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Aux sources du droit pénal international | | | Annette Wieviorka Collectif Les Procès de Nuremberg et de Tokyo André Versaille - Histoire 2010 / 34,90 € - 228.6 ffr. / 328 pages ISBN : 978-2-87495-121-3 FORMAT : 12,4cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Les images du tribunal de Nuremberg sont demeurées célèbres, celles dune double rangée de vieillards en uniformes dépareillés naguère les maîtres dun empire criminel confrontés à des juges, des victimes, la réalité même (et lon se souviendra de certains, détournant les yeux des films des camps dextermination !)
Tribunal exceptionnel, exemplaire, qui trouve un écho asiatique à Tokyo (avec toutefois de nombreuses différences, dues à la prépondérance américaine). «Justice est faite», voudrait-on dire en guise dépilogue
A voir. Et lobjet, désormais historique, suppose encore que lon sy arrête, pour un bilan, mais sans doute aussi pour y jauger notre présent et ses apories - à laune des espérances de 1945.
Car le droit et la guerre, pourtant unis depuis plus dun siècle par diverses conventions internationales (La Haye, Genève), forment un couple toujours mal assorti. On voudrait croire à la guerre normée, contenue dans des limites raisonnables (sic !)
mais il faut se rappeler cette citation, emblématique, faite par Robert Reed, dun certain major Nicolaï : «La guerre, cest mon métier, je laime plus que tout. Le but de la guerre est de vaincre, cest tout. Et naturellement, il nexiste pas de moyens que le soldat nait pas le droit demployer pour vaincre. Sil faut terrifier la population civile et bombarder des villes déclarées ouvertes pour accomplir mes buts, je le ferai». Et à cet égard, la Seconde Guerre mondiale fut la démonstration des abîmes dans lesquels lhumanité peut se mouvoir au nom dune légitimité improbable. Si les vainqueurs de 1945 voulurent établir une authentique paix de justice un dessein arrêté dès la déclaration de Saint James, en 1942, qui définissait les buts de guerre -, ils se heurtèrent toutefois aux réalités naissantes de laprès guerre et aux frontières politiques de la justice. A Nuremberg comme à Tokyo, on assista à une révolution, une révolution juridique, une révolution médiatique, mais sans doute aussi une révolution incomplète
Une révolution sur laquelle cet ouvrage revient, pour en dresser un bilan.
Le livre reprend les actes dun colloque international (de 1995 !) organisé au Mémorial de Caen, et portant sur les procès de Nuremberg et Tokyo. Dirigé par Annette Wievioka, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la question (on lui doit notamment un excellent Nuremberg et Tokyo, Complexe, 1996), il vient à point nommé rappeler les espoirs, les difficultés mais également les limites dune justice pénale internationale. Lexemple des deux grands procès daprès guerre, de leurs prémices (en gros la réflexion élaborée par les juristes de la Belle-époque et les réalités des années 20), de leur mise en scène déclinée plus ou moins dans les procès de dénazification ainsi que leur mémoire font lobjet de 23 communications, développées par des spécialistes de lhistoire et du droit.
Fondateurs, les procès de Nuremberg et de Tokyo le sont, sans aucun doute : fondateurs dun droit pénal international, et dans la foulée, précurseurs des Tribunaux pénaux internationaux et de la Cour pénale internationale
Certes, comme le rappelle Jean-Jacques Becker dans une communication, il y eut, avec le tribunal de Leipzig portant sur les crimes du premier conflit mondial, un précédent
mais aussi un échec. Ces deux procès sont donc pionniers
mais furent-ils exemplaires ? Les débats ouverts sont nombreux, tant sur la forme même affectée par ces procès que sur le fond. Si les mérites sont réels, les désillusions, les impasses sont également manifestes et sans verser dans une critique aliénante, il est bon dévaluer ces deux évènements historiques à laune des attentes, et des besoins de lépoque.
On a jugé Auschwitz, mais quid de Katyn (A. Viatteau) ? Et plus largement, Nuremberg découvre les limites dun droit toujours distancé par les faits (notamment la guerre aérienne - P. Facon) comme par les enjeux (et les réflexions sur les «immunités» dont a bénéficié le Japon sont éclairantes, en dépit de crimes contre lhumanité avérés - K. Awaya et T.Y. Tanaka). Un droit qui peut aussi tenir compte des sentiments des nations victimes, au risque du déséquilibre (le cas de la guerre sous-marine à outrance, quasiment distinguée de la stratégie navale allemande et traitée comme un crime en soi - P. Masson). Et surtout, un droit qui doit encore saffirmer, saffiner, se dégager dune gangue mémorielle pour devenir vraiment opérationnel : J.M. Varaut, O. Wieviorka et G. Hankel démontrent, chacun dans son domaine, la persistance des problématiques.
Certes, le colloque accuse là son âge et lon peut dire que depuis 1995, le droit pénal international a encore largement évolué, ô combien ; mais les réflexions demeurent, les crimes aussi. Un colloque finalement très actuel, et une histoire que la réalité rattrape toujours.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 25/01/2011 ) Imprimer
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