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Guerre, mémoire, Nation
Rémi Dalisson   Les Guerres et la mémoire
CNRS éditions 2013 /  25 € - 163.75 ffr. / 332 pages
ISBN : 978-2-271-07236-8
FORMAT : 15,0 cm × 23,0 cm

L'auteur du compte rendu: Doctorant en histoire à l'Université de la Caroline du nord à Chapel Hill, États-Unis, Anndal Narayanan mène une recherche de thèse sur l'après-guerre de la "génération algérienne" : la manière dont la "guerre sans nom" a marqué les anciens combattants en Algérie, qui ont considérablement influencé l'évolution politique et civile de la Cinquième République des Trente glorieuses.
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Dans cet ouvrage complet, Rémi Dalisson s'appuie sur sa spécialisation dans les fêtes politiques et la mémoire pour étudier les rapports entre les fêtes de guerre et l'élaboration d'une identité nationale en France. Professeur à l'Université-ESPE de Rouen, il a en effet publié de nombreux ouvrages sur les fêtes républicaines et l'imaginaire national, après avoir fait sa thèse à Paris-1 sous la direction de Maurice Agulhon et Alain Corbin sur les fêtes publiques en Seine-et-Marne entre la Restauration et la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Ici, Rémi Dalisson nous offre une lecture approfondie des pratiques et enjeux mémoriaux, dans leurs continuités et leurs ruptures, à travers une chronologie élargie : des premières commémorations de Sedan — c'est-à-dire, les premières commémorations publiques organisées devant des monuments aux morts— jusqu'aux journées mémorielles du XXIe siècle. Et c'est bien là qui se trouve l'originalité de cette étude, personne n'ayant jamais suivi d'un si long regard la particularité française à créer (et à disputer) l'idée de la nation à travers les commémorations de guerre.

L'ouvrage se divise en trois parties chronologiques : les inventions des pratiques dans l'après 1870, les évolutions durant l'entre-deux-guerres, et enfin les mutations de l'après-guerre jusqu'à nos jours. Cette histoire commençant en 1870, et avec ce paradoxe de commémorer une défaite, tous les rituels suivants se lisent en comparaison avec les pratiques établies sous la Troisième République. L'auteur donne une définition assez large des "fêtes de guerre": "les célébrations organisées pendant et après les combats" (p.10) — ce qui lui permet de recourir à un corpus de sources très diverses, telles que les décrets nationaux, les discours prononcés par les notables locaux, des chansons populaires, l'enseignement patriotique à l'école, et, bien sûr, les monuments ainsi que les mises-en-scène des rituels commémoratifs eux-mêmes. Dans chaque partie du texte, Rémi Dalisson étudie les rapports divers qu'entretiennent le régime politique, les pouvoirs locaux et les groupes de la société civile (associations civiques et religieuses, mouvements d'anciens combattants) qui veulent tous faire de ces fêtes de guerre le socle de leur idée de la nation et de son avenir.

Ce faisant, il aboutit à des conclusions parfois paradoxales quoique logiques. Par exemple, le fait que les commémorations de la défaite de 1870 ont, en fin de compte, mieux servi à légitimer la Troisième République, puisqu'elles ralliaient la nation autour d'un avenir glorieux et revanchard, que celles qui célébraient la victoire de 1918, une victoire si douloureuse qu'elle n'a pas permis une seule idée fédératrice de la France et de ce qu'elle devrait devenir. Moins surprenant, le fait que les célébrations de la Résistance, en présentant l'image d'un pays uni contre l'envahisseur, ont été beaucoup plus unificatrices et donc soutenues par le pouvoir, que les commémorations des guerres coloniales, qui ne sont arrivées que tardivement puisque trop évocatrices d'inquiétudes à propos de la nation. En effet, le propos central de cette étude à la fois profonde et large est que les fêtes de guerre ont servi surtout à légitimer le régime politique, mais qu'elles ont offert aussi l'occasion de résister et contester le pouvoir, proposer d'autres idées de la nation.

Cet ouvrage a de nombreux points forts, en particulier la rigueur méthodologique qui sous-tend un récit clair gardant pourtant toujours en vue la complexité et les contradictions des phénomènes. Dans chaque partie, Rémi Dalisson commence avec les rites commémoratifs eux-mêmes ainsi que les personnes en charge de leur production (les écrivains, les architectes, les associations), avant d'en analyser la réception et les effets : l'assimilation et la contestation. Le texte traite habilement plusieurs types de sources : les discours politiques et populaires, les rituels dans l'espace et le temps. De plus, l'ampleur de la chronologie éclaire notre connaissance du XXe siècle : commencer par les effets sur l'imaginaire collectif des commémorations d'une défaite rend plus clairs les buts politiques qu'ont servi les commémorations de la guerre de 14-18, ainsi que les célébrations de la Résistance, et les enjeux difficiles de la mémoire autour des guerres coloniales.

Ceci dit, cet ouvrage semble laisser de côté quelques questions historiographiques qu'il aurait été utile d'évoquer. Par exemple, puisque le texte fait de la construction d'une identité consensuelle républicaine l'une des clés de cette histoire de la Troisième République, on se demande pourquoi l'auteur n'a pas considéré le débat autour de ce concept, d'autant plus qu'il a été mis en question par d'importants historiens. Et à ce propos, l'ouvrage semble trop proche de l'œuvre d'Antoine Prost, en particulier par le recours à de nombreuses sources primaires que l'on trouve aussi dans ses ouvrages. Le texte ne dialogue presque pas avec l'historiographie anglophone pourtant considérable sur la commémoration des guerres en France, mis à part le travail de Jay Winter. Or, les écrits de Daniel Sherman, par exemple (en particulier The Construction of Memory in Interwar France, University of Chicago Press, 1999, qui est consacré à la création de monuments de la Grande Guerre et les débats autour de leurs sens) auraient ajouté peut-être d'utiles perspectives. Enfin, le texte généralise parfois sans s'appuyer sur la recherche primaire — comme, par exemple, en confondant les buts des différentes associations d'anciens combattants d'Algérie, qui n'étaient pourtant pas vraiment identiques (p.241).

Ces quelques remarques ne diminuent pas pour autant la valeur de l'ouvrage : il s'agit d'un livre à la fois utile pour les spécialistes en histoire militaire, politique et commémorative, mais aussi d'un récit passionnant pour l'amateur.


Anndal Narayanan
( Mis en ligne le 12/11/2013 )
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