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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| François-Georges Dreyfus Histoire de Vichy Editions de Fallois 2004 / 27 € - 176.85 ffr. / 892 pages ISBN : 2-87706-489-1 FORMAT : 16x24 cm
Edition revue et augmentée.
Lauteur du compte rendu : Vincent Blin est agrégé dhistoire et enseigne dans le secondaire. Il est également interrogateur en classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand à Paris et poursuit des recherches sur lhistoire du communisme. Imprimer
Très documentée, sappuyant sur de nombreux témoignages, correspondances et articles, mais également sur des études récentes (il sagit en effet dune édition revue et augmentée), LHistoire de Vichy, de François-Georges Dreyfus, sattaque à un sujet complexe et polémique. Par une approche sans tabous ni complaisance, louvrage, riche de références, entend appréhender lensemble des aspects de la France de Vichy. Dans de courts chapitres clairs et agréables suivant une progression à la fois thématique et chronologique, les différentes facettes de la France des années troubles y sont abordées (questions idéologiques, politiques ainsi que culturelles et économiques) sans oublier les pages les plus sombres.
Lun des principaux intérêts de cet ouvrage consiste dans le choix délibéré de lauteur de retracer lhistoire de Vichy, de façon non manichéenne, dans un temps long. Ce faisant, le régime du maréchal Pétain apparaît non comme une simple parenthèse de notre histoire, mais comme un moment qui a ses origines et des prolongements. Ainsi, dans sa partie «Vichy avant Vichy» (près du quart de louvrage), lauteur dénoue les fils qui mènent hommes et idées jusque dans les arcanes politiques de la sous-préfecture de lAllier. Cette approche conduit lauteur à nuancer la rupture démocratique consécutive au 10 juillet 1940 («Daladier, la démocratie autoritaire contre le Parlement» (p.44), insistance sur le décret Sérol
). De même, tout au long des trois autres parties, F.-G. Dreyfus souligne, multiplie les aspects de permanence, de rupture ou de prolongement des politiques de la Révolution nationale avec les régimes républicains. Ainsi, sans parler dhéritage, les pages 557-560 exposent les ressemblances et les aboutissements de certains aspects de la politique culturelle ; il en va ainsi de lessor dune politique sportive à légard de la jeunesse menée par Jean Borotra ou bien de la protection des beaux-arts, prélude à la politique de Malraux. Plus encore, cest sur une politique économique, antichambre de la modernité française de laprès-guerre, que se focalise largumentation de lhistorien : «Cest à Vichy que se prépare concrètement ce que Jean Fourastié a très justement appelé "les trente glorieuses".» (p.541). Mais derrière cet argumentaire bien construit, ne cherche-t-on pas à faire découvrir la face cachée positive du régime ?
De même, dès les premières pages de la seconde partie, il ressort que lauteur appuie clairement son cheminement historique sur le postulat, discuté voire discutable, dun armistice salvateur. Dès lors, cet épouvantail de la «polonisation» amène lauteur à étudier Vichy non comme un bloc mais comme une juxtaposition de courants didées. Cette approche nest pas neuve dans lhistoriographie française ; dailleurs, dès sa préface, F.-G. Dreyfus revendique la filiation avec louvrage de Robert Aron (Histoire de Vichy, 1954). Cette périodisation du régime (argumentée et documentée) distingue les traditionalistes et technocrates, favorables à un double jeu, des collaborationnistes forcenés : «le Vichy de 1943 na plus rien à voir avec celui de 1940-41» (p.681). Ce découpage conduit à diluer et à relativiser les responsabilités sans jamais, cependant, les passer sous silence, et ce dautant plus que la diversité (elle aussi bien réelle) de la résistance est mise en exergue. On peut dailleurs quelque peu sétonner de limportant passage consacré aux mouvements de résistance (qui emprunte à son Histoire de la Résistance parue aux Editions de Fallois en 1996). Cette évocation assez longue permet par là même à F.-G. Dreyfus de stigmatiser et dégratigner la tiédeur de certains leaders socialistes, la docilité de la fonction publique (et en particulier du corps enseignant), mais également les arrière-pensées jusquau-boutistes des mouvements de résistance communiste. Ici, le propos de lauteur apparaît clairement : le régime de Vichy nest pas univoque, les mouvements de résistance non plus, pour preuve la perméabilité des influences du premier vers les seconds.
Enfin, on ne peut que regretter une fin un peu abrupte, labsence danalyse dun «Vichy après Vichy», tel un pendant de la première partie, dans lequel lhistorien étudierait ce que sont devenus les «quarante millions de Pétainistes», leurs sentiments et leurs jugements face au régime déchu. Cet ouvrage stimulant participe ainsi largement, non sans un certain parti pris, au débat historiographique nourri sur l'insertion de Vichy dans lhistoire de la France du XXe siècle.
Vincent Blin ( Mis en ligne le 14/02/2005 ) Imprimer
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