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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Lorsque les religieux étaient des parias... | | | Christian Sorrel La République contre les congrégations - Histoire d'une passion française (1899-1904) Cerf 2003 / 23 € - 150.65 ffr. / 270 pages ISBN : 2-204-07128-5 FORMAT : 13x20 cm
L'auteur du compte-rendu: archiviste-paléographe, Séverine Blenner est agrégée d'histoire et actuellement membre de
l'Ecole française de Rome. Elle prépare une thèse sur "La figure de l'évêque
concordataire au XIXe siècle : modèle romain, réalités françaises". Imprimer
Christian Sorrel a choisi daborder un sujet délicat de lhistoire de la laïcité française en revenant sur la politique anticongréganiste du Bloc des Gauches au tournant du XXe siècle. Bien quévoquant une période de près dun siècle et demi, lauteur réalise une synthèse courte et dune grande clarté qui manquait à la bibliographie de lhistoire du catholicisme. Ce faisant, il comble une lacune imputable à la tentation de passer longtemps sous silence un épisode douloureux et contestable de la politique anticléricale de lÉtat français au temps de la Séparation.
Si lanalyse approfondie des lois de 1901 et 1904 constitue le cur de létude, Christian Sorrel prend le temps de dresser préalablement un bilan de létat des congrégations en France vers 1880. Il met en évidence leur essor spectaculaire dans une dynamique de reconstruction au lendemain de lintermède révolutionnaire qui les avait laissées exsangues. Cette prospérité retrouvée se traduit à la fois par une augmentation quasi constante des effectifs pendant le XIXe siècle, par la création de maisons nouvelles, mais aussi par la diversification de leurs champs daction, même si lenseignement, les uvres hospitalières et les missions restent les mieux représentés.
Un tel développement ne manque pas cependant dinquiéter les partis de gauche et les partisans de la libre pensée qui voient dans les congrégations, lieux dendoctrinement et dasservissement, une menace pour la liberté des individus. Aussi font-ils de la lutte contre les religieux lune de leur priorité à partir de la fin des années 1870. Les premiers textes hostiles aux congrégations sont adoptés en mars 1880, dans le prolongement des lois scolaires, tandis que linstauration dune taxe dabonnement en 1895 lance lattaque sur le plan fiscal.
Larrivée au pouvoir du cabinet de Défense républicaine, à lété 1899, présidé par Waldeck-Rousseau, facilite lintensification de la lutte contre le milieu congréganiste que lon accuse dattiser le mouvement nationaliste de droite, à linstar des Assomptionnistes et du journal La Croix, antidreyfusards. La loi du 1er juillet 1901 «sur le contrat dassociation» vise directement les congrégations en les obligeant à demander une autorisation dans un délai de trois mois, sous peine de dissolution (titre III). Suivant la ligne de conduite posée par Rome qui, bien que condamnant la loi, leur laisse pleine liberté deffectuer la demande dautorisation, les supérieurs se soumettent en déposant des dossiers de demande. Mais la victoire du Bloc des Gauches aux élections législatives de mai 1902 et larrivée à la présidence du Conseil du radical Émile Combes, conduisent à lexamen des demandes dans un sens restrictif et à la fermeture, dès lété, des écoles congréganistes non autorisées. Le rythme des expulsions et des liquidations saccélère au cours de lannée 1903, en dépit des réactions populaires de soutien aux établissements condamnés. Le coup de grâce est porté le 28 mars 1904 lorsquun amendement interdit purement et simplement «lenseignement de tout ordre et de toute nature aux congrégations». Se pose alors inévitablement la question de lavenir de dizaines de milliers de religieux qui avaient fait de linstruction leur terrain daction privilégié.
Christian Sorrel y répond, dans la dernière partie de son ouvrage, en analysant les conséquences des lois de 1901 et 1904 sur le devenir des congrégations contraintes de gérer des départs nombreux et une chute immédiate des vocations. Les religieux dont les maisons ferment sont confrontés à un choix cornélien : pour eux il ny a dautre alternative que la reconversion et, partant, labandon de létat religieux et de lhabit ou lexil. Dans les diocèses, évêques et notables appellent les religieux à se séculariser pour assurer la survie de leur uvre. Ceux qui choisissent de rester fidèles à leur vocation cherchent de nouvelles terres daccueil, de préférence peu éloignées des frontières françaises (Belgique, Espagne, Suisse francophone) car ils ne perdent pas lespoir dun retour rapide dans leur patrie dorigine. Ce sont 30 à 60 000 religieux qui partent ainsi fonder des établissements à létranger. Beaucoup y resteront, contribuant à linternationalisation des congrégations ; dautres regagnent le sol français alors quéclate la Première Guerre mondiale. Confiant en louverture créée par lUnion Sacrée, puis par la reprise des relations avec le Saint-Siège dans les années 1920, certains religieux exilés rentrent en France. La loi du 8 avril 1942, qui modifie larticle III de celle du 1er juillet 1901 et supprime le délit de congrégation, met définitivement fin à la chasse au religieux.
Bien documentée, enrichie par de nombreux exemples régionaux, cette synthèse a le mérite de traiter la question des congrégations sur le long terme, de leur renaissance au XIXe siècle à leurs efforts pour survivre au XXe siècle dans une société où lhabit religieux a cessé de faire partie du paysage quotidien. Sans jamais tomber dans lécueil du catalogage, lauteur distingue très justement les réactions suscitées par les lois de 1901 et 1904 au sein de la famille catholique, que lon nous présente habituellement figée dans une attitude dopposition bornée et impuissante. Il montre ainsi les états dâmes des supérieurs, divisés quant au parti à prendre au lendemain de linterdiction de leur ordre et déchirés à lidée de devoir en ordonner la fermeture, celui de Rome, partagée entre son désir dexprimer son soutien aux congrégations persécutées et sa volonté de ménager ses relations avec lÉtat français, celui enfin des évêques français auxquels le Concordat imposait le silence mais qui sinquiètaient de voir péricliter les uvres de leur diocèse avec la fermeture des maisons religieuses qui en assuraient le fonctionnement. Christian Sorrel replace enfin les dirigeants politiques de lépoque face à leurs responsabilités et sinterroge avec beaucoup de justesse sur les motivations dun État démocratique, qui sengage, au nom de la liberté des individus, dans une lutte acharnée au risque de porter atteinte à cette même liberté. Au final, on ne peut que se réjouir de la parution de cet ouvrage qui rappelle que la politique anticléricale des premiers gouvernements du XXe siècle ne se limite pas à la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican et à la Séparation de lÉglise et de lÉtat.
Séverine Blenner ( Mis en ligne le 14/11/2003 ) Imprimer
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