|
Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| |
Les manipulations de l’histoire | | | Philippe Faverjon Les Mensonges de la Seconde Guerre mondiale Perrin 2004 / 18.50 € - 121.18 ffr. / 219 pages ISBN : 2-262-01949-5 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Que Clio entretienne avec le mensonge des liens intimes ne saurait étonner personne, dès lors que les acteurs de lhistoire luttent pour imposer leurs idées et leur vison du monde, au besoin en travestissant la vérité. Un conflit comme la Seconde Guerre mondiale ne saurait échapper au phénomène, comme nous le démontre dans cet ouvrage Philippe Faverjon, ancien secrétaire général de la rédaction dArmée défense aux éditions Larousse et conseiller au Centre de sociologie de la Défense nationale.
Rien de véritablement nouveau dans les onze chapitres de ce livre, qui ne soit déjà connu des historiens. Lauteur sadresse ici plutôt au grand public, qui semble plébisciter les ouvrages sur le dernier conflit mondial en cette année de célébration du soixantième anniversaire du débarquement de Normandie. Ce souci de vulgarisation explique que les notes de bas de page ne prennent pas une très grande place, même si elles ont le mérite dêtre présentes.
Louvrage traite des mensonges et des approximations des Allemands, des Japonais, mais aussi des Alliés (surtout les Soviétiques, même si les Anglo-américains ne sont pas épargnés). Lauteur opère cependant des choix, excluant tout ce qui a trait à la propagande ordinaire (manipulation de lopinion, diabolisation de lennemi
), ainsi que les actions dintoxication dans le cadre des opérations militaires (ainsi de lopération «Fortitude» bâtie par les Alliés afin de tromper lennemi sur le lieu du débarquement projeté pour le printemps 1944).
Les mensonges évoqués dans le livre sont de deux ordres. Il y dabord des faits précis, des événements contemporains de la guerre qui sont demblée lobjet dune polémique, car on comprend très vite quil y a manipulation. Cest le cas des charniers contenant les restes de milliers dofficiers polonais découverts à Katyn en avril 1943. Les éléments disponibles à lépoque suffisent à désigner sans ambiguïté les coupables, même si lentêtement des Russes à vouloir se disculper finit par imposer, pour de longues années, une thèse évidemment incompatible avec la vérité. Il en va de même du soulèvement de Varsovie en août 1944, écrasé par les forces allemandes sans que lArmée rouge, pourtant fort proche, nintervienne (afin de déposséder la résistance polonaise non-communiste dune quelconque responsabilité dans le reflux nazi du territoire national). Le bombardement de Dresde par les Alliés en février 1945 obéit à la même catégorie de mensonge. La ville est encore la proie des flammes alors que déjà la question de la pertinence de la cible se pose. On peut évoquer aussi la mascarade de Gleiwitz, qui visait à faire croire que la Pologne avait attaqué lAllemagne le 1er septembre 1939, ou lopération T4, nom de code dun vaste programme deuthanasie déguisée des petits Allemands handicapés, révélé dès 1940. Lexhibition du camp «modèle» de Theresienstadt relève de la même logique, car elle na pas suffi à occulter la «solution finale», même si la Croix-Rouge sy est dabord laissée prendre.
La seconde catégorie de mensonges à laquelle le livre de Philippe Faverjon sattaque concerne les distorsions dont la Seconde Guerre mondiale a fait lobjet dans les années qui ont suivi la défaite des puissances de lAxe. Ainsi, la thèse de la supériorité de larmée allemande sur larmée française en mai-juin 1940 nest plus acceptée par les historiens. De même, la «grande guerre patriotique» de lURSS ne la pas vue combattre seule contre tous, mais bénéficier dimportants appuis logistiques et matériels de la part des Anglais et des Américains. Le massacre des populations juives à lEst a été, jusquà une période très récente, attribué aux seules forces de lappareil de sécurité du Reich, sa police et ses unités paramilitaires. A la Wehrmacht les opérations de guerre, à la SS la mise en uvre de la «solution finale» ; cette approche, dont on sait quelle est par trop réductrice, sest pourtant imposée jusquà aujourdhui en dépit des travaux de nombreux historiens (Omer Bartov par exemple). Le regard que les Occidentaux posent sur les attaques suicides des kamikazes japonais obéit bien souvent à cette même simplification. Au caractère inconcevable de ces attaques sattache, vu de lOccident, tout un système de représentation du code de lhonneur militaire nippon non dénué de présupposés. Mais les autorités japonaises ont aussi contribué à véhiculer une image correspondant davantage aux besoins de la propagande quà la réalité : le volontariat na pas ainsi revêtu le caractère absolu que Tokyo sest employé à promouvoir. Le dernier chapitre, enfin, revient sur le mythe du partage du monde qui se serait opéré à Yalta. Lantagonisme Est-Ouest est né de la conférence de Potsdam bien plus que de la rencontre de Crimée où Roosevelt avait cru jeter les bases définitives dune paix mondiale.
La conclusion souligne la permanence aujourdhui de certains problèmes hérités de la Seconde Guerre mondiale, qui refont surface à partir de 1989 et de limplosion du bloc soviétique. Lexpulsion des Allemands des Sudètes au lendemain du conflit empoisonne encore les relations entre la République Tchèque et lAllemagne, pesant sur lélargissement de lUnion Européenne (qui inquiète aussi les Russes de lenclave de Kaliningrad, prise en étau entre la Pologne et la Lituanie). Bien des questions nont pas trouvé de réponses dans les traités, accords et discussions daprès-guerre. Lauteur fait le pari que si les derniers contentieux sont soldés, les mensonges idéologiques qui ont occulté la tragédie vécue par les individus et les peuples pendant tant dannées vont manquer du terreau dont ils se nourrissaient. Cest déjà un autre problème : on passe là de lanalyse historique à lactualité politique et diplomatique la plus contemporaine.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 08/07/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Massacre de Katyn de Victor Zaslavsky | | |
|
|
|
|