Michèle Cointet De Gaulle et Giraud - L'affrontement (1942-1944) Perrin 2005 / 23.50 € - 153.93 ffr. / 549 pages ISBN : 2-262-02023-X FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Lauteur du compte rendu : Eric Alary, agrégé dhistoire, docteur en histoire de lIEP de Paris, est professeur en Lettres Supérieures et en Première Supérieure à Poitiers. Il est l'auteur de La Ligne de démarcation (2003) et Des Français au quotidien (1939-1949) en 2006 chez Perrin. Imprimer
Avec De Gaulle et Giraud, Michèle Cointet nous livre un nouvel ouvrage fondé sur linvestigation minutieuse des sources de la Seconde Guerre mondiale, et notamment des archives privées du général de Gaulle. Comme elle a lhabitude de le faire à chaque nouvelle parution, lauteur du Dictionnaire historique de la France sous lOccupation (en collaboration avec Jean-Paul Cointet), Michèle Cointet recoupe les récits de toute nature avec des archives souvent originales.
Travailler sur laffrontement entre De Gaulle et Giraud nest pas a priori un exercice facile. Lhistorienne a su pourtant rendre intelligible les fils parfois très enchevêtrés dune relation tissée au cur de la Seconde Guerre mondiale, entre deux hommes à la forte personnalité et à la volonté dacier. De Gaulle admira lévasion de Giraud qui sut traverser le Reich sen être repéré puis ramené dans sa prison. Ces deux hommes ont représenté pour les Français lespoir de faire participer la France à la victoire finale. Lunion de leurs forces aurait dû être la ligne à suivre. Or, lors de la rencontre dAnfa, le 22 janvier 1943, les deux généraux nont plus les mêmes desseins. Ce sont ainsi «deux conceptions mentales» qui vont saffronter avec un acharnement sans égal. Les tensions entre les deux chefs muèrent en duel. De Gaulle en est sorti grand vainqueur en avril 1944. La France a gagné. Lidée de la France allait être incarnée pour un temps par celui qui prononça le 18 juin 1940 un appel retentissant à la Résistance de tous les Français du globe.
Autour de cinq parties, Michèle Cointet éclaire le lecteur sur les grands enjeux du duel ; elle aborde lévasion de Giraud, la déception de celui-ci face au refus de ses collègues de reprendre la lutte armée contre les Allemands, tel lamiral Darlan qui a rejoint lAfrique du Nord (pour Giraud les solutions militaires prévalent sur les décisions de nature politique, ce que pense De Gaulle) ; la troisième partie se concentre sur les bonnes relations entre Giraud et les Américains, ce qui nous plonge au cur de la partie la plus dure du combat que se livrent De Gaulle et Giraud pour incarner la France aux yeux des Alliés et finalement des Français une fois la liberté retrouvée ; les quatrième et cinquième parties permettent à lhistorienne de démonter une à une les étapes de «la mise à mort» des projets du général Giraud : après le débarquement du 8 novembre 1942