|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
 | |
Désangoissement, Consentement, Extermination | | | Christian Ingrao Le Nazisme en guerre De Vive Voix 2003 / 19.60 € - 128.38 ffr. ISBN : 2-84684-047-4 FORMAT : 12x14 cm
Durée du CD: 67 minutes
L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
Les Editions De Vive Voix proposent de manière fort originale des introductions à lHistoire, aux Sciences et aux Lettres sur support CD. Pour chaque sujet retenu, un spécialiste prête sa science et sa voix. Citons, pour lhistoire, Olivier Wieviorka sur la Résistance, Michel Winock sur Mai 68, Joël Cornette sur Versailles ou encore Stéphane Audoin-Rouzeau sur la Grande Guerre. En une heure découte environ, lauditeur profite dun essai original et inédit sur ces divers thèmes, comme lors dun cours damphithéâtre mais assis dans son salon.
Christian Ingrao, jeune chercheur, auteur dune thèse récente sur «Les intellectuels SS du Service de Renseignement (1900-1945)», sest prêté à cette aventure éditoriale dans un essai stimulant sur le nazisme en guerre. La question est dune actualité historiographique brûlante, aidée par la question dagrégation actuelle en histoire contemporaine. Dans le sillon de David Goldhagen, plusieurs chercheurs se sont appliqués à discuter la thèse de léliminationnisme allemand et, plus généralement, lattitude des allemands «ordinaires» sous le nazisme, entre adhésion, soumission, attentisme et révolte.
Comme souvent, la vérité est au milieu, toute société humaine déclinant le spectre des attitudes honteuses et honorables de bout en bout. Mais le contexte joue sur les teintes et cette répartition, rendant compte de phénomènes sociaux massifs. Ainsi de lincontestable adhésion dun peuple à un régime. Outre les succès économiques (grands travaux, plein emploi), les grands coups de bluff géopolitiques et le paravent dune politique sociale (digne de Potemkine cependant), cest dans lexpérience de la Grande guerre, nous dit Christian Ingrao, quil faut chercher le moteur principal de ce ralliement.
Ce sont en effet deux générations entières dAllemands, qui font lexpérience dune guerre à lampleur inédite. Tous les dignitaires nazis ont connu le front. Tout allemand connaît alors le meurtre en masse ; des cercles de deuils simposent à une société fragilisée et inquiète, menacée par sa propre disparition. La violence et le deuil, dans sa dimension la plus morbide (pleurs des autres et crainte pour soi), sont les deux vecteurs de ce quil est désormais convenu de nommer une «culture de guerre», tout un système de représentations se prolongeant bien après larrêt des combats, qui plus est dans une société allemande pour laquelle cette guerre se poursuit dans la paix (humiliation du Diktat de Versailles).
Cest cette inquiétude, la crainte dun anéantissement non seulement territorial mais aussi biologique, qui expliquerait le ralliement de nombreux Allemands, notamment les étudiants, aux divers mouvements völkish. Le NSDAP nen est alors quune forme. Mais, prenant acte de cette guerre incessante à laquelle il imprime sa marque raciste, il projette un avenir utopique à même de conjurer ces inquiétudes funestes : le Reich de mille ans. Cette dimension utopique et cette cohérence idéologique expliquent en partie son succès. «La nazisme donnait ainsi un sens aux représentations marquées par langoisse de la disparition collective de lAllemagne et transfigurait ces représentations en un sentiment de ferveur», nous dit lauteur. «Aux yeux de ces élites étudiantes ethno-nationalistes, le nazisme transmutait ainsi en ferveur utopique langoisse de mort collective de la nation, intériorisée alors quils étaient enfants ou combattants», ajoute-t-il.
Cest là la thèse centrale de cette leçon. Convaincante mais aussi à nuancer, elle apporte une maille au réseau inextricable des causes du nazisme. Dautres évoqueront lépouvantail communiste (Ernst Nolte), dautres une prédisposition allemande à lantisémitisme exterminateur (Goldhagen), dautres les conditions socio-économiques de classes moyennes ébranlées par la crise de 1929 (Jurgen Kocka) ou encore un processus daccommodement (Philippe Burrin).
Christian Ingrao tient un propos dhistorien, documenté et circonspect. La présente allocution est agrémentée de lectures de documents : la lettre dun combattant pendant la Première Guerre mondiale, le fameux discours de Himmler sur la «solution finale» ou encore le célèbre témoignage de Kurt Gerstein sur les chambres à gaz.
Le CD se divise en sept sections chronologiques, de la Grande Guerre aux camps dextermination. Lauteur y explique méthodiquement les modalités de la croissance dans la violence, les expériences transgressives (meurtres de femmes et denfants), leugénisme et léliminationnisme final. Lobjet est accompagné dune courte mais utile bibliographie sur la question. On ne peut que conseiller découter cette leçon dhistoire, et féliciter léditeur de cette approche neuve et agréable.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 03/12/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L'Armée d'Hitler de Omer Bartov Avec Hitler de Robert Gellately La Résistance allemande contre Hitler. 1933-1945 de Barbara Koehn | | |
|
|
|
|