalisme. Il montre que ce «boulimique de presse» sut se rendre indispensable à la Revue universelle ou à la Revue des deux mondes sans pour autant rechigner à signer dans des journaux à grand tirage (Candide ou Le Petit Parisien) ni mépriser «lopinion publique». Un constat qui permet à Gros une formule très juste, quand il qualifie Bainville d«historien de limmédiat».
Deux éclairages importants quant aux relations que Bainville entretint avec lAllemagne sont fournis par Michel Grunewald et Thomas Nicklas. Le premier, analysant la réception outre-Rhin de lauteur des Conséquences politiques de la paix montre en quoi ses thèses furent, dès 1920, instrumentalisées à des fins politiques, afin de nourrir une image de Bainville en nationaliste inspirateur du système de Versailles ; le second nous dépeint un jeune Bainville fasciné par la Bavière et plus encore par le roi Louis II, en qui il voyait la parfaite réconciliation du romantisme artistique et dun certain réalisme politique.
Olivier Dard, avec la précision pénétrante quon lui connaît, aborde les conceptions économiques de Bainville. Un sujet pointu, certes, mais qui nest guère envisagé avec sécheresse, plutôt avec un didactisme qui ravira (et rassurera) le profane. Dard prend dabord soin de souligner à quel point Bainville était autodidacte en la matière, ce qui lui a permis de devenir lun des tout premiers «journalistes économiques» contemporains. Tenant dune vision orthodoxe des rapports monétaires datant en somme davant la Grande Guerre, Bainville se veut plus attentif aux finances quaux structures nées avec la modernité (le corporatisme ou lentreprise, par exemple) et reste au fond un optimiste croyant aux vertus de lépargne et de léquilibre budgétaire. Il se range en général dans le camp des élites patronales défenderesses du capital mais rejoint celui des non-conformistes des années 30 quand il sagit de dénoncer limpérialisme américain et la déshumanisation du travail machinique. Dard, malgré la révérence quil tire au personnage, nhésite pas à pointer les nombreuses omissions et simplifications entachant la vision dun intellectuel qui, de son temps, fut en la matière considéré moins comme un «expert» que comme un «augure»
Yaël Dagan offre quant à lui une très convaincante analyse du retentissement queut la Guerre de 14-18 sur un homme de trente-cinq ans «mis à labri de lexpérience combattante» pour raisons de santé. Il apparaît que Bainville, qui ne fut pas meurtri dans sa chair, ne fut pas véritablement ébranlé dans ses convictions par le premier conflit mondial. Seul son pessimisme sen trouva aggravé. Dagan, dans des pages qui paraîtront iconoclastes aux inconditionnels de Bainville, montre quen deçà des trois responsables du carnage (La République, les Nationalités, lAllemagne), cest surtout la Démocratie que Bainville charge de tous les maux, afin de mieux lui opposer le miracle monarchiste, qui convainquit tant de ses lecteurs. Le chercheur écornifle aussi la prétendue «indéfectible clairvoyance» que lon prête complaisamment au personnage et le dépeint comme empêché daller au bout de ses réflexions, de par sa militance idéologique. Une intervention qui démontre à elle seule que Bainville peut encore nourrir maints débats aujourdhui.
Les autres articles sont de la même eau, limpide. Un coup de cur particulier à ladresse du Professeur Francis Balace, de lUniversité de Liège, qui, dune plume enlevée, érudite et narquoise, bref dans un style comme on nen rencontre plus et qui fait quon reste soudé au texte du premier au dernier mot, détaille la réception de Bainville en Belgique.
«Par létude de lhistoire, par lobservation et par lanalyse on peut devenir prophète», écrivait Bainville dans La Fortune de la France. Les travaux du millésime de celui-ci permettent de constater que les vrais prophètes ne prennent jamais de rides.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 01/06/2010 ) Imprimer
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