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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Contradictions et évolutions : la dialectique ! | | | Roger Bourderon Le PCF à l'épreuve de la guerre - 1940-1943 - De la guerre impérialiste à la lutte armée Syllepse - Histoire : Enjeux et Débats 2012 / 15 € - 98.25 ffr. / 186 pages ISBN : 978-2-84950-341-6 FORMAT : 15,0 cm × 21,1 cm
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Spécialiste de lhistoire de la Seconde Guerre mondiale, de la Libération (sa thèse) et du PCF, Roger Bourderon est seul ou avec des collègues et amis (Gilbert Badia, Germaine Willard ou Serge Wolikow) lauteur de plusieurs livres sur lattitude des communistes français pendant cette période mouvementée pour la France : sujet de controverses animées, tacites ou non, avec dautres historiens. Depuis des décennies, les auteurs saffrontent, autour des mêmes documents et de linterprétation des mêmes faits, souvent, cest visible, en partisans politiques, formant en gros deux camps, deux écoles défendant deux visions des choses.
Il y a la version à charge, voire la légende noire : le PCF étant stalinien, il est lantenne du PC soviétique en France, sa copie, toutes choses égales, et son relais obéissant dans le cadre français (nest-il pas officiellement la section française du Komintern, dominé par «Moscou» ?) ; complètement servile depuis léviction à la fin des années 20 des éléments perturbateurs, trop indépendants et imprévisibles, et depuis linstallation de léquipe Thorez, il est totalement soumis à la ligne «internationaliste», opérant de brusques virages selon des ordres étrangers, quil justifie tout aussi soudainement, sans débats publics ni consulter sa base en interne, bien entendu par des raisonnements peu convaincants, qui prétendent découler de lapplication stricte du matérialisme historique à la situation concrète : contorsions avec la logique et les faits qualifiés pompeusement de «dialectiques», la théorie de la contradiction, de la logique bourgeoise et du réel, bonne fille, permettant tous les retournements ; le PCF serait cependant aussi opportuniste, simplement Moscou fixerait les opportunités. Luttant contre les social-traîtres voire sociaux-fascistes de la SFIO, «classe contre classe», le PCF se rallie cependant en 1934-35 à une politique de large alliance de la gauche, prônant même la compréhension avec les radicaux : le Front Populaire, dès lors que le Komintern et Staline lont décidé ; stratégie européenne et mondiale, intégrant la défaite de la gauche allemande, la consolidation dHitler au pouvoir et lagitation des ligues en février 34.
Face au fascisme, lURSS et le communisme mondial se cherchent des alliés, ce qui est tout un. Mais les choses ne tournent pas comme prévu : les démocraties résistent mal à Hitler et Mussolini et abandonnent lEspagne, puis lAutriche. Le PCF pousse à lintransigeance et à lalliance avec lURSS : dabord anti-munichois, jouant lintransigeance anti-fasciste et lintérêt national en même temps, fustigeant les capitulards de la bourgeoisie, il opère cependant un revirement à 180° en août 39, quand lURSS, ne croyant plus à lalliance franco-britannique, consent à un Pacte germano-soviétique de non-agression : le PCF le justifie aussitôt, méritant ainsi son interdiction comme organisation défaitiste aux ordres de létranger ; pendant que ses chefs désertent la mobilisation et que Thorez fuit en URSS, le PCF condamne la guerre des démocraties comme impérialiste et bourgeoise, véritable acte de trahison ; puis il profite de la défaite de juin 40 pour demander sa légalisation et la reparution de LHumanité dans la zone occupée par les nazis ! En juin 41, nouveau revirement à 180° : le PCF entre dans la Résistance et dénonce le nazisme !
La clé de ces virages violents ? On la dit : lintérêt de lURSS et les décisions géostratégiques mondiales du Komintern. La direction du PCF étant une simple exécutante : Thorez se faisant lécho de Staline, le trouble Eugen Fried surveillant la mise en uvre locale. Sans oublier les manuvres cyniques des réseaux communistes contre les autres tendances de la Résistance dans le but de préparer la prise du pouvoir à la Libération ! Tout cela répondant à la mythologie héroïque du parti de Guy Moquet, de Gabriel Péri, des 75.000 fusillés (qui ne furent pas 75.000 pour toute la résistance, comme disait de Gaulle à Duclos et Thorez en 45) !
