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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une ''guerre contre nature'' | | | Oleg Sokolov Le Combat de deux empires - La Russie d'Alexandre Ier contre la France de Napoléon. 1805-1812 Fayard 2012 / 25 € - 163.75 ffr. / 522 pages ISBN : 978-2-213-67076-8 FORMAT : 15,5 cm × 23,5 cm
Michèle Kahn (Traducteur) Imprimer
Professeur de civilisation française à luniversité de Saint-Pétersbourg, Oleg Sokolov est le spécialiste russe de lhistoire napoléonienne. Il a été décoré de la Légion dhonneur pour ses recherches sur lhistoire des relations franco-russes. Après avoir écrit Austerlitz : Napoléon, l'Europe et la Russie en 2006, il a consacré un nouvel ouvrage à cette fort riche période historique : dans Le Combat de deux empires, dernièrement paru chez Fayard, luniversitaire russe sintéresse sur lévitable confrontation entre le Tsar et lEmpereur des Français.
Lhistorien russe revient ici sur les causes profondes de la longue conflagration entre la Russie dAlexandre Ier et la France de Napoléon Bonaparte, entre 1805 et 1812. La compréhension de cette opposition si «acharnée» permettrait en effet de saisir les développements de lhistoire russe et européenne qui y firent suite, même si pour lhistorien les parallèles qui sont régulièrement faits avec la Seconde Guerre mondiale sont tout à fait abusifs, erronés et «irrecevables». Ainsi que lécrit à cet égard Oleg Sokolov dans son propos introductif, «cest comme si lon essayait dentendre les sons lointains dun clavecin à travers le fracas dun concert de rock».
«Pourquoi il a attaqué la Russie ?» Telle est linterrogation à laquelle luniversitaire russe sefforce de répondre avec la plus grande minutie. La thèse dOleg Sokolov est extrêmement originale : cette «guerre contre nature», qui contraignit des régiments venus de toutes lEurope de lOuest à parcourir près de 2.000 à 3.000 km selon les cas, serait le fruit non pas des plans insensés de domination mondiale de Napoléon Bonaparte, mais de lattitude belliqueuse du tsar Alexandre Ier. Lauteur en profite également pour invalider lidée tolstoïenne dune nécessité absolue des guerres franco-russes, selon laquelle «il ny a pas eu de cause unique à cet évènement, mais il devait se produire, seulement parce quil devait se produire».
Pour lhistorien russe, Napoléon Bonaparte neut de cesse de se concentrer sur la politique intérieure et multiplia les offres de pourparlers aux puissances étrangères. La bienveillance avec laquelle il traita la Russie fut extrêmement grande : après avoir été défaite, lors de la paix de Tilsit, la Russie put augmenter son territoire. Bonaparte souhaitait sallier avec le tsar afin que son système puisse se maintenir durablement. Certes il ressuscita le duché de Varsovie, mais il refusa toujours de trop céder aux Polonais, de peur dagacer les Russes. LEmpereur des Français souhaita même épouser la sur dAlexandre pour renforcer les liens entre les deux pays, vu auquel le Russe ne répondit point.
A en croire Oleg Sokolov, Napoléon Bonaparte fit montre de bonne volonté. A linverse, le Tsar rechercha régulièrement une confrontation «brutale» avec lEmpire en raison dune «position antifrançaise tranchante». Soutenus sur le continent par lintransigeance russe, les Anglais sefforcèrent, au surplus, de contrer la montée en puissance de leur «rivale dangereuse dans le domaine commercial et de lindustrie quétait la France nouvelle». Absolument rien, ni les intérêts géopolitiques ni lopinion publique russe, ne poussait Alexandre Ier à mener une politique ouvertement antifrançaise. Strictement rien, hormis une inclination purement personnelle à haïr le général Vendémiaire
Certes laristocratie russe détestait en effet la Révolution française, car elle mettait en péril leur situation, mais Bonaparte ce nétait déjà plus la Révolution. Ce que de nombreux Russes saisirent rapidement. Lauteur rappelle, en outre, que le rapprochement de Paul Ier avec la France fut accepté par le peuple russe, dont les élites vivaient sous linfluence de la culture française : elles parlaient, lisaient et écrivaient parfaitement le français.
Bref, pour Oleg Sokolov, «il nexistait aucune nécessité à ce que la Russie soit hostile à la France». La thèse est originale et a lincontestable mérite de rompre avec la doxa. Un nouvel opus permettra dapprofondir cette analyse.
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 13/01/2013 ) Imprimer | | |
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