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Commémorons, commémorons (il en restera toujours quelque chose !) | | | Maurice Vaïsse collectif L'entente cordiale de Fachoda à la Grande Guerre Complexe 2004 / 24.90 € - 163.1 ffr. / 141 pages ISBN : 2-8048-0006-7 FORMAT : 21x21 cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Les commémorations sont souvent loccasion, pour les éditeurs et les historiens, de publier des ouvrages dactualité tout en exhumant une figure, un événement un peu oublié ou considéré avec indifférence. Ainsi en est-il de lEntente cordiale, expression devenue récurrente dans le discours diplomatique, synonyme de rapprochement entre deux nations autant quentre deux Etats. Le centenaire de ce grand traité, et les diverses célébrations (colloques, visites officielles
) consécutives, invitent à se pencher sur un événement qui fut, en son temps, un véritable coup de tonnerre dans le ciel des chancelleries et de peuples européens, prémices du grand conflit de 1914-1918. Cest là le sens de cette Entente cordiale de Fachoda à la Grande Guerre, qui, sous la plume dune éminente équipe dhistoriens (Maurice Vaïsse, Robert Frank, Paul Vallet
) et darchivistes du Quai dOrsay, résume ces années de réconciliation sur le mode symbolique et spectaculaire.
Car louvrage démarre sur une dispute, celle de Fachoda, en 1898 : pour saisir lampleur du bouleversement provoqué par laccord de 1904, il fallait en passer par les désaccords et les tensions qui, au début du siècle, saccumulaient. A vaincre sans périls
LAfrique est alors le théâtre dune montée des tensions entre Paris et Londres, deux puissances coloniales fermement décidées à simposer sur le continent. Si la France doit, à cette occasion, se retirer au risque dun conflit, elle nen conserve pas moins de rancur et les difficultés anglaises en Afrique du Sud lors de la guerre des Boers excitent ses moqueries. La presse parisienne satirique sen donne alors à cur joie, tandis que les journaux plus sérieux dénoncent les camps de concentration mis en place par lenvahisseur anglais. Il fallait dans un tel climat une puissante volonté pou ramener la sérénité entre les deux nations. Cest plutôt un choeur de volonté qui sorganise, tant en Angleterre quen France. A Londres, le nouveau roi , Edouard VII, est un francophile déterminé qui trouve dans son ministre, Lansdowne, un instrument précieux et convaincu de la nécessité dun apaisement. A Paris, le ministre Delcassé, qui opère alors un vaste remaniement diplomatique, conseillé par lambassadeur Cambon, songe lui aussi à une entente anglaise. Il est temps de réunir les bonnes volontés. La diplomatie fait son uvre et le 8 avril 1904, les deux puissances saccordent sur leurs ambitions respectives (Egypte et Maroc), mais, plus largement, sengagent dans une entente qui, sans être formelle, nen sera pas moins solide, rythmée par divers événements symboliques. On constate en effet, à la lecture de ce bel album, limportance dune diplomatie spectaculaire, qui sait sappuyer sur des événements symboliques (exposition commune, traversée de la Manche en avion, visites officielles, projet de tunnel sous la Manche
). Il nen fallait pas moins pour abolir les préventions, de part et dautres du Channel.
Louvrage dirigé par le professeur Maurice Vaïsse, de lIEP de Paris, à mi-chemin entre le catalogue dune exposition virtuelle sur les relations franco-anglaises et la monographie historique, est déjà dun abord plaisant et se laisse feuilleter. Les amateurs dhistoire se réjouiront dune présentation qui, alternant les documents darchives et les courts articles scientifiques (une page, toujours très pédagogique), permet de saisir les enjeux et les ressorts dun traité plus complexe quune simple poignée de mains. Une chronologie des relations franco-anglaises, ainsi quune bonne bibliographie, viennent ponctuer un ouvrage qui est plus que de circonstance. Le quai dOrsay, qui patronne la publication, a fourni des documents issus de ses fonds, documents variés (dépêches diplomatiques, extraits de journaux, photographies et portraits crayonnés, programmes officiels
) et instructifs. Un ensemble de cartes issues du même fonds et fort pédagogiques, permettent de mesurer les enjeux territoriaux et coloniaux qui se précisent derrière cette réconciliation. Le spécialiste notera sans doute labsence darticles portant sur des décisions plus concrètes (comme laccord naval de 1912) : la concorde ne se nourrit pas seulement de gloire et de symboles. Au final, il sagit dun bon exemple dune collaboration entre historiens et archivistes, au service dun traité finalement un peu oublié, et dont seule la bonne volonté commune est demeurée.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 19/05/2004 ) Imprimer
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