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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Un bel exemple d'histoire économique et sociale | | | Jean-Marc Olivier Des clous, des horloges et des lunettes - Les campagnards moréziens en industrie (1780-1914) Comité des travaux historiques et scientifiques 2004 / 31 € - 203.05 ffr. / 608 pages ISBN : 2-7355-0480-8 FORMAT : 15x22 cm
L'auteur du compte rendu: Natalie Petiteau, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers, est historienne de la société du XIXe siècle et de la portée des années napoléoniennes. Elle a notamment publié Napoléon, de la mythologie à l'histoire (Seuil, 1999) et Lendemains d'Empire: les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Boutique de l'histoire, 2003).
Elle est par ailleurs responsable éditorial du site http://www.calenda.org.
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Ce livre est issu dune thèse, dirigée par Claude-Isabelle Brelot, qui a été soutenue en 1998 devant lUniversité Lyon II. Mais la facture initiale très universitaire ne doit en rien rebuter le lecteur : disons le demblée, sa lecture en est des plus passionnantes et des plus plaisantes.
Jean-Marc Olivier propose une étude des voies dindustrialisation du canton de Morez, au coeur du Haut Jura, espace qui participe aux révolutions industrielles sans pour autant connaître le système usinier. Là réside lun des grands intérêts de ce travail, qui suit les processus dindustrialisation sur un long XIXe siècle, des années 1780 à 1914. Trois cycles sy succèdent : celui de la clouterie, puis celui de lhorlogerie, et enfin celui de la lunetterie. Or, cette succession de cycles industriels se déroule alors que la société paysanne se perpétue et que les équilibres traditionnels se maintiennent. Telle est bien lune des spécificités de cette industrialisation, qualifiée, de ce fait, de douce , proche, en réalité, dun modèle déjà observé en Italie. Loin des clichés relatifs à lindustrialisation à langlaise, lexemple du canton de Morez illustre la pluralité des mondes industriels, avec des établissements de petite taille et la persistance du travail à domicile. Mais à la différence des zones proto-industrielles fondées sur le travail du textile, les industries métallurgiques du Haut Jura reposent sur un haut niveau de savoir faire, source de davantage du plus value.
La méthode suivie pour cette étude mêle enquête sur lensemble de cet espace, de 20 communes et de 20 000 habitants, et travail prosopographique sur 200 familles représentatives, rassemblant 5 000 individus au sujet desquels ont été appliquées les méthodes de lhistoire sociale fine. Le tout est toujours parfaitement maîtrisé, de même quune très ample bibliographie, sans jamais introduire la moindre lourdeur de style. De même, louvrage contient de précieux tableaux statistiques ou généalogiques, qui sont le fruit dune somme de travail et de dépouillements darchives impressionnants. Il faut au total rendre hommage à lauteur pour son art de dépasser avec aisance lérudition universitaire et de plonger son lecteur dans la réalité de la vie de ces paysans pluri-actifs du Jura.
Lensemble est présenté en trois temps, chacun correspondant donc à lun des cycles de cette industrialisation. La première partie porte sur le travail et lorganisation des paysans du Haut jura, de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, occasion de rappeler les fortes contraintes naturelles dont ces hommes et ces femmes ont dû triompher en ces montagnes aux longs hivers et aux sols peu riches, où lautosubsistance est impossible. Toutefois, les ressources spécifiques ne manquent pas non plus (énergie hydraulique, bois), et sont mises à profit par lindustrialisation (les savoir-faire en matière de travail du fer apparaissent dès le XVIe siècle, léquipement en moulins est déjà dense à la fin du XVIIIe siècle), tandis quune économie pastorale florissante sest développée. Les complémentarités dune économie tout à la fois forestière, pastorale et industrielle ont permis déviter lexode rural dans cette région où de toutes façons les populations ont manifesté un attachement viscéral à leur terre natale. La tradition du travail du fer a été exploitée dans le but de développer une industrie de la clouterie, répondant aux besoins de fixations pour les toitures et les murs protégés par des tavaillons en bois. La clouterie est ainsi devenue la première industrie métallurgique dimportance dans la montagne, sans cependant induire la naissance de grandes forges, la quantité dénergie hydraulique disponible ne le permettant pas. Mobilisant des familles élargies de paysans pluri-actifs, la clouterie permet de se maintenir sur des exploitations devenues trop exiguës du fait des partages successoraux. Mais lorsque la clouterie sest trouvée concurrencée par la pointerie mécanisée, les savoir-faire acquis se sont révélés suffisants pour permettre une reconversion.
