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Le cœur a ses raisons…
Christopher Duggan   Ils y ont cru - Une histoire intime de l’Italie de Mussolini
Flammarion - Au fil de l'histoire 2014 /  28 € - 183.4 ffr. / 488 pages
ISBN : 15,3 cm × 24,0 cm
FORMAT : 978-2-08-122835-1

Cécile Dutheil de La Rochère (Traducteur)

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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Le consensus, c’est ainsi que l’historien du fascisme Renzo de Felice qualifiait l’Italie du milieu des années 30, domestiquée par le fascisme et désormais en phase avec son régime politique : une thèse qui fit, en 1964, l’effet d’une bombe dans une Italie républicaine, née d’une histoire mythifiée de la résistance et de la libération.

Les Italiens furent donc des fascistes… Certes, les modes d’adhésion au régime furent variés et, comme dans d’autres contextes, entre la ferveur et le refus, il existe une zone grise, entre attentisme, légalisme et espoir diffus. Il s’agit donc de cartographier cette zone grise, d’en examiner les contours et de discerner, au-delà des attitudes convenues, les modalités de l’adhésion des Italiens au fascisme. Partant d’une étude des journaux intimes conservés dans l’Archivio diaristico nazionale (Pieve San Stefano), dans l’Archivio della scrittura popolare (Trente) et des lettres adressées au duce (conservées aux archives de l’Etat), l’historien Christopher Duggan, professeur d’histoire italienne à l’université de Reading, entend saisir la nature intime de ce consensus. Plus largement, à la manière d’un Ian Kershaw pour la Bavière, il veut analyser le cours de l’opinion : non pas celle qui s’exprime dans l’espace public, relayée par les médias, mais celle que l’on réserve à la famille, au secret d’un journal intime ou d’une lettre adressée au duce.

De 1919, avec l’émergence du mouvement fasciste, jusqu’à sa chute, il s’agit d’établir une histoire des représentations populaires du fascisme, de sa «lecture» par la population italienne, hors de toute démonstration d’une «religion civile» ritualisée. En ce sens, cet ouvrage, loin de décalquer les travaux majeurs d’Emilio Gentile, entend plutôt en examiner les marges, le reflet dans les consciences. On débute dans une Italie traumatisée par la Grande Guerre, déçue par la paix et plongée dans une crise politique aux allures de guerre civile. Une jeunesse préservée de la Guerre, mais en quête d’une aventure équivalente, se mêle à une génération du feu déçue par les lendemains de Versailles. Le mouvement cristallise, d’abord autour du poète Gabriele d’Annunzio, puis de l’ancien leader socialiste révolutionnaire, rallié à la guerre : Benito Mussolini. Progressivement, le fascisme mue, de mouvement en milice, de milice en parti, jusqu’à la conquête du pouvoir et sa réorganisation selon des principes autoritaires, puis totalitaires.

Pour ceux et celles qui souhaitent lire une bonne synthèse sur l’histoire du fascisme, l’ouvrage de Christopher Duggan se recommande, par sa clarté et son esprit de synthèse. L’auteur parcourt l’histoire du fascisme, évoquant rapidement ses principaux aspects (police politique et répression des opposants, contrôle de la population, luttes de pouvoir au sein du parti entre le duce et ses hiérarques, conflit avec l’Eglise, etc.). Mais le mérite de ce livre ne se limite pas à cette seule synthèse. L’auteur explore un aspect original de l’histoire du fascisme, perçu non pas du point de vue de l’appareil d’Etat ou des hiérarques du parti fasciste, mais plutôt de la masse, des obscurs, partisans du système ou détracteurs discrets, simples citoyens fascinés ou terrorisés – si l’on suit la logique du totalitarisme évoquée par H. Arendt, entre foi et terreur.

Alternant récit et citations d’extraits de journaux, de lettres, C. Duggan sait raconter tout en pesant, avec soin, l’usage de ses sources (avec quelques accidents de traduction toutefois). Dès son introduction, l’auteur pose en effet la question majeure des sources et de leur lecture critique : que croire, que retenir d’un écrit privé dans un contexte de dictature ? Comment faire la part de l’exutoire ou de l’autocensure ? Et plus encore, comment distinguer, dans une missive adressée au duce, la ferveur et le calcul d’intérêt ? Ces précautions sont importantes tant, par la suite, certaines citations peuvent sembler excessives en évoquant la ferveur, manifestée dans les lettres comme dans les visites à la maison natale de Mussolini, à Predappio, devenue un musée et quasiment un temple du fascisme. Prudemment, l’auteur prend la précaution de replacer ces extraits émouvants ou grotesques dans leur contexte et dans la masse des archives. Le résultat est très efficace et le lecteur se retrouve un peu dans la position de Claretta Petacci, la maîtresse de Mussolini, qui, dissimulée derrière lui lors d’un discours public sur la piazza di Venezia (Rome), put mesurer l’adulation du public romain.

Des sentiments qui s’érodent avec les guerres : certes, il existe d’emblée une opposition, muselée, réprimée, pourchassée et assassinée, en Italie comme ailleurs. C. Duggan lui consacre un chapitre, mais il s’intéresse, bien plus logiquement, aux marques croissantes de doute, de défiance… plus difficiles à capter du fait des fonds utilisés. La ferveur s’effiloche, les regards s’aiguisent, le rapport au fascisme passe par le rapport au duce, un rapport où les sentiments l’emportent sur la raison. Les Italiens (jusqu’à nos jours : cf. l’épilogue de l’ouvrage) demeurent tout à la fois fascinés et irrités par l’ometto – le petit homme venu du peuple et devenu le duce.`

Le charme de cet ouvrage réside d’abord dans le choix d’une histoire-récit (servie par une traduction, élégante) : plutôt qu’une monographie érudite, il s’agit d’une synthèse, qui fait la part des faits et de la narration, pour donner de la période une image plus immédiate, plus dense. L’auteur fait son miel des correspondances énamourées adressées au duce, comme il cite, avec bonheur, les journaux intimes des partisans des fasci, puis du régime : l’adhésion, plutôt que le rejet, est au cœur de la démonstration. Il s’insinue dans les familles, observe les débats, analyse les conflits de génération, se fait l’écho des rumeurs et mythes élaborés par le régime, entraîne le lecteur jusque dans l’intimité amoureuse de Mussolini. Certes, il ne s’agit pas d’une révolution historiographique, mais avec cette «histoire intime de l’Italie de Mussolini» (le sous-titre est meilleur que le titre Ils y ont cru, racoleur), on dispose d’un ouvrage passionnant à lire, un bel exemple d’une histoire narrative, assumée, au service d’une démonstration efficace.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 27/05/2014 )
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