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Socio-histoire des Justes
Patrick Cabanel   Histoire des Justes de France
Armand Colin 2012 /  27.50 € - 180.13 ffr. / 416 pages
ISBN : 978-2-200-35044-4
FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm
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Qui sont les Justes de France ? Après la monographie consacrée à Alice Ferrières, une des premières Justes reconnue auprès de Yad Vashem, Patrick Cabanel revient ici sur cette problématique sous la forme d’une documentation globale, particulièrement érudite, dédiée aux personnes connues et anonymes grâce auxquelles les trois quarts des juifs de France ont échappé à l’extermination programmée durant la Seconde Guerre mondiale.

Estimé à 3500 au moment de la rédaction de l’ouvrage, l’effectif provisoirement croissant des Justes de France recouvre seulement les personnes non juives officiellement distinguées par l’État d’Israël pour «avoir sans contrepartie sauvé au moins un juif au péril de leur vie». À condition que des documents d’archive et/ou les témoignages oculaires par un non juif en attestent la réalité, sous réserve aussi, selon cette définition à la fois restrictive et ambiguë, qu’il ne s’agisse pas d’un acte de Résistance, une nuance souvent délicate à établir. De fait, de nombreux sauvetages n’ont pas été revendiqués faute de traces tangibles, disparues ou effacées pour de multiples raisons circonstancielles et temporelles. Certains ont été accomplis au nom d’organisations caritatives dont on connaît mieux les dirigeants que les membres restés dans l’ombre. Par essence, on ignore aussi combien de cheminots, postiers, frontaliers, gendarmes, policiers ou simples agents de service, privés ou de collectivité… ont facilité des évasions de juifs anonymes en gardant eux-mêmes l’anonymat. D’autres actes exemplaires, inégalement distingués par Yad Vashem, ont été réalisés en France par des personnes d’origine étrangère, en particulier des diplomates, avec une efficacité à grande échelle parfois chèrement payée.

Si la relativité des chiffres ne minimise en rien l’ampleur du geste, quel qu’il soit, ni la portée universelle de son message, elle laisse entière la question de l’identité de ces personnes qui de façon individuelle ou collective ont participé à ce réseau de sauvetage, implicite ou organisé, la notion de risque encouru s’avérant peut-être plus liée aux contextes législatifs en vigueur qu’à la nature de l’acte. Peut-on dresser un portrait type des sauveteurs qui, à l’instar d’Alice Ferrières campée dans sa «modestie ombrageuse», n’ont fait «que ce qu’ils avaient à faire», ou ceux dont toute la carrière s’est construite dans la solidarité militante ? L’approche psychosociale seule paraît réductrice. Après une recension critique et nuancée de la littérature spécifique, l’auteur de Chère Mademoiselle… rassemble les faits en regard des évènements du monde, des certitudes, des contradictions et des interrogations restées en suspens, et revient aux sources collectives de l’action des Justes de France sans tomber dans le travers des généralisations caricaturales ou celui du défilé monotone des études de cas si fréquent dans ce type de recherches. Le portrait de groupe bâti sous un angle pluridisciplinaire se veut d’ordre démographique, sociologique, géographique et confessionnel, illustré par des biographies bien ciblées.

Ainsi visualisés, les Justes se recrutent dans toutes catégories sociales et professionnelles : puissants et modestes, nantis et besogneux, représentants d’institutions ou simples particuliers. Ils sont cependant majoritaires dans le secteur agricole et commercial, parmi les membres du clergé catholique et protestant, et les professions tournées vers le secteur sanitaire, social et éducatif. Il s’agit plutôt de femmes alors que les hommes sont au front ou décimés. Leur regroupement géographique, détaillé dans L’Histoire régionale de la Shoah en France, correspond sans surprise aux zones où les juifs ont été tenus de se replier. Paradigmatique au Chambon-sur-Lignon soudé autour de valeurs bibliques ancestrales, seul village entier en France à avoir reçu la médaille de Juste, ou encore à Dieulefit aux composantes plus hétérogènes, l’action de protection et de résistance à l’inhumanité émane d’une volonté collective rare, désormais connue du monde entier. En revanche, en d’autres lieux, notamment les villes, le lecteur peut être surpris par l’étendue, la nature et souvent l’ingéniosité des modalités de sauvetages entrepris pour l’essentiel en faveur des enfants, parfois à la barbe de l’occupant, sous l’égide des autorités locales, laïques et religieuses : autant d’actions admirables menées par des futurs Justes et d’autres, aussi méritants, qui sans ce livre entreraient dans l’oubli. Toujours est-il qu’en France, 85% des enfants ont été cachés, nourris, choyés et éduqués. Notons que les innovations majeures en matière de pédagogie active, de réputation internationale (Collège Cévenol, école Beauvallon, maison de Sèvres …), sont rattachées à ce contexte.

Fruit d’un travail considérable mené avec une remarquable homogénéité méthodologique, L’Histoire des Justes de France brasse une mine d’informations rigoureusement vérifiées, analysées et articulées au contexte passé et actuel. Préférant les faits aux effets, leurs articulations aux descriptions, l’auteur fouille les mémoires et les archives, remonte les filières, reconstruit les Réseaux clandestins, forge des hypothèses, établit des ponts associatifs d’une grande pertinence. Il y a là à l’évidence pour les enseignants, historiens et travailleurs sociaux une base vivante de réflexion, ouverte à de multiples enrichissements. Le public spécialisé n’est pas le seul visé : grâce à son style à la fois sobre et direct, étonnamment fluide compte tenu des multiples références datées et chiffrées, le livre s’adresse aussi au simple citoyen désireux de se pencher sur le puzzle d’un proche passé encore plein d’énigmes. Le texte ne peut se dévorer à la hâte. Il faut le lire posément, ligne par ligne, mot par mot, sachant que le renvoi en fin d’ouvrage des 973 notes organisées par chapitre est dans ce contexte inévitable. La création bienvenue de deux index exhaustifs, l’un des noms, l’autre des lieux cités, permet de resituer après-coup la quantité des références fournies.

Cette nouvelle contribution de Patrick Cabanel, inscrite comme les précédentes dans son inlassable quête de fraternité entre les peuples et les communautés, invite le lecteur à reconnaître dans la solidarité les racines profondes du genre humain : un message qui en 2012 sonne un peu comme un rappel des brebis égarées au moment où les Cévennes, traditionnelle terre de refuge et d’accueil, connaissent, à l’instar de l’Europe, une inquiétante poussée des voix d’extrême droite, tandis que dans les villes, ici et ailleurs, se multiplient des actes d’intolérance.


Monika Boekholt
( Mis en ligne le 12/06/2012 )
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