| Jean-Marc Varaut Le Procès de Nuremberg Perrin 2005 / 22.50 € - 147.38 ffr. / 420 pages ISBN : 2-262-01982-7 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
Nouvelle publication à l'occasion du soixantième anniversaire du Procès de Nuremberg (novembre 2005).
Lauteur du compte rendu : Ludivine Bantigny, agrégée et docteur en histoire, spécialiste de lhistoire politique et culturelle du second XXe siècle français, est maître de conférences à lUniversité de Rouen. Imprimer
Le 20 novembre 1945 souvrait à Nuremberg le procès de vingt-quatre responsables encore vivants du IIIe Reich, ceux Goering, Hess, Jodl, Keitel, Ribbentrop, Sauckel, Seyss-Inquart, Speer, entre autres qui ne sen étaient pas échappé par le suicide. Si Nuremberg avait été ainsi choisie par les Alliés, ce nest guère en raison du symbole que cette ville représentait au cur de la liturgie-dramaturgie nazie, mais bien plutôt parce quelle était la seule ville en Allemagne à disposer encore dun palais de justice, dune prison et dun grand hôtel, tous intacts. Pour le reste, Nuremberg était largement une ville en ruines, rasée, comme tant dautres. Les quatre juges appelés à rendre leur verdict étaient en quelque sorte les mandataires directs de quatre nations belligérantes et vainqueurs de la guerre, États-Unis, URSS, Royaume-Uni et France. Les avocats de la défense eurent alors beau jeu de souligner lincongruité juridique que représentaient labsence de nations neutres et la situation dun tribunal juge et partie.
Du procès de Nuremberg, louvrage de Jean-Marc Varaut (1933-2005) entend être avant tout un récit, une «relation». Il sappuie sur les quarante-deux volumes du procès-verbal, quil cite très abondamment. Nulle bibliographie, nul appareil critique non plus : lauteur a ici endossé lhabit de lavocat quil était davantage que celui de lhistorien. Il inscrit ainsi son ouvrage dans une perspective principalement juridique, quant à ses thèses, et livre des réflexions importantes sur la genèse, à et par Nuremberg, dun droit pénal international. Le style en est globalement sobre, même si lauteur laisse poindre parfois son hostilité à légard de lURSS. Quelques formules, de surcroît, viennent parfois affaiblir la justesse du ton et sa mesure «Lamiral Dönitz baissa la tête et cest toute lAllemagne qui baissait la tête.» On déplorera aussi les bizarreries dun plan qui fait basculer le lecteur, sans plus de transition dun chapitre à lautre, de la destruction des juifs dEurope à la guerre sous-marine. Mais limportant est que, comme le souligne Jean-Marc Varaut, le jugement de Nuremberg devait aider à rendre intelligibles des actes qui sans cela seraient restés dépourvus de sens et que, en relatant chaque étape de ce procès, au plus près des dépositions, des réquisitoires et des plaidoiries, cet ouvrage contribue à son tour à le rendre intelligible.
Le procès de Nuremberg révéla, après lépisode de louverture des camps, labsolue horreur de lextermination. Il y fut question de la monstrueuse concurrence que se livraient Rudolf Franz Höss, le commandant dAuschwitz, qui décrivit avec tous les détails le fonctionnement du camp dont il avait la charge, et le commissaire Wirth dont dépendaient Belzec, Sobibor et Treblinka, chacun enchérissant sur la redoutable «efficacité» de sa propre organisation. Lors du procès, Höss expliqua aussi avoir été sans cesse «tiraillé» entre le bureau des affaires juives dEichmann, pour lequel la priorité était à lextermination, et le bureau de la main-duvre, préoccupé davantage de faire réaliser le programme darmement nazi par le travail des prisonniers des camps.
Le chapitre consacré aux amiraux Raeder et Dönitz penche pour une peine excessive à eux infligée (respectivement la perpétuité et dix années de détention). En effet, le procès avait montré que les commandants en chef de la Marine allemande, poursuivis entre autres pour avoir ordonné que les navires marchands neutres soient coulés en haute mer sans avertissement, avaient agi de la même manière que leurs homologues «alliés». Mais le principe du «tu quoque» ne valait pas juridiquement. Relaxés des chefs de crimes de guerre, Raeder et Dönitz furent condamnés pour avoir contribué à la guerre dagression, notamment pour avoir réalisé linvasion de la Norvège ; or, quelque temps plus tard, Churchill reconnut que cette invasion relevait au contraire de lopération défensive, les Britanniques sapprêtant à en faire autant. Doù le titre du chapitre sous la plume de Jean-Marc Varaut : «lhonneur retrouvé des grands amiraux».
Le cas Rudolf Hess apparaît plus ambigu. Hess était allé proposer un plan de paix séparée aux représentants du gouvernement britannique le 10 mai 1941 ; lavait-il fait au nom de Hitler ? Cest probable, étant donné les liens qui les unissait, et ce même si Hitler, après léchec de cette mission et le rejet de la proposition, leut qualifiée d«acte de folie». Le débat sur léquilibre mental de Rudolf Hess fut loccasion de confronter deux conceptions portant sur la capacité à être jugé : pour la délégation française, lamnésie dont souffrait Hess constituait un obstacle majeur, tandis que laccusateur anglais put présenter la jurisprudence anglaise, selon laquelle seul compte un «entendement» suffisant. À travers cette opposition juridique, on aperçoit les diverses confrontations qui eurent lieu, à Nuremberg, entre les nations représentées. Les Soviétiques réclamaient en effet lexécution capitale de Hess, le pacte anglo-germanique dont il sétait fait lambassadeur ayant pour fonction de tourner toutes les forces du Reich contre lURSS. Les représentants de la délégation soviétique au procès et, au-delà, le pouvoir à Moscou, gardèrent une vive rancur à légard de la peine finalement prononcée contre Hess : la réclusion à perpétuité. Les membres composant le tribunal ne sentendaient pas sur les chefs daccusation eux-mêmes ; le juge représentant la France, Henry Donnedieu de Vabres, refusait ainsi la qualification de «complot contre la paix», inconnue en droit international.
Par-delà les enjeux juridiques, politiques et idéologiques majeurs que le procès de Nuremberg souleva, louvrage de Jean-Marc Varaut retranscrit latmosphère qui y régnait, les innovations apportées (traduction simultanée, retransmission des audiences) et même cette effroyable «accoutumance», «accoutumance à lhorreur qui vient de la répétition», accoutumance aussi des juges face à leurs accusés qui finissaient par leur devenir, au bout dun procès qui dura dix mois et dix jours, «sympathiques». Et lon sarrêtera, pour conclure, sur certaines autres aberrations du tribunal de Nuremberg, pour lequel les «crimes de guerre» devaient être commis sur des personnes dune nationalité différente de celle de leur bourreau (le meurtre de juifs allemands par des Allemands ne fut pas considéré comme «crime de guerre») et pour lequel encore les crimes contre lhumanité devaient être en rapport avec la guerre (et donc avoir été commis après le 1er septembre 1939). On retiendra dailleurs que lextermination des juifs ne concerna, in fine, que sept pages sur cent quinze dans lexposé des crimes.
Ludivine Bantigny ( Mis en ligne le 04/12/2005 ) Imprimer
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