| Ivan Cadeau La Guerre de Corée - 1950-1953 Perrin 2013 / 24 € - 157.2 ffr. / 370 pages ISBN : 978-2-262-03734-5 FORMAT : 14,1 cm × 21,1 cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
A lheure dune immense commémoration, qui va sétendre sur quatre années, de la Grande Guerre désormais centenaire, un constat doit être fait : il y a des guerres plus populaires que dautres, des guerres considérées comme majeures et dautres qui paraissent mineures. La guerre de Corée qui, de 1950 à 1953, déchire la péninsule coréenne et illustre, pour la première fois, les périls de la Guerre froide à peine théorisée, semblent appartenir à cette seconde catégorie, tant elle est ignorée du grand public (qui sen tient à MASH) en dépit de travaux historiques (plutôt anglo-saxons) et de la participation dun bataillon français.
Et pourtant : avec ses deux millions de morts et plus, ses divers débats (Mac Arthur et la bombe, «Ridgway la peste», les «volontaires» chinois, etc.) et un résultat qui demeure, jusquà nos jours, un abcès dans les relations internationales et la cause de tensions récurrentes, elle justifie le regard. Aussi faut-il se réjouir de cette étude, due à la plume dIvan Cadeau, docteur en histoire et officier, et qui, après une forte évocation de Diên-Biên-Phu (Tallandier), sattache à suivre le cours dune «guerre oubliée» et pourtant cruciale.
Louvrage sorganise de manière classique et dialectique, en commençant par les prémices, le contexte local (lhistoire de la péninsule coréenne jusquà loccupation japonaise) et international (la fin de la Seconde guerre mondiale, lémergence de la guerre froide et les tensions en Asie, la brouille croissante entre soviétiques et américains, limprobable fixation du 38e parallèle), pour finalement rentrer dans le vif du sujet : linvasion coréenne du Nord du 25 juin 1950 et ses suites. Une invasion prévisible, mais à laquelle le Sud finalement peu équipé nétait pas prêt, doù le raz de marée nordiste des premiers temps, renforcé par une guérilla communiste au Sud et un régime impopulaire, celui de Syngman Rhee.
Mais lerreur de Kim il Sung, principal responsable de laffaire, réside dans une mauvaise compréhension de la situation internationale : lONU, les USA ne ferment pas les yeux, et réagissent. Encore faut-il en avoir les moyens matériels et humains et passé lenthousiasme initial, le commandement américain découvre que son armée na plus lefficacité des années 43-45. Le bilan, établi par lauteur, est à ce sujet impressionnant, et il faut attendre le 17 août 1950 après la perte de Séoul et un retrait tactique importante pour que le cours de la guerre sinverse (mais cela nest quun début) et que le contingent américain commence à peser. LAmérique pense alors en finir, non seulement avec lagression, mais, pourquoi pas, avec le régime nordiste, et ce avec un mandat onusien
Mais lintervention chinoise officieuse mais prévisible - vient rapidement contrarier ce programme, et installer la guerre, une guerre longue.
Entre rejeu de la Seconde Guerre mondiale (les opérations amphibies, tel le débarquement dInchon, pensé par Mac Arthur, ou plus largement létat desprit des soldats américains arrivant en Corée) et choc de modernité (lémergence de la Chine communiste et de la Corée de Kim il Sung, la question des avancées technologiques et leur influence sur le cours du conflit, la question de lemploi du nucléaire, etc.), la guerre de Corée est un conflit déroutant pour les belligérants, une transition qui illustre parfaitement les problématiques inhérentes à la Guerre froide.
Parti dune guerre civile, le conflit, de local, dégénère, se régionalise, avec lentrée en scène de lONU, larrivée des Américains et des contingents étrangers (dont un contingent français, qui se fait remarquer par une charge à la baïonnette), ainsi que, à partir doctobre 1950, des premiers «volontaires» de larmée populaire chinoise. Cest tout lenjeu de cette étude de souligner cette dimension de guerre transitionnelle. Car la guerre, indiscutablement «nouvelle», a pourtant des accents connus, jusque dans les débats engagés (les crimes de guerre nord coréens, la question de lusage des armes bactériologiques par larmée américaine, qui renvoie aux exactions japonaises de la guerre précédente). On y retrouve du reste la figure charismatique dun Mac Arthur, véritable proconsul américain en Asie (du moins jusquà sa mise à lécart) et lon comprend mieux la virulence des attaques politiques contre le général Ridgway, son successeur, qui parvint à inverser la situation, critique, de 1951. Car la guerre fut également un duel de propagande, une dimension désormais intégrée à la bataille, et explorée dans louvrage, débats compris.
De facture très classique, louvrage défriche largement une historiographie anglo-saxonne ample. A cet égard, il fixe les grandes lignes du conflit, analyse les forces en présence et décrit, assez minutieusement (voire sèchement) les péripéties et scansions tactiques de la longue guerre coréenne, en entrecroisant au passage les points de vue (militaire, politique, diplomatique, etc.). La synthèse est, de fait, efficace, on ne se perd pas trop dans les mouvements des unités (en dépit dun appareil cartographique plutôt mince), et lensemble offre du conflit une vue large, même si langle américain est, faute darchives nord coréennes, privilégié.
De ce fait, cet ouvrage se range dans cette «nouvelle histoire bataille», une histoire militaire qui sait prendre du champ pour saisir la dynamique politique du conflit autant que les enjeux stratégiques des mouvements des armées. On regrettera peut-être que lauteur ne se soit pas davantage promené au ras du sol, au cur du combat et parmi les troupes ou la population : la dimension anthropologique et culturelle, abordée sous langle des représentations de ladversaire, reste à développer, de même que la situation des civils, esquissée. Mais cet ouvrage synthétique est le bienvenu, complétant une toujours maigre bibliographie francophone sur la question.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 03/12/2013 ) Imprimer | | |