Cest de celle-ci dont il est question dans la seconde partie qui présente le dynamisme de létablissage horloger, de 1820 à 1880. De 1800 à 1850, le nombre des horloges produites dans le canton a été multiplié par 25, production réalisée dans le cadre de létablissage ou manufacture dispersée, fondée sur la distribution du travail par des marchands-fabricants à des paysans pluri-actifs. La fabrication des horloges existe dès le début du XVIIIe siècle dans un cadre artisanal, sans réels liens avec la nébuleuse genevoise. Lorsque la crise de la clouterie est survenue, les établisseurs cloutiers ont orchestré la reconversion : pour la plupart originaires de Morez, il font peu à peu de cette petite cité un centre commercial qui anime des campagnes où le travail horloger, comme autrefois celui de la clouterie, permet déviter lexode et de maintenir léquilibre social. Rares, dailleurs, sont les cas de spécialisation et dabandon total de la terre pour le travail horloger. La pluri-activité demeure lun des piliers de lorganisation économique de cette nébuleuse, où la maîtrise technique et le succès commercial sont les autres clefs de la réussite. Les productions moréziennes simposent finalement jusque dans le bassin méditerranéen.
Pourtant, létablissage horloger est finalement relayé par létablissage lunetier, dont lactivité, apparue dès la fin du XVIIIe siècle, a commencé de simposer à partir de 1850. Si bien quen 1881, Morez compte plus douvriers lunetiers que dhorlogers. Cette activité recycle en fait les savoir-faire horlogers, car elle est fondée souvent sur les mêmes pièces, les mêmes machines, les mêmes sources dénergie. Plus que le système horloger cependant, le système lunetier permet doptimiser les capacités de production du monde campagnard, tout en continuant de satisfaire les aspirations sociales de la population : la lunetterie a pris le relais de lhorlogerie en améliorant ses performances, car elle aboutit à la production dun objet plus facile à transporter que les horloges. De plus, elle permet de mettre à profit de façon beaucoup plus systématique la main-duvre féminine, dans un contexte didéalisation de la femme au foyer, peu favorable, donc, au travail des filles ou des épouses en usine. Une fois de plus, le système industriel de la région permet le maintien dun équilibre social et la stabilisation dune population, ce dautant plus aisément que ce cycle industriel bénéficie de lélectrification précoce de lespace rural comtois. Si bien que Morez est devenu un centre industriel puissant sans compter de grandes usines. Les ouvriers ny connaissent certes pas de réelle ascension sociale, mais ils sont épargnés par la misère et par la déchéance, lalcoolisme est rare, les accidents du travail également. Le triomphe commercial, favorisé par laugmentation constante du nombre des lisants, se montre dans la conquête dun marché mondial, notamment aux États-Unis qui deviennent le plus grand débouché de lindustrie morézienne.
Saluons donc cette publication dun magnifique travail, qui redonne sens à lexpression histoire économique et sociale, car Jean-Marc Olivier, en analysant avec minutie les mécanismes de cette industrialisation douce, montre comment la logique sociale la emporté sur la logique économique. Il éclaire donc un pan essentiel de lhistoire sociale, sintéressant aux processus de transition, offrant de plus matière à réflexion pour nos sociétés actuelles en quête déquilibres qui ne soient pas fondés sur la logique du profit mais sur celle de la cohésion sociale : car la crise du XXe siècle finissant a révélé la solidité des entreprises familiales insérées dans ce territoire jurassien à forte identité, et dans une micro-société apte à prendre son destin économique en main.
Natalie Petiteau ( Mis en ligne le 05/05/2004 ) Imprimer | | |
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