| Gabriel Milesi Les Dynasties du pouvoir de l’argent Michel de Maule 2011 / 24 € - 157.2 ffr. / 384 pages ISBN : 978-2-87623-263-1 FORMAT : 15,5cm x 24cm Imprimer
Lors dun congrès du parti radical de 1934, Édouard Daladier, que lon surnommait jadis «le taureau du Vaucluse», dénonça sans ambages les «200 familles qui, par linterpénétration des conseils dadministration, par lautorité de la Banque de France, sont devenues les maîtresses indiscutables non seulement de léconomie de française, mais de la politique française». Et le responsable politique dajouter que ces 200 familles sont «des forces quun État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu neût pas tolérées (
). Linfluence des 200 familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les 200 familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur lopinion publique, car elles contrôlent la presse».
Ainsi venait dêtre créé «un nouveau mythe, un nouveau bouc émissaire», explique Gabriel Milesi dans son excellent ouvrage Les Dynasties du pouvoir de largent, paru aux éditions Michel de Maule. En réalité, rappelle le journaliste économique au cours de son propos introductif, ces familles nétaient pas aussi nombreuses que Daladier laffirmait : elles nétaient que «53», mais leurs représentants occupaient quelques «1.312 postes dadministrateur de société ainsi que plusieurs dizaines de mandats électoraux». Pour décrire les méandres de cette oligarchie, daucuns ont eu recours à la métaphore : «cest limage dune toile daraignée qui vient à lesprit», écrivait naguère un journaliste.
De fait, il navait pas tout à fait tort. Le cumul des mandats dadministrateur ne constituait quune facette de ce phénomène de concentration du pouvoir. «La collusion entre les affaires et la politique, précise G. Milesi, est monnaie courante. Les firmes les plus puissantes recrutent danciens hauts fonctionnaires, des ambassadeurs à la retraite, des députés, des sénateurs». Souvent, ces sociétés comptent des anciens ministres dans leur conseil. Bref, la nébuleuse est immense et les ramifications sans fin, tellement linterpénétration est profonde et multiforme. Dans ce système à tout le moins opaque, «tout semble organisé pour préserver les avantages de la bourgeoisie dirigeante». Pour conserver et développer une fortune, il apparaissait en effet impératif de maintenir des relations étroites avec les représentants du pays.
Dans cet ouvrage à la fois bien écrit et très instructif, qui nest en outre jamais laudatif ni complaisant, lauteur sinterroge sur la situation actuelle de la France. Élu à la magistrature suprême en 1981, François Mitterrand tenta de «casser ce système en nationalisant à tours de bras», mais fut néanmoins «contraint de faire marche arrière». Toutefois, tempère lauteur, beaucoup «de choses ont changé ! La France économique daujourdhui nest plus celle de 1934, ni même celle dil y a vingt ans». Si «les vieux chênes ont presque tous été abattus», certaines vieilles familles «sont encore là (
). Dautres familles ont émergé, qui se classent aujourdhui aux tout premiers rangs du capitalisme mondial».
Le capitalisme sest imposé partout dans le monde. Sa victoire est telle que «les patrons ne cherchent plus, comme autrefois, à siéger à lAssemblée pour en tirer des avantages. Ils ont découvert que le véritable pouvoir est ailleurs. Ailleurs, précise Gabriel Milesi, dans linfini du monde et des marchés». Néanmoins, «le capitalisme familial a fait un réel et puissant retour». Autrement dit, il est toujours dactualité. Pis, son pouvoir sest même accru. Comme lindique lauteur, «laristocratie des affaires est plus que jamais au pouvoir. Grâce à la droite. Grâce aussi à la gauche ! Grâce à la mondialisation». Finalement, «le monde des affaires, conclut Gabriel Milesi, a bel et bien pris le pouvoir».
Ce sont les évolutions du monde des affaires hexagonal et de ses dynasties (Dassault, Lagardère, Wendel, Mulliez, etc.) que le journaliste économique dévoile et dissèque dans cet éclairant ouvrage. Au fil des pages de cette véritable biographie du pouvoir de largent, G. Milesi aborde notamment la naissance des grands de la distribution, les conflits dargent et le «pouvoir vert», de même que les rapports entre les grandes fortunes et la presse ainsi que linfluence de Claude Bébéar et du club «Le Siècle».
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 30/08/2011 ) Imprimer | | |