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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Trois odyssées politiques
Philippe Burrin   La dérive fasciste - Doriot, Déat, Bergery. 1933-1945
Seuil - Points histoire 2003 /  10.50 € - 68.78 ffr. / 589 pages
ISBN : 2-02-058923-0
FORMAT : 11x18 cm
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L’histoire offre maints exemples d’itinéraires intellectuels et politiques dont les tracés n’ont pas la rectitude que l’on attendrait. La division schématique des espaces politiques entre droite et gauche rend vraisemblablement caduque toute passerelle d’un camp à l’autre voire d’un extrême à l’autre. Or ces passages de guets existent et l’historien se doit de les interroger. Le basculement du dreyfusisme dans l’antidreyfusisme, du syndicalisme dans la réaction monarchique (pensons à Georges Valois), du socialisme dans le fascisme ou le négationnisme (Paul Rassinier fut un ancien communiste puis socialiste) sont des phénomènes marginaux mais observés. Leur marginalité ne les rend pas sans intérêt, bien au contraire. Car ces parcours éclairent les atmosphères historiques, politiques et intellectuelles qui permirent leur déroulement. Symptômes de temps de crise, ils permettent de mettre à jour des accointances insolentes, ces voies de passage possibles entre des univers que l’on aurait cru incommunicables.

Doriot, Déat et Bergery sont ici emblématiques. Figures importantes du communisme, du socialisme et du radicalisme de l’entre-deux-guerres, chefs de file de la lutte antifasciste, ils furent pourtant trois exemples remarquables de la collaboration et d’une certaine «imprégnation fasciste» (Raoul Girardet). C’est cette métamorphose politique que Philippe Burrin, spécialiste des fascismes et professeur à l’Institut des hautes études internationales de Genève, interroge. A travers ces trois itinéraires, c’est la question de la crise politique et sociale française de l’époque qui est posée, celle du fascisme français de même.

Cette dernière question suscite depuis une vingtaine d’années un débat historiographique important comme d’indéniables enjeux de mémoires. Philippe Burrin apporta en 1986 avec La Dérive fasciste une contribution déterminante sur ces polémiques. Sa position s’oppose à celle développée par Zeev Sternhell dans ses fameux ouvrages (La Droite révolutionnaire, Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France). Si l’historien israélien tend à montrer les origines françaises du fascisme européen comme la réalité d’un fascisme français dans les années trente, Philippe Burrin s’intéresse non pas à la question de l’existence du phénomène mais aux processus de sa dissémination et à leurs limites. L’ouvrage est un admirable travail sur la fascisation dans l’Hexagone.

Comprendre le phénomène fasciste demande un effort préalable de définition, une construction idéaltypique devant permettre de le saisir dans ses nuances et ses adaptations. Philippe Burrin le définit par quatre éléments délimitant un gradient ou un spectre, une nébuleuse fascistoïde où des hommes et des mouvements chez lesquels la réverbération fasciste fut plus ou moins poussée s’inscrivent. Le fascisme est ainsi un phénomène politique et idéologique cherchant le rassemblement d’une communauté nationale soudée par des valeurs morales, une foi collective, un dévouement de chacun pouvant aller jusqu’au sacrifice, une structure hiérarchique forte se traduisant par le rejet d’éléments supposés allogènes et la toute puissance d’un chef absolu. Investie d’une mission, cette communauté doit en outre exprimer sa puissance par une politique agressive d’expansion. Chacun des éléments ici donnés importe pour que l’on puisse parler de fascisme. L’intégration incomplète de ceux-ci chez certains est révélatrice d’une imprégnation fasciste dont le caractère parcellaire ne doit pas être oublié. Sans cette rigueur, pourraient être qualifiés de fascistes des hommes aussi différents que De Gaulle ou les intellectuels du groupe Esprit. Ce serait un contresens.

L’entre-deux-guerres est en effet une époque de crise pendant laquelle ces différentes thématiques furent portées par des hommes aux sensibilités politiques très diverses. Cet «esprit des années trente» rassemble maints exemples de ces «non-conformistes» (Jean Loubet del Bayle) critiques envers le libéralisme, cherchant à dépasser l’opposition entre gauche et droite, en quête d’un élan spirituel que la IIIe République, démocratie parlementaire paralysée par les luttes de partis, a selon eux éteint. Chez la plupart d’entre eux, la crise économique et politique fait naître des projets nouveaux, la recherche d’un Etat plus fort, plus compétent, plus technicien sans que le cadre démocratique et les libertés fondamentales doivent être forcément sacrifiés. Les Etats-Unis de Roosevelt et du New Deal sont un horizon à atteindre chez beaucoup. D’autres regardent de manière ambiguë les réalisations des régimes fascistes. Tous sont persuadés d’être entrés dans un mouvement historique général appelant une refonte et une modernisation de la démocratie, voire sa destruction. C’est dans ce contexte que les trois hommes ici considérés s’inscrivent. Hommes de gauche jusqu’à la défaite, ils expriment cette volonté de changement. Ils illustrent ces «relèves des années trente» récemment étudiées par Olivier Dard (Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, PUF, 2002).

Un autre trait d’union fondamental, négligé par Zeev Sternhell, est la Grande Guerre. L’expérience des tranchées chez la plupart de ces hommes fut décisive à deux égards. La communion fraternelle vécue au front fut une expérience marquante que beaucoup chercheront ensuite à retrouver. L’élan collectif et vitaliste des régimes fascistes, comme les quêtes de rassemblement populaire chez Déat (le Rassemblement National Populaire est son instrument après l’expérience du néo-socialisme), Doriot (fondateur du Parti Populaire Français après son exclusion du PC) ou Bergery (chef du file du Frontisme), passées les ruptures avec leur partis respectifs au début des années trente, expriment cet idéal de la «fraternité virile» (Malraux). Mais la guerre fut aussi une blessure. Elle est à l’origine du pacifisme foncier réunissant ces hommes et expliquant leur choix futurs. Dans l’évolution intellectuelle et politique de ces trois personnages, le poids de la conjoncture internationale est frappant. Déat refusera de «mourir pour Dantzig» comme on sait.

Ce pacifisme intrinsèque pose problème car manque dès lors au fascisme français cette dimension essentielle qu’est l’impérialisme agressif, le militarisme conquérant. Bien plus, conduits par leur imprégnation fasciste et la crainte d’une guerre à l’entente et à la collaboration avec l’Allemagne dans les années quarante, ces hommes mêleront une identité fascisante à l’acceptation de la domination du vainqueur. Cet apparent paradoxe permet à l’historien de forger le concept de «fascisme collaborateur». La moindre affirmation du culte du chef, comme celle de l’antisémitisme, conduisent également à relativiser chez eux cette dimension fasciste. Plus cependant qu’un simple «badigeon à la romaine» (René Rémond) sur une culture politique dès lors plutôt traditionaliste ou autoritaire, ces trois expériences sont des fascismes dégradés ou «déficitaires» (p.104), adaptés à des réalités personnelles et nationales qui les limitent en retour.

Philippe Burrin explique brillamment les risques de dérive fasciste chez certains hommes de gauche. Des pratiques politiques communes (le rassemblement des masses, l’activisme, etc.), la quête d’idéaux spirituels, d’un changement social, le danger d’un désenchantement dans un contexte de crise et de marginalisation politique, peuvent conduire à cette déviation. Chez eux, le fascisme apparaît comme une solution concurrente à des maux similaires. Combattant le fascisme et le nazisme, ils restent cependant impressionnés par eux. Il s’agit de plus en plus de les remplacer et non de les abattre, en reprenant certaines de leurs pratiques, au risque d’une plus grande contamination. Bergery et Déat expriment cette idée d’une «course de vitesse». Philippe Burrin se fait l’inspecteur patient de cette contagion idéologique que l’on retrouve à des degrés divers chez d’autres hommes de gauche tels Jean Luchaire, Paul Marion, le socialiste belge Henri de Man, Félicien Challaye, Alfred Fabre-Luce, etc.

Déat, Bergery et Doriot furent d’incontestables «collaborationnistes» (l’expression est de Déat lui-même). Ils appartiennent à la «nébuleuse de ces Français à la recherche d’une rénovation de leur pays, dans le sillage de la guerre, dans le contexte immédiat de la crise et sous le surplomb des fascismes triomphants» (p.102). Ajoutons dans le cas de Doriot l’importance de l’engagement communiste et de la rupture avec le PCF et le Komintern. Chez lui, le collaborationnisme et l’identité fasciste plus marquée que chez d’autres doivent beaucoup à un désir de revanche. Les ambitions personnelles, les frustrations de ces marginaux, expliquent ainsi en grande partie leurs progressifs dérapages. Philippe Burrin parle de «fascisation par l’échec» (p.325).

Mais la culture politique de gauche demeure chez ces hommes et sert aussi de garde-fou. L’attachement aux droits individuels, aux libertés fondamentales, l’enracinement à gauche face à une culture politique de droite, et même d’extrême droite, sont des barrières qui comptent. En France, la longue tradition républicaine et démocratique explique de manière générale la faible implantation du fascisme, tout comme, de l’autre côté, la prégnance d’un courant traditionaliste ne pouvant faire sien le message révolutionnaire des fascismes. Vichy s’inscrit dans une culture politique ancestrale et étrangère aux fièvres nationales-socialistes.

L’attention méticuleuse portée à ces trois itinéraires à la fois singuliers et exemplaires apparaît comme un grand travail d’historien. Elle montre tour à tour la réalité d’une fascisation en France et les nombreux bémols qui doivent y être apportés. Cet ouvrage permet de dépasser le débat souvent stérile opposant l’école sternhellienne à une école historique française parfois sur la défensive. Elle permet aussi de montrer comment un homme de gauche peut finir dans l’orbite du nazisme sans que ne soit enlevé à cette culture politique son appartenance à l’extrême droite, n’en déplaise à ses représentants actuels. Il faut donc saluer la publication au format poche de cet ouvrage de référence et inviter à sa lecture.


Thomas Roman
( Mis en ligne le 24/06/2003 )
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