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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Vichy avant Vichy : le cas du contrôle des moeurs | | | Marc Boninchi Vichy et l'ordre moral PUF 2005 / 28 € - 183.4 ffr. / 318 pages ISBN : 2-13-055339-7 FORMAT : 15,0cm x 21,5cm
Préface de Gérard Noiriel.
Lauteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris. Imprimer
Marc Boninchi rassemble dans son ouvrage lanalyse de plusieurs lois du régime de Vichy, lois quil qualifie «dordre moral», à savoir la répression de ladultère, de labandon de famille, de lhomosexualité, de la prostitution, de lalcoolisme et de lavortement. Si les discours officiels, la propagande, ont déjà fait lobjet de nombreux travaux, lauteur, historien du droit, parvient à renouveler lapproche de ses questions. Sappuyant sur des archives inédites du ministère de la Justice, il sattache à suivre les travaux préparatoires de ces lois, à en déterminer les impulsions pour en éclairer la genèse. Il suit ensuite lapplication de ses lois par les juges (magistrats du parquet comme du siège).
Le premier apport de son travail est de montrer quen dépit de la cohérence apparente de cette politique répressive, moralisatrice, familiale, nhésitant pas à simmiscer dans la vie privée des individus, on ne saurait y voir lapplication dune politique volontariste, impulsée par le régime, comme pourraient le faire croire les nombreux discours officiels. Bien au contraire, les diverses lois ou circulaires nont quasi jamais été prises à linitiative de lun des dirigeants de Vichy, lesquels se désintéressaient en fait de la politique familiale. Le contraste entre les discours familiaux de Vichy et la faiblesse des réalisations concrètes - Pétain allant même jusquà supprimer le ministère de la famille créé à la fin de la République ! est un des intérêts de louvrage. Limpulsion de la législation dordre moral fut le fait de personnalités diverses, et la fabrication de la loi resta sous le contrôle de ladministration judiciaire, les ministres se contentant de donner leur aval. Le régime de Vichy a sans aucun doute libéré les énergies des défenseurs traditionnels de lordre moral et dune certaine conception de la famille, qui ont pu profiter de la destruction de lAssemblée législative et de labsence de débat public et contradictoire pour imposer leurs positions. Ce faisant, Marc Boninchi révèle une fois de plus lautonomie de lappareil administratif sous Vichy, et plus encore de sa sphère judiciaire. Il démontre aussi la grande latitude des juges dans lapplication des lois, dont parfois ils suivent, quand ils ne la renforcent pas, lorientation répressive (cest le cas pour ladultère, lhomosexualité), mais quils peuvent aussi vider de son sens (les juges refusent ainsi de reconnaître létat divresse comme une circonstance aggravante lors dun délit).
Mais ce que Marc Boninchi vise surtout à démontrer tient à la continuité entre la législation de Vichy et la législation républicaine. Il en fait un de ses arguments centraux, dans son chapitre introductif et dans sa conclusion, ce qui est repris et valorisé par Gérard Noiriel dans sa préface, satisfait de rajouter une pierre dans son jardin des Origines républicaines de Vichy. La thèse est au début convaincante. Il montre bien comment, dans lentre-deux-guerres, et très nettement en 1939, la IIIe république a inauguré une politique familiale et dordre moral, et amorcé lintervention de lEtat dans la vie privée des individus, au nom de «lintérêt national». Il insiste ainsi sur les dispositions répressives du code de la Famille de 1939, qui visaient déjà lavortement, labandon de famille et lalcoolisme, mais surtout sur la préparation dune loi contre lhomosexualité dès 1939, qui naboutit pas du seul fait de la guerre.
Malheureusement, cette problématique fort stimulante résiste mal à lexamen, chapitre après chapitre, des différentes lois de Vichy. Car, à chaque fois, lauteur insiste sur le caractère de rupture que représente la législation de lEtat français et son application par les juges. La loi de 1939 sur lhomosexualité (qui ne fut pas adoptée) reposait certes sur dindéniables présupposés homophobes, mais se présentait avant tout comme une loi de protection des mineurs : elle pénalisait les relations homosexuelles entre un adulte majeur et un mineur. La loi de 1942 relève, elle, dune logique étrangère à la protection des personnes, mais bien dun impératif de morale publique et dune volonté de normalisation des comportements sexuels. Elle instaure un authentique interdit sexuel.
Dautre part, mettre sur le même plan la répression contre lalcoolisme, ou contre labandon de famille et celles contre lhomosexualité ou ladultère peut se justifier mais soulève quand même quelques problèmes. Les premières relèvent de la protection de la santé publique ou des individus, quand les secondes ne sont quaffaires de morale. Aussi, la question de la continuité républicaine de lune ou de lautre ne saurait-elle se poser dans les mêmes termes. Que les tentations répressives et moralisatrices aient pu exister dans la société davant Vichy, dans des groupes de pressions, et que Vichy aient été loccasion de les faire aboutir est un fait que Marc Boninchi démontre bien. Mais on ne saurait y lire les origines «républicaines» des lois répressives de lEtat français.
Lauteur soulève également la question du maintien dune partie de cette législation en dépit de la restauration de la légalité républicaine : la loi sur lhomosexualité persiste ainsi dans le droit français, et ce jusquen 1982. Mais à nouveau, il ne faut pas comparer sans nuances au maintien de la répression de lalcoolisme ou de labandon de famille après 1945, à lappui dune thèse sur la continuité entre Vichy et la république.
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 13/03/2006 ) Imprimer
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