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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Eva, Magda, Marlene et les autres
Guido Knopp   Les Femmes d'Hitler
Pocket 2014 /  7,70 € - 50.44 ffr. / 432 pages
ISBN :  978-2-266-24328-5
FORMAT : 10,9 cm × 17,7 cm

Première publication française en janvier 2004 (Payot).

L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen.

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Célèbre journaliste allemand, auteur de documentaires historiques et de livres de vulgarisation à succès sur Hitler (sa biographie est éditée chez J. Grancher, 1998) et les hommes du Troisième Reich (Les Complices d’Hitler, J. Grancher, 1999), Guido Knopp s’intéresse cette fois aux femmes d’Hitler, par où il entend celles qui retinrent l’attention du Führer et furent jugées dignes de son amitié ou de son admiration : opportunistes apolitiques, sympathisantes nazies, simplement fascinées ou amoureuses, ou bien, le cas de «Marlene» Dietrich, opposante farouche et attaquée comme traîtresse à l’Allemagne, après avoir été longtemps courtisée par Goebbels et le Reich.

Fidèle à l’approche des livres précédents, l’examen du national-socialisme par les personnages symboles de l’ère nazie, ce nouvel ouvrage (en allemand Hitlers Frauen und Marlene, c’est-à-dire : Les femmes d’Hitler et Marlène) propose au lecteur de dissiper la fascination morbide pour Hitler par une série de biographies, celles des figures de la féminité qui définissent aussi le champ des intérêts d’Hitler dans un domaine qui appartient aussi bien aux thèmes du national-socialisme (la place de la vraie femme allemande) qu’à l’histoire de l’homme privé et de ses névroses. Sans apporter de révélations décisives pour les historiens, ce livre a le mérite de tenir sous un angle la cohérence des différentes faces du rapport d’Hitler avec le beau sexe et avec le sexe tout court.

Les six femmes «d’Hitler» occupent des places différentes dans la vie du Führer, jouent des rôles divers, viennent d’horizons très variés ; elles incarnent aussi des parcours et des types psychologiques. Se limitant à la période du pouvoir, Knopp a choisi de laisser de côté la première «maîtresse», son seul amour, Geli Raubal, qui se suicida avant la prise du pouvoir, frustrée comme le fut ensuite Eva Braun, que Knopp se contente de nommer «la compagne». L’unique épouse d’Hitler, d’un mariage scellé immédiatement avant leur suicide dans le bunker de la chancellerie assiégée, ne pouvait pas ne pas figurer dans cette galerie de portraits. Eva aura les faveurs du Chef (Knopp donne les arguments crédibles pour rejeter l’idée d’un rapport platonique) mais ne sera jamais que «l’amie» secrète et frustrée. Ces deux femmes incarnent l’amour-fascination, voué à l’échec, pour le mystère envoûtant d’Hitler, qui a opéré en un sens sur le peuple allemand. Images d’une folie pour un homme fuyant et voué à la séduction plus qu’à l’amour, dévoré par la politique, elles paieront de leur vie sans s’en libérer leur passion sans espoir et mourront pour attirer son attention.

Plus étonnante, la première de la série, Magda Goebbels, épouse du propagandiste du NSDAP et ministre de la Propagande du Troisième Reich. Knopp révèle en elle un parcours étonnant du sionisme au nazisme : car c’est elle qu’on peut dire «la disciple», respectée du Führer qui lui remet l’insigne d’or du parti dans Berlin en ruines, tandis qu’Eva est totalement apolitique. Incarnation de la femme aryenne, grande bourgeoise engagée et exhibée, elle joue la «première dame» auprès d’un Führer théoriquement célibataire, qu’elle adore.

A côté de ces admiratrices inconditionnelles d’Hitler, l’homme et le leader charismatique de la Nouvelle Allemagne, des figures du monde des arts : Winifried Wagner, belle-fille du compositeur préféré du Guide, adhérente au parti et caution de l’interprétation nazie de l’œuvre et de la récupération du Festival de Bayreuth ; Leni Riefenstahl, la cinéaste «apolitique» des grands films épiques du régime. L’héritière et l’artiste ne comprirent jamais les reproches qui leur furent adressés après 1945 et incarnent la revendication d’irresponsabilité, une bonne conscience obstinée et les accommodements rétrospectifs avec la vérité historique de leur fascination mutuelle avec Hitler. Zarah Leander, la chanteuse de charme et actrice de comédie légère la plus fameuse du Troisième Reich, venue de Suède faire une carrière brillante, fort compromettante après 1945 : Hitler aime ses films de vamp potiche. Elle fournit la transition rêvée avec sa symétrique inverse dans le monde du cabaret, l’Allemande Marlene Dietrich, qui émigre, refuse les avances explicites du régime et sert la cause alliée dans l’armée américaine.

La cohérence de l’ouvrage repose sur l’idée que le rapport d’Hitler aux femmes est révélateur de sa psychologie mégalomaniaque, de son incapacité à entretenir des relations normales équilibrées avec son entourage, en raison d’une idée mystique de son destin, d’une dévotion à la politique. Le Führer ne peut imaginer d’incarner une figure «bourgeoise» constitutionnelle de la vie privée : d’où la fascination de Winifried Wagner «pour l’homme», disait-elle et non pour le parti, trop médiocre et populiste. Comme Tristan, Hitler place la femme sur un piédestal, mais dans les nuées d’un désir sans réalisation, sans pouvoir affronter la réalité du couple installé. Cependant Tristan, malgré sa culpabilité, ose violer le devoir. Hitler se sent avant tout obligé envers une cause, la fidélité suprême qui rend un mariage trivial et ridicule : le Führer est marié à l’Allemagne. Son attachement à Magda Goebbels vient peut-être de ce que, seule, elle avait pour lui l’étoffe d’une compagne aristocratique. Même à elle, cependant, il rappelle que la doctrine, conçue pour la communauté aryenne, voit les vertus principales de la femme dans le foyer, la famille et la fidélité.

Hitler, comme Wagner, avait ses contradictions et le rôle héroïque qu’il jouait et vivait profondément devait, dans le secret, laisser une certaine place à des liaisons indignes de lui. Un peu honteux de celle nouée avec Eva, Hitler refusa jusqu’aux derniers jours de l’officialiser, remettant à sa place cette jeune femme immature à l’esprit plat, dont la seule grandeur fut la fidélité absolue et la récompense de le posséder enfin à l’instant de disparaître.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 02/09/2014 )
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