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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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La crise grecque de la pensée allemande | | | Sandrine Maufroy Le Philhellénisme franco-allemand - (1815-1848) Belin 2011 / 29 € - 189.95 ffr. / 317 pages ISBN : 978-2-7011-5530-2 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin. Imprimer
Fin connaisseur de la politique antique, Saint-Just avançait autrefois que «le monde est vide depuis les Romains» et que «leur mémoire le remplit et prophétise encore la liberté». Lassertion du célèbre révolutionnaire parait illustrer la «prédilection française pour la référence romaine» quévoque Sandrine Maufroy dans son récent ouvrage sur Le Philhellénisme franco-allemand (1815-1848). Cette attirance pour Rome ne serait pas partagée par lAllemagne. Elle contrasterait en effet avec la profonde admiration des Allemands du début du XIXe siècle pour la Grèce antique.
Pour la constitution dune identité culturelle et nationale allemande, observe Sandrine Maufroy, la référence à la Grèce fut décisive. Outre-Rhin, entre la seconde moitié du XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle, lengouement des milieux cultivés pour la Grèce antique ne fut pas feint. Pis, cette ferveur constitua une véritable «spécificité (
), revendiquée comme telle par ses principaux acteurs». Elle se traduisit notamment par les théories de Winckelmann, le classicisme weimarien et les réformes du système éducatif et universitaire quinitia Wilhelm von Humboldt en Prusse.
La valorisation du modèle grec eut pour corollaire un intérêt sans cesse grandissant pour lhistoire moderne et lactualité des régions où se forgea la civilisation grecque antique. A partir des années 1820, émergea au sein des contrées germanophones un mouvement de sympathie et de solidarité en faveur des Grecs, qui se révoltaient alors contre lempire ottoman. Si ce mouvement philhellène se généralisa dans tout loccident, touchant non seulement le «vieux continent» mais encore les États-Unis dAmérique, il prit une acuité particulière outre-Rhin.
Cette véritable passion grecque qui sexprima si vigoureusement dans les États germanophones peut se comprendre comme «un terrain expérimental pour des discours et des pratiques consacrés à la construction de la nation et de lÉtat allemands, et comme un moment particulier du processus didentification nationale». Se considérant comme les héritiers de la Grèce ancienne, les Allemands auraient instrumentalisé son souvenir afin de cimenter plus avant le sentiment dunité nationale naissant. Toutefois, il apparait à lauteure difficile de détacher totalement le philhellénisme allemand de la vague de sympathie quéprouva toute lEurope à légard de la cause grecque.
Cette ambivalence du philhellénisme allemand conduit Sandrine Maufroy à mettre en évidence limportance des transferts culturels. Cette fascination pour la Grèce antique et lutilisation de ce précédent antique à des fins clairement politiques fut par ailleurs «le fruit déchanges culturels complexes faisant intervenir la France comme modèle, source dinspiration et objet de rejet et dopposition : si le privilège accordé à la référence grecque antique simposa contre le modèle du classicisme français, puis contre celui de lEmpire napoléonien assimilé symboliquement à la Rome antique, il dut aussi beaucoup aux avancées théoriques et scientifiques dhellénistes français de la Renaissance et du XVIIe siècle ainsi quà un dialogue et une collaboration constants au sein de la «République des lettres»».
Cest lhistoire de complexe philhellénisme franco-allemand dont Sandrine Maufroy rend compte dans cet ouvrage à la fois érudit et passionnant. Maniant différents types de sources, lauteure étudie le philhellénisme franco-allemand en quatre étapes. Donnant tout dabord au lecteur une vue densemble des grandes évolutions du philhellénisme des deux côtés du Rhin, S. Maufroy aborde ensuite les ambiguïtés de la coopération scientifique franco-allemande dans ce domaine, avant de traiter les relations entre discours philhellène, histoire des sciences humaines et idéologie nationale grecque. Pour finir, S. Maufroy se penche sur les implications de linsurrection grecque et les apports franco-allemands à la construction de lÉtat grec.
Alexis Fourmont ( Mis en ligne le 30/08/2011 ) Imprimer | | |
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