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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Ce temps ambigu de la modernité | | | Collectif Art et société. Les ruptures de la Belle Epoque - Revue Mil neuf cent - n°21 Société d'Etudes Soréliennes 2003 / 17 € - 111.35 ffr. / 167 pages ISBN : 2-912338-21-2 FORMAT : 14x21 cm
L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France, Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Imprimer
La revue Mil neuf cent publie dans son dernier numéro les actes dun colloque tenu à la fondation Singer-Polignac en novembre 2002. A cette occasion, sétaient réunis de grands spécialistes de la «Belle époque» (Madeleine Rebérioux, Michel Winock, Jacques Julliard, Pierre Nora
) autour dune problématique précise, celle du rapport entre art et politique en ces années charnières.
Les années 1900/1914 offrent le visage, certes rétrospectif, dune période où sarticulent de façon singulière XIXe et XXe siècles. Ici, se résume en effet un siècle alors que son suivant semble faire sa répétition générale. Une partie de la polémique sternhellienne (sur les origines françaises du fascisme européen, débusquées par lhistorien israélien en ces années/tournant) part de ce constat. La profession historienne saccorde dailleurs pour trouver dans cette longue décennie un moment clé. «Années électriques» (Christophe Prochasson), «le quart de siècle qui précède la guerre de 1914 est bien une période critique», explique Jacques Julliard (p.4). Quil sagisse de lessor du syndicalisme, de lentrée des démocraties européennes dans un premier temps de la culture de masse, de la crise moderniste et dun nouveau réveil des sensibilités religieuses, de lémergence des premiers grands partis politiques modernes ou dun revival nationaliste (voir les analyses dEugen Weber sur ce point), les années 1900 sont une période phare.
Les idées et les arts sen ressentent, qui semblent bouillonner alors, tirant dun XIXe siècle riche en ces matières, leçons et expériences nouvelles. Cubisme, futurisme, prodromes du surréalisme, bergsonisme ou encore un ésotérisme rénové (pensons à la théosophie dHelena Blavatski) caractérisent lépoque, non sans heurts avec les tenants dune tradition, ainsi éperonnés. Période dentre-deux, la «Belle époque», «ce temps ambigu de la modernité», écrit Henri Loyrette (p.112), est un moment/Janus, paradoxal, sinon contradictoire.
Cest aussi celui dun nouveau rapport entre art et société, les muses offrant le support de visions du monde plus globales, la politique retrouvant dans lesthétique et lart un medium puissant. Que le classicisme littéraire maurrassien soit directement lié au royalisme nest plus à démontrer ; les liens entre futurisme et fascisme de même.
Cest à ces traits dunion que le présent ouvrage est consacré, ouvrant la voie à des études quon espère plus nombreuses. Retenons lanalyse de Maurice Agulhon qui décèle autour de 1900 une évolution dans la «statuomanie» lancée un siècle auparavant, et suggère un parallèle entre la critique dune représentation sculpturale académique et celle de la république gouvernante, république radicale critiquée à gauche comme à droite. Eric Michaud consacre un développement passionnant au futurisme et à la volonté chez des artistes comme Umberto Boccioni, Marinetti, Giacomo Balla ou Luigi Russolo de mettre en mouvement des masses par ailleurs méprisées, faisant le pendant pictural aux analyses contemporaines de Gustave le Bon ou Georges Sorel par exemple. Esteban Buch, dans un article requerrant quelques notions de solfège et de musicologie, traite du rapport de Schoenberg à la révolution, à travers létude de son Traité dharmonie (1911), sans quil semble falloir néanmoins exagérer le lien entre une musique atonale et la défense des opprimés ! Enfin, Philippe Olivera montre la séparation stricte qui sinstalle alors entre les circuits politiques et littéraires de production et de diffusion de limprimé.
Ces quelques approchent illustrent parfaitement les ruptures de lépoque, tout en montrant avec nuances que celles-ci ne sont jamais franches. Un précédent numéro avait dailleurs déjà posé la question : Y a-t-il des tournants en histoire ? 1905 et le nationalisme (Mil neuf cent, n°19, 2001). On regrettera cependant avec caprice que le volume ne soit pas plus riche et que certains pans naient pas été explorés. Et lon verra donc dans cette nouvelle livraison de lexcellente revue Mil neuf cent ici dans un habillage soigné, avec reproductions en couleurs et nombreuses illustrations -, comme lébauche dune historiographie à poursuivre.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 16/06/2004 ) Imprimer
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