En face, lécole officielle communiste, qui a toujours soutenu la cohérence anti-fasciste du PCF, sa libre adhésion à une stratégie densemble déterminée par le Komintern, et la compatibilité de la ligne internationaliste avec le combat pour la libération nationale. Largement discréditée dans lopinion depuis la chute du bloc communiste et victime de faciles raccourcis polémiques, cette école ne disait pourtant pas que des sottises idéologiques ou des mensonges, même si la langue de bois et sa grise rhétorique avaient leur part dans ce discours. Et si l'on peut reprocher au PCF et à ses historiens officiels dexagérer la continuité et de simplifier rétrospectivement les choses, il nen reste pas moins, factuellement, que le PCF a fait effectivement partie des organisateurs du Front Populaire et des anti-munichois, dénonçant lâchetés et défaitismes voire désirs dentente avec les régimes fasciste et nazi dans une grande partie des milieux dirigeants français ; quil a, de façon cohérente avec sa conviction internationaliste, défendu lintérêt légitime de lURSS à organiser sa propre défense, dès lors que les pays occidentaux montraient clairement leur répugnance à conclure une alliance militaire efficace avec «la patrie du socialisme». Cela peut choquer un patriote qui place lintérêt national immédiat au-dessus de tout, mais on ne peut reprocher aux communistes leur clarté sur la ligne internationaliste ni leur courage dans ladversité (persécutions à partir du gouvernement Daladier) ; on ne peut nier non plus que cette ligne géopolitique pouvait se défendre. On ne peut pas non plus oublier lengagement peut-être tardif à certains égards, mais décisif, du PCF dans la Résistance : dabord contre Vichy dès juin-juillet 40, puis dans la Résistance clairement anti-allemande au moins à partir de mai-juin 41 : oui, avant linvasion de lURSS (que Staline ne soupçonnait pas, nous dit-on), dès mai 41, avec la grande grève CGT/PCF anti-allemande des mineurs du Nord !
Le propos de Bourderon, qui ne se cache pas dêtre communiste, est de prendre le contre-pied de la vulgate anti-communiste ; il admet que la vulgate communiste daprès-guerre, comme toutes les vulgates, nest pas scientifiquement intégralement défendable, mais il ne cache pas ses propres options et relativise le caractère dévastateur des publications dhistoriens à la mode (S. Courtois, etc.). Certes le discours officiel du PCF après 45 a eu des embarras et des pudeurs qui ne font pas bon ménage avec la vérité historique et que lhistorien communiste sérieux lui-même ne peut accepter. Mais le paradoxe est quen un sens, les dirigeants communistes autant que leurs ennemis anti-communistes avaient intérêt à réécrire lhistoire dans un sens conforme à une logique politique daprès-guerre. En somme face à ces rationalisations idéologiques rétrospectives, de «guerre froide», et à la mémoire faussée qui a été créée, il faut faire de lhistoire ! Bourderon se placerait au juste milieu de ces controverses. En disciple de lhistorien Ernest Labrousse, il prône de revenir aux faits mis en contexte et dabord aux archives. Cest sur la base de ces faits vérifiés que lhistorien aura le droit de bâtir logiquement une interprétation respectueuse des données factuelles. (Après quoi chacun jugera politiquement le positionnement des uns et des autres. Mais ce nest plus faire uvre dhistoire).
Bourderon sappuie dans ce petit livre sur un corpus de sources bien établi : tous les numéros de LHumanité, mais aussi des textes communistes tirés des archives départementales de la Gironde et de la Seine-Saint-Denis : une large documentation, notamment dimprimés et de déclarations communistes de différentes époques tracts parfois reproduits dans le livre. Il tient compte aussi de diverses sources publiées et détudes scientifiques de référence.
Quels sont ses résultats ? Bourderon montre que premièrement lattitude du PCF na été ni aussi monolithique à lintérieur ni aussi docile à légard de Moscou quon la dit. Si bien entendu le PCF, parti non-fractionnel, internationaliste et organiquement lié au Komintern, donc à lURSS, a tenu compte de la ligne souhaitée à Moscou, il nen reste pas moins que cette ligne soviétique, finalement suivie par la direction du PCF, a suscité non seulement des débats, parfois vifs, dans la direction ou chez les militants, mais aussi des formes de résistance, fût-ce sous la forme dactions communistes non-estampillées comme telles alors. Bourderon ne voit pas de problème dans le fait que le PCF ait assumé son unité avec linternationale communiste et sa stratégie mondiale : mais le PCF a-t-il été seulement une courroie de transmission de Moscou ou a-t-il informé et conseillé Moscou sur la situation française ? Cest par exemple tout le problème ou le mystère du rôle dEugen Fried, homme de confiance des Soviétiques imposé à la direction, mais très proche de Thorez (et de sa première femme !). Finalement éliminé par les nazis en 43, il reste un mystère et un sujet dinterprétations et de polémique : Bourderon ne résout pas tous les problèmes le concernant. Le cas de Gabriel Péri est également révélateur : ce député profondément gêné par le pacte de non-agression, réticent à plaider auprès des autorités doccupation lautorisation de LHumanité, a du mal à faire tactiquement profil bas face aux nazis en France, même au nom de la discipline du Komintern ; mais arrêté, il envisage un moment de cautionner la dénonciation par Vichy des «attentats terroristes» ; finalement, il est fusillé avant davoir pu «se compromettre», ce qui permettra au PCF de le présenter en héros inconditionnellement fidèle au parti et en patriote irréprochable. Sauvé par Pucheu ministre de Vichy, aurait-il été mobilisable politiquement de la même façon en 1944 ? Péri était certes très décrié et suspecté de tendances déviationnistes par André Marty, incarnation de la ligne dure d'obéissance à Staline. Rien ne prouve cependant, selon Bourderon, l'interprétation de Courtois selon qui Péri ait été livré par des agents de la direction du PCF pour se débarrasser d'un encombrant camarade et d'un esprit trop indépendant.
Bourderon remet bien les choses en perspective : il était possible dun point de vue marxiste-léniniste (mais pas seulement) de critiquer la méthode des attentats en 41, sans être collaborateur. Bourderon montre aussi que si le PCF a évidemment opéré un tournant net au début de lété 41, entrant en résistance armée contre loccupation nazie, il ne sest jamais contenté de défendre le Pacte germano-soviétique ni de mettre dans le même sac tous les belligérants. Bien sûr, le PCF a dénoncé la «guerre impérialiste» et a même semblé relativiser la dangerosité de lAllemagne nazie. Mais il faut tenir compte de plusieurs facteurs tactiques : le PCF agissait en zone occupée et devait ménager apparemment la Wehrmacht ; il la fait a minima en demandant aux ouvriers et aux paysans, aux «travailleurs», de ne pas tomber dans la xénophobie et le chauvinisme anti-allemand, point de vue internationaliste classique ! Sa priorité était de retrouver un écho dans la population, après des mois dinterdiction : il a donc utilisé tactiquement les circonstances et profité de ce que le Reich ne pouvait refuser une activité communiste officielle en France, puisque lURSS était en théorie un partenaire officiel. Ce qui nempêchait pas la Gestapo de suivre de très près ces activités, personne ne se faisant dillusions sur lhypocrisie de ces relations limitées. Le PCF a certes dénoncé avant tout les responsables français de la défaite à lété 40, un parallèle avec Vichy qui peut sembler fâcheux au moment du procès de Riom et en 1944, mais il navait pas attendu la débâcle pour attaquer durement les élites de la bourgeoisie française et la population était logiquement réceptive à cette époque. Mieux : si on regarde les textes, le PCF, dès lautomne 40, a critiqué le régime réactionnaire, xénophobe et antisémite de Vichy et la collaboration, au moins sur le plan économique, en soulignant quelle revenait à piller le pays et à exploiter les travailleurs français, amorce dun discours de résistance marxiste et patriote. Et dès mai, avant linvasion de lURSS, le PCF soutient des actions collectives dures contre loccupant allemand et il est clair que derrière les revendications sociales, la dénonciation du faux socialisme quest le nazisme pointe.
Le PCF ne remet jamais comme telle la légitimité des décisions de Staline et Molotov, certes, et il pourrait parfois y avoir matière à critiquer le manque de prise en considération des intérêts nationaux français ; mais en fait, il y a alors souvent tension et quel parti est exempt de ce genre de dilemmes ? Bourderon signale à cet égard les échanges de télégrammes entre direction soviétique et direction française. Il nen reste pas moins quen dernière instance, le PCF a admis la nécessité dune unité sans faille autour de lURSS, ce qui pouvait se comprendre et finalement na pas empêché le PCF de prendre sa part dans la Résistance et lURSS la sienne dans la Guerre mondiale. Bourderon rappelle enfin le rôle essentiel du PCF pour organiser le combat des immigrés en France (MOI).
Il est impossible de revenir sur toutes les figures étudiées ni tous les points traités ici. Une remarque : Bourderon aurait dû à notre sens mieux marquer, plus visiblement, les oppositions dinterprétation et leurs enjeux polémiques. Une suggestion : même si ce nest pas lobjet de ce livre, il faudrait poursuivre sur un autre sujet de controverses : les rivalités parfois violentes entre communistes et non-communistes dans le cadre de la Résistance. En fait, il en va du parti communiste comme de la France à cette époque : il traverse une période difficile de son histoire, qui met à lépreuve son identité, ses valeurs, ses hommes et ses chefs, révélant alors des ambiguïtés et des tensions qui étaient latentes, obligeant les uns et les autres à prendre et assumer des décisions parfois douloureuses. Et comme toujours dans le tragique de lhistoire, il y a lombre et la lumière, et aussi bien des nuances de gris. Élément d«un passé qui ne veut pas passer», le passé de guerre et de résistance du PCF est un sujet dhistoire(s) et de mémoire(s) collective(s). Le petit livre de Bourderon contribue utilement à un débat loyal sur un sujet toujours sensible.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 09/07/2013 ) Imprimer | | |
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