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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Retour sur le coup de poignard... | | | Pierre Jardin Aux racines du mal - 1918. Le déni de défaite Tallandier 2005 / 27 € - 176.85 ffr. / 639 pages ISBN : 2-84734-158-7 FORMAT : 14.5 21.5 cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
La Première Guerre mondiale a constitué la déchirure dont sont sorties les pires catastrophes du XXe siècle : régime communiste, fascisme, nazisme et Seconde Guerre mondiale. Cest un fait entendu. En Allemagne, le traumatisme de la défaite et lopprobre qui a marqué la république de Weimar dès sa naissance, ont préparé le chemin qui a finalement permis à Hitler daccéder au pouvoir. Cest un autre fait entendu. Mais pour les Allemands, cette défaite nest pas nimporte quelle défaite. Autre fait entendu : à peine la guerre terminée, se développe une théorie, en réalité une légende, celle du «coup de poignard dans le dos». La défaite na pas été une défaite militaire mais une défaite politique. Larmée allemande na pas été battue. Elle a tenu tête victorieusement au monde entier et elle na été forcée de déposer les armes quen raison de la trahison de larrière. Le mauvais esprit du pays, la démoralisation, la propagande bolchevique, puis la mutinerie de la flotte début novembre 1918, enfin la révolution à Berlin et labdication de Guillaume II ont eu raison de son héroïque résistance et ont rendu inutiles ses immenses sacrifices.
Tous ces faits sont sus, mais sont-ils bien connus ? La gestation et la naissance de la légende du «coup de poignard dans le dos» sont-elles si notoires ? Pas sûr. Aussi Pierre Jardin entreprend-il dans Aux racines du mal den reconstituer le processus. Le titre et le sous-titre du livre sont sans ambiguïté : cest le déni de la défaite de 1918 qui a rendu possible le nazisme et qui plus tard la aidé à accéder au pouvoir. La couverture souligne cette évidence puisque lon y voit le gratin des conjurés du putsch raté de novembre 1923 à Munich. Aux côtés de Hitler, de Röhm ou de Brückner, Ludendorff fascine : caricature de militaire, serré dans un uniforme dont il déborde au cou. Cest donc cet homme au visage dénué de la moindre trace dintelligence, à lexpression bêtement arrogante qui a été le commandant de larmée allemande entre 1916 et 1918 et le principal initiateur de la légende du «coup de poignard».
Dans les deuxièmes et troisièmes parties, Pierre Jardin démontre bien comment les militaires, Ludendorff en tête, ont fabriqué la légende de toute pièce pour dégager leur responsabilité et masquer leur impéritie. Ils ont en effet sous-estimé les conséquences de lentrée en guerre des Etats-Unis, entrée quils ont choisi de provoquer dun cur léger. Ils ont gâché les possibilités offertes par la paix de Brest-Litovsk, en laissant de très nombreuses forces doccupation à lEst au lieu de les ramener vers lOuest. Ils ont enfin cassé larmée allemande dans des offensives incohérentes au printemps 1918. Mais lun des grands intérêts du livre de Pierre Jardin est de rechercher les origines de la légende beaucoup plus en amont, jusque dans lavant-guerre. Si elle sest imposée spontanément dès la défaite, cest que la légende concrétisait toute une série de peurs et de fantasmes répandus dans les milieux conservateurs depuis la fin du XIXe siècle. Ces peurs concernaient essentiellement la place de la social-démocratie dans la société et la vie politique allemandes. Pour les conservateurs, nationalistes et autres pangermanistes, la social-démocratie incarnait des valeurs internationalistes et égalitaristes incompatibles avec lesprit allemand, avec le besoin dunité nationale et avec le respect prussien de la hiérarchie. Lélimination de la social-démocratie était pour eux une nécessité et ils nacceptèrent pas la politique du chancelier Bethmann-Hollweg, qui cherchait au contraire à lintégrer dans le système politique pour mieux la neutraliser.
Pierre Jardin décrit donc minutieusement les luttes politiques internes sans merci que les conservateurs, rassemblés derrière la bannière de lÉtat-major, incarnation du sens national et des valeurs prussiennes, livrèrent contre Bethmann-Hollweg et contre les socialistes. Son livre est plus un livre sur la défaite allemande vue de lintérieur et les affrontements qui laccompagnèrent, que sur la défaite elle-même. Il ne décrit pas les opérations militaires, il ne relate pas les négociations, mais il détaille avec beaucoup de précision le jeu des nombreux acteurs civils et militaires. Il sadresse donc à des lecteurs avertis, capables à la fois de suivre les méandres des intrigues et de les situer dans un contexte que lauteur évoque à peine.
Étant donné le nombre des faits abordés et la nature de louvrage, à savoir une étude historique approfondie, on peut sétonner, et déplorer, labsence dune bibliographie à la hauteur du travail produit. Pierre Jardin propose une cinquantaine de titres en fin douvrage, mais il ne distingue pas les sources primaires des autres et surtout, il nindique jamais dans le texte les références des innombrables citations ou documents quil mentionne. Cest le principal reproche que lon peut adresser à un travail par ailleurs remarquable de précision et dont loriginalité de la démarche est à saluer.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 30/03/2006 ) Imprimer
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