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D’obscurs éclaircissements sur leurs zones d’ombre… | | | Herbert Lottman L'écrivain engagé et ses ambivalences - De Chateaubriand à Malraux Odile Jacob 2003 / 25.90 € - 169.65 ffr. / 290 pages ISBN : 2-7381-1295-1 FORMAT : 16x24 cm
Traduit de l'anglais par Séverine Mathieu.
L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
A luniversitaire, Lécrivain engagé et ses ambivalences napprendra rien ; il lennuiera sans doute. Louvrage apparaît plus comme un essai estimable de vulgarisation, à lattention dun public plutôt amateur, quun grand livre dhistoire des écrivains français. On peut interroger dailleurs la publication en France dun ouvrage de toute évidence destiné au public anglais.
Herbert Lottman est néanmoins connu sous nos latitudes. Auteur dune biographie remarquable sur Flaubert (Fayard, 1989), il sest fait une réputation en tant que spécialiste de la vie intellectuelle française au sens large (de Colette à Man Ray, en passant par Camus, Pétain et les Rothschild !). Cette passion évidente pour les lettres et les idées françaises est palpable dans ses écrits, nourris dune érudition tout aussi sensible. Mais cette belle qualité est aussi un défaut : il en ressort un esprit touche-à-tout parfois déroutant, et des approximations dérangeantes.
Dans Lécrivain engagé, ces écueils apparaissent. Dabord dans la structure de louvrage, étrange. Divisé en trois parties, lessai commence par les errements des intellectuels lors de laffaire Dreyfus, se poursuit par un retour en arrière sur Chateaubriand, Lamartine, Sand et Hugo, pour revenir enfin sur lépoque moderne, avec Gide et Malraux. On ne comprend pas ce va-et-vient dans le temps, ni les choix faits par lauteur : quid de Sartre parmi les grands modernes, de Camus à qui lauteur consacra une autre biographie (Seuil, 1985), de Céline dont les ambivalences méritaient pourtant quelques développements ? Flaubert est également absent de ce panthéon boiteux, sans parler de Balzac, Stendhal, Mauriac
La liste est longue.
Lauteur semble préférer se concentrer sur quelques figures pour nous en exposer les ambiguïtés. Ainsi de lengagement suspect de Zola dans lAffaire, du véritable malstrom que celle-ci provoque dans le calme olympien des grands salons parisiens, des stratégies «marketing» de Chateaubriand, de la mythomanie et de laventurisme pendable de Malraux
Autant de pavés jetés dans la mare anglaise, peut-être, qui chez nous ne font que quelques vaguelettes. Avec peut-être un souci, que lon qualifierait hâtivement de typiquement anglo-saxon, pour le gossip, le commérage : ainsi du coming out de Gide, de lhostilité des Goncourt envers Zola, et des origines auvergnates dun Barrès, pourtant chantre de lenracinement lorrain (ce qui nempêche pas), entretenant sa maîtresse en impliquant Le Figaro
Plus graves sont certaines affirmations hâtives. Léon Daudet, ténor du maurrassisme, «que lon qualifierait aujourdhui de fasciste» (p.36), écrit lauteur, nétait évidemment pas fasciste. Ce nest pas le servir que laffirmer : il était antisémite, férocement, nationaliste, mais pas fasciste. De même, dire que «Clemenceau était lun des nombreux hommes de droite» (p.30) au moment de lAffaire, mériterait quelques sérieuses nuances, même si le radical farouche s'est assagi et s'il disait lui-même être un mélange à définir d'anarchiste et de conservateur. Enfin, déduire de la lecture de LAction française les sympathies nationalistes et antisémites d'auteurs comme Gide ou Proust est oublier limportante aura culturelle de Maurras à lépoque, dépassant largement les cercles du nationalisme et de lantidreyfusisme. Ce en quoi louvrage ne sadresse pas à un public français, semble-t-il. Ce pourquoi, dailleurs, lauteur ne cite dans le texte aucun des auteurs français, biographes de Malraux, Gide et dautres. Zeev Sternhell est par contre évoqué
Pour une bonne connaissance de tous ses écrivains, même dans leurs zones dombres, on conseillera plutôt les excellentes synthèses de Michel Winock Le Siècle des intellectuels et Les Voix de la Liberté (Seuil), la lecture de grandes biographies récentes tel André Malraux, une vie dOlivier Todd (Gallimard, 2002), et, surtout, pour ce qui est des dimensions cyniques et parfois peu glorieuses des engagements intellectuels, les analyses de lécole bourdieusienne sur les champs littéraires, elles aussi à débattre par ailleurs (Pierre Bourdieu, Les règles de lart. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1998 pour la dernière édition).
Thomas Roman ( Mis en ligne le 17/11/2003 ) Imprimer
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