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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Une page sombre de la Libération | | | Philippe Bourdrel L’épuration sauvage 1944-1945 Perrin 2002 / 24 € - 157.2 ffr. / 571 pages ISBN : 2262017506 Imprimer
Fruit de la réédition dun ouvrage initialement paru en deux tomes en 1988 et 1991, Lépuration sauvage de Philippe Bourdrel nous revient sous une forme augmentée et enrichie de nouvelles archives régionales. Lors de sa parution, ce livre sétait surtout signalé par limbroglio judiciaire qui avait alors accompagné sa diffusion. Retirée de la vente à la suite de la plainte pour diffamation du fils dun F.T.P. incriminé par lauteur, cette étude était du coup passée plus inaperçue quelle ne le méritait, bien quelle vînt, en contrepoint de Lépuration française de Peter Novick ou de Lépuration dHerbert Lottman, éclairer un phénomène capital pour la compréhension de la France de la Libération : lépuration illégale, menée anarchiquement et hors de toute justice autorisée.
Lampleur de cette épuration sauvage comme la diversité de ses formes donnent toute la mesure de son importance historique. En effet, les 791 condamnations à mort légalement prononcées et mises à effet font pâle figure au regard des 10 000 à 15 000 exécutions sommaires qui émaillèrent la Libération, les procès officiels ne pèsent guère face aux innombrables sévices, attentats et autres fusillades tenant lieu de seul jugement prononcé arbitrairement et en toute impunité.
Bourdrel insiste à raison sur le climat de guerre civile dans la guerre qui a précédé et préparé ce climat insurrectionnel qui se répandit de toutes les exactions possibles. Si cette terreur sourde sabattit sur toute la France et prit partout le même visage, il apparaît que son intensité varie selon les régions et atteint un niveau particulièrement dramatique au sud dune ligne reliant lestuaire de la Gironde à la capitale des Gaules. Le Limousin fut le théâtre privilégié de ce jeu de pancrace intestin. Déboussolée par laffaissement de lautorité de Vichy au profit de maquis engagés dans une lutte dinfluence sans merci, terriblement éprouvée par des colonnes nazies itinérantes et ivres de sauvagerie, la région paya un lourd tribut à cette épuration sauvage et devint une sorte de «champ clos de la violence».
Les motivations de ces actes sont peu ou prou de même extrace. Derrière la rhétorique de la défense de la liberté, elle est certes une arme politique redoutablement efficace dans un contexte de guerre civile. Pour autant, du Nord au Sud, elle dissimule un nombre incalculable de règlements de compte, de vengeances personnelles assouvies dans le plus grand désordre au nom dun idéal politique. Le Parti communiste, plus enclin à prendre ses ordres à Moscou que den recevoir du gouvernement du général de Gaulle, tint un rôle particulièrement coupable dans lattisement des passions, préalable, selon lui, à lenclenchement dun processus révolutionnaire. Lidentité et lappartenance sociale des victimes désignées ou choisies au hasard furent donc pour la plupart sans surprise : les «ennemis de classe», bourgeois, prêtres et infortunés possédants désignés comme collaborationnistes ou pétainistes ; les résistants gaullistes ou issus de la droite, dangereux concurrents ; les élites locales, socialistes et radicales, accusées davoir trahi la révolution que le Front populaire était censé inaugurer.
À la fois séquelle de lOccupation et revers de la Libération, lépuration sauvage a terriblement assombri la page des années dimmédiat après-guerre comme elle a durablement meurtri la mémoire de ses victimes, souvent injustement frappées, et de leurs descendants. Limportance de cet épisode de lhistoire de France, plus grande encore dans certaines régions, a pourtant longtemps été minimisée par les historiens et le populaire. Louvrage de Philippe Bourdrel, loin dêtre un simple inventaire régional de ce phénomène, lui donne tout son relief et lui confère enfin sa juste place dans lhistoire des années noires.
Jérôme Cotillon ( Mis en ligne le 25/01/2003 ) Imprimer | | |
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