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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Marie-Pierre Rey L'Effroyable tragédie - Une nouvelle histoire de la campagne de Russie Flammarion - Au fil de l'histoire 2012 / 24 € - 157.2 ffr. / 390 pages ISBN : 978-2-08-122832-0 FORMAT : 15,4cm x 24,1cm
L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin. Imprimer
Le 16 août 1831, alors que linsurrection polonaise était sévèrement réprimée par le tsar Nicolas Ier, lillustre poète Alexandre Pouchkine prit la plume pour tenter de tempérer les ardeurs belliqueuses des puissances européennes notamment celles de lAngleterre et de la France. Les «oracles des nations», tel La Fayette sous la Monarchie de Juillet, exigeaient en effet de leurs gouvernements respectifs une intervention militaire visant à secourir les Polonais.
Dans son célèbre poème A ceux qui calomnient la Russie, Alexandre Pouchkine encouragea les «ruisseaux slaves» à se fondre «dans la mer russe». Pis, il reprocha à lEurope de se laisser «absurdement séduire par les héros dun combat sans espoir et surtout» à cause de sa haine résultant du fait que quelques années plus tôt, «dans les murs de Moscou incendié», les Russes nont «pas plié sous limpudent vouloir» de Napoléon Bonaparte.
Certes lEmpereur des Français «faisait trembler lEurope» et «pesait sur la tête des rois», mais les Russes sont parvenus à le faire «descendre dans labîme». Ce faisant, explique Pouchkine, ils ont racheté «lhonneur, la liberté et la paix de lEurope» de tout leur «sang». Peu impressionné par les rodomontades des puissances européennes, lécrivain les invita à venir en découdre : «Envoyez-nous, fiers orateurs, vos enfants aveuglés de rage : les plaines de Russie leur assignent leur place près des tombeaux où gisent leurs aînés».
Probablement conscients du danger quils couraient, les Européens nintervinrent pas. Il faut dire que la précédente campagne de Russie navait pas été un franc succès. Son souvenir restait vif chez la plupart des Européens. La postérité à laquelle est vouée lexpression populaire «cest la Berezina» témoigne, par exemple, de la survivance de la campagne de 1812 dans les esprits. Comme lindique lhistorienne Marie-Pierre Rey dans son récent ouvrage LEffroyable tragédie, publié chez Flammarion, la campagne de Russie de 1812 «fut, à bien des égards, sinon la première, du moins lune des premières guerres de lhistoire européenne en voie de totalisation».
Léchelle des combats était à lépoque tout à fait inédite. La campagne de Russie toucha en effet une très grande partie du Vieux Continent. Par ailleurs, plus de 500.000 soldats furent mobilisés par la Grande Armée, et presque autant du côté russe. Sur le front, les pertes furent immenses : «près de 70.000 hommes mis hors combat rien quà Borodino, dont 45.000 côté russe et 25.000 à 28.000 pour la Grande Armée». Le carnage toucha également les civils, lavancée de la Grande Armée saccompagnant dexactions. La ville de Smolensk fut par exemple le triste théâtre de pillages, de viols et dassassinats, bref dune véritable «mise à sac».
Si lhistoire de la campagne de Russie a souvent été relatée, la plupart du temps elle la été «dans une perspective unilatérale» privilégiant le point de vue de lun des deux protagonistes soit celui de la France soit celui de la Russie. Le comparatisme, explique Marie-Pierre Rey, a presque toujours été délaissé au profit dune «instrumentalisation politique de la guerre» de la part de lhistoriographie tsariste, puis à partir de 1936-1937 de la part des historiens soviétiques. Lidée de guerre patriotique devant conjurer le péril hitlérien.
Naturellement, de ce point de vue, la France nest pas en reste : lhistoriographie hexagonale présente habituellement la campagne de Russie comme le fruit de léchec des négociations franco-russes. Généralement, les «détails héroïques sur les opérations» abondent. De plus, lEmpire des Français naurait plié que face au froid, le terrible «général hiver». Les erreurs dappréciation de Napoléon Bonaparte sont, en revanche, rarement étudiées. Il en va de même pour les exactions de la Grande Armée et, ajoute lauteure, «les cas danthropophagie, une question pourtant peu sujette à caution au vu des sources». De surcroît, le mérite de létat-major russe est souvent minoré.
Se fondant notamment sur la «dimension humaine» de cette tragédie régulièrement évacuée par lhistoriographie, Marie-Pierre Rey retrace avec force détails la campagne de Russie en tentant de faire la lumière sur les nombreux angles morts dont il est question plus haut. Alors quen 1812 la comparaison des deux Empires tournait clairement à lavantage de la France, le sort des armes nous fut finalement très défavorable. Cruelle, la défaite annonça leffondrement de lEmpire napoléonien. Pour relater les causes de ce désastre monumental, luniversitaire a manié diverses sources françaises, allemandes, polonaises et russes. Passionnante, cette «histoire globale» rend compte des «dernières extrémités que lespèce humaine peut endurer».
Alexis Fourmont ( Mis en ligne le 20/03/2012 ) Imprimer
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