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Quand les chevaliers du ciel portent bien leur nom | | | Le Diable, la cigogne et le petit lapin - 1914-1918 : les aviateurs inventent une héraldique nouvelle Service historique de l'armée de l'air 2004 / 15 € - 98.25 ffr. / 72 pages ISBN : 2-11-094694-6
Voir aussi :
Les Escadrilles de laéronautique militaire française. Symbolique et histoire 1912-1920, Service historique de l'armée de l'air, 2004, 608p., 77, ISBN : 2-11-094692-X.
L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Imprimer
Publiés par le Service historique de larmée de lair (le «SHAA» pour les initiés), installé au château de Vincennes, ces deux ouvrages complémentaires sont loccasion dune plongée dans le monde fascinant des premiers pilotes militaires.
Les Français se sont toujours montrés friands de légendes, admirant surtout les héros épiques : Vercingétorix, Clovis, le Grand Ferré, Jeanne dArc, Bayard... Au début du XXe siècle, lépoque de lexploit individuel semble bien lointaine. La guerre devient une affaire de cadences de tir, de millions de tonnes dobus, daction psychologique sur les masses. Lhomme lui-même nest plus utilisé que comme un matériau au même titre que le fer, le feu et les gaz létaux. Les chevaux, les tenues chamarrées et le panache nont plus quà disparaître. Dans ses mémoires, le Kronprinz regrette le «bon vieux temps» des charges au clairon, celui où le sang vermeil coulait sur le sable chaud. Au crépuscule des journées daoût 14, larmée française fait son deuil des traditions héritées des siècles passés. Car livresse patriotique des jeunes officiers qui tombent par centaines sabre au clair, fauchés par les mitrailleuses, risque bien dengendrer plus dAzincourt et de Crécy que de Bouvines.
Si les honneurs militaires rendus au commandant Reynal et aux défenseurs du fort de Vaux constituent lune des dernières manifestations dune courtoisie médiévale très idéalisée, les massacres de civils en Belgique, les bombardements des zeppelins sur Paris et le pilonnage de la cathédrale de Reims situent dès labord le premier conflit mondial sur un plan tout différent. Le monde est entré, avec la guerre dusure, dans la logique de la destruction systématique et planifiée de lélément humain au cours la bataille.
Lesprit ancien trouve un refuge inattendu dans le ciel. Voici quentrent en lisse de nouveaux chevaliers : les aviateurs. On y retrouve justement les fils de ces nobles guerriers de jadis : Slade, Richthofen, Svertsky, Ruffo di Calabria, Tricornot de Rose, souvent mis à pied par la disparition des charges de cavalerie. Sy adjoignent toutes sortes de casse-cou et daventuriers - anciens pilotes automobiles, coureurs cyclistes, tous fanatiques de vitesse et ivres de risques.
Comme le chevalier, laviateur au moins au début, et dans lidéal - cultive un honneur suranné, un respect de ladversaire presque anachronique dans le contexte de guerre totale. Il ressuscite in extremis une forme de guerre homérique et médiévale où le combat singulier, la lutte dhomme à homme, tranche singulièrement avec les boucheries terrestres de Verdun ou la Somme. Comme le preux dautrefois il portera rapidement blason.
Chez les biffins, lhomme ailée suscite un mélange dadmiration et de jalousie. Dans les airs, les repères ne sont plus les mêmes. La distinction factice entre officiers et sous-officiers, par exemple, sefface au profit de la valeur. Commandants, lieutenants, sergents, et même caporaux se reconnaissent comme des égaux. Lon ne sélève que par le mérite, comme François Ier a dû attendre Marignan pour être adoubé chevalier. Laviateur, homme du monde, aussi à laise dans le cambouis que dans les salons, devient immédiatement la coqueluche de ces dames. Et pourtant, laviation constitue, de toutes les armes, celle où le pourcentage de pertes fut le plus important entre 1914-1918.
Cette aéronautique militaire naissante a créée une nouvelle héraldique, dont une exposition à lHôtel de Ville de Paris a présenté une rétrospective du 6 au 24 novembre 2004. Préfacé par le général Le Bourdonnec, chef du SHAA, le catalogue de cette manifestation montre comment cette nouvelle chevalerie sest dotée de signe dappartenance et reconnaissance spécifiques. Empruntant au passé des figures telle que celle, justement, du chevalier insigne de lescadrille 272 pendant la Grande Guerre -, elle ne sest pas contentée de sapproprier tout ce qui vole (la mouette, la guêpe, laigle et la très célèbre cigogne de Guynemer), mais a aussi mis à contribution toutes sortes dautres animaux comme le lapin, le chat (noir bien sûr !) et le sanglier. Des personnages empruntés au folklore, à la publicité, à la mythologie et à dautres sources dinspiration encore vont bientôt cohabiter dans ce monde en gestation qui sinvente une histoire à partir des traditions multiples et variées de ses membres. Les aviateurs nhésitent dailleurs pas à sattacher occasionnellement les services des grands artistes du temps comme Sem ou Marcel Jeanjean.
Le volumineux album très richement illustré que publie simultanément le SHAA, préfacé par le général Wolsztynski, chef détat-major de larmée de lair, et par le général Le Bourdonnec, offre une description exhaustive de lensemble des escadrilles du premier âge de laviation militaire. Reconnaissance, chasse et bombardement, escadrilles françaises du front de France, dOrient et de Roumanie rappellent limmense rayonnement de laéronautique française à cette époque.
Agrémenté de nombreux dessins et de photographies souvent inédites (provenant notamment des fonds du SHAA, du Musée de lAir et de létablissement cinématographique et photographique des armées), cet ouvrage reproduit tous les insignes des escadrilles. Il en donne aussi lhistorique, les différentes localisations, la composition. Pourvu dun index et de nombreux tableaux statistiques, il constituera un instrument de référence pour tous ceux qui sintéressent à lhistoire de laviation et à celle de la guerre de 1914-1918, y compris au niveau local (car les escadrilles étaient disséminées sur lensemble du front), ce qui nest pas le moindre de ses intérêts.
Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 06/05/2004 ) Imprimer | | |