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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Jean-Pierre Azéma 1940, l'année noire Fayard 2010 / 21.90 € - 143.45 ffr. / 477 pages ISBN : 978-2-213-65452-2 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Pierre Grosser est historien des relations internationales à Sciences Po Paris. Imprimer
Alors que les présentoirs des librairies commencent à se remplir douvrages sur la Seconde Guerre mondiale, anniversaire oblige (quoique ces ouvrages soient déjà fort nombreux et caracolent en tête des ventes des livres dhistoire), on ne peut que conseiller de miser sur une valeur sûre. Jean-Pierre Azéma en est une. Ayant consacré toute sa carrière à létude de la fin de la IIIe République et de la France des années sombres, il reprend dans 1940, lannée noire le feuilleton quil avait écrit pour Le Monde il y a vingt ans, en lui donnant plus dampleur et en intégrant les apports des travaux qui se sont multipliés depuis. Il sagit donc dune grosse trentaine de chapitres courts, denses, conclus par des citations pertinentes ou par une phrase bien troussée, et qui peuvent se lire de manière indépendante.
Valeur sûre parce que lécriture est alerte, émaillée de descriptions concrètes, de portraits savoureux, danecdotes connues ou moins connues, et de perceptions des évènements par des contemporains. Jean-Pierre Azéma évite de se laisser aller aux jugements a posteriori (ainsi sur Pétain jusquen 1940 ou sur les débuts de la résistance). En privilégiant lenchaînement des évènements et le traumatisme produit par la défaite, il ne se perd pas dans les grandes analyses macro-historiques et les causalités déterministes. Cest donc une chronique à hauteur dhomme. Ce qui nempêche pas des jugements (nuancés) et des interprétations (les nouveaux acquis de la recherche sont introduits de manière subtile) qui peuvent ainsi émaner de la narration elle-même et pas forcément du déversement pamphlétaire ou de la démonstration des sciences sociales et politiques.
Valeur sûre ensuite car Jean-Pierre Azéma démonte par petites touches les mythes anciens et nouveaux qui encombrent lhistoire de lannée 1940, quil sagisse dune armée française qui se serait effondrée sans vraiment combattre au cours dune défaite annoncée (il aurait même pu insister davantage sur les combats de la fin mai et du début juin, que les historiens redécouvrent aujourdhui), de la geste gaullienne, dun régime de Vichy fasciste ou défini prioritairement par son antisémitisme. Sil consacre un chapitre aux approches de communistes auprès des Allemands pour faire reparaître LHumanité, il se garde den faire une grande stratégie du Parti communiste. Si Reynaud apparaît bien comme un «faux dur» (ce que Navarre, issu de lécurie Weygand, rappellera lors de la bataille de Dien Bien Phu, quand Reynaud avait dans sa main les affaires dIndochine), Azéma montre la complexité de lhomme, qui était loin dêtre un personnage falot manipulé par sa maîtresse.
Valeur sûre enfin parce quà la suite dHenri Amouroux, de Jean-Louis Crémieux- Brilhac ou de Pierre Laborie, il sintéresse à la population française, dans sa diversité et sa complexité. Il ne pouvait sagir dun tableau complet, puisque le grenouillage politique à Bordeaux et Vichy est décrit en détail, et puisque le remarquable Atlas de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, publié aux mêmes éditions Fayard, permet davoir une vue panoramique. Mais lauteur réussit à présenter lessentiel, grâce à des exemples bien choisis et à des phrases générales toujours nuancées.
Lhistorien de la chose militaire pourra certes rester un peu sur sa faim, que ce soit sur la mobilisation économique, sur les discussions franco-britanniques, ou sur la bataille dAngleterre qui reste concentrée sur la guerre aérienne alors que la dimension navale est désormais redécouverte. Lhistorien des relations internationales pourra estimer que les choix et décisions allemandes auraient pu être plus explicités, que la connaissance du pacte germano-soviétique a encore progressé depuis les travaux de Narinski, que les questions impériales ne sont pas assez présentes, de même que les Etats-Unis, où les Français ont essayé de peser pour obtenir aide en matériel et soutien moral, et que lentrée en guerre de lItalie est réduite à la portion congrue (de même que «les ambitions boulimiques de lItalie et de lEspagne»). Sans reprendre lensemble des informations dAnnie Lacroix-Riz, dont on connaît le parti-pris et les méthodes contestables, et en sappuyant sur les travaux qui se multiplient sur les élites économiques durant lOccupation, il aurait été possible de sintéresser davantage à celles-ci (ainsi quaux élites économiques belges), et plus généralement à lactivité (et au désordre) économique durant cette année 1940.
Quoi quil en soit, cet ouvrage devrait rencontrer un large public, quil sagisse de tous les lecteurs qui voudraient avoir un livre complet, vivant et équilibré sur cette année 1940, et des connaisseurs de la période qui en apprécieront les qualités de synthèse et décriture.
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 08/06/2010 ) Imprimer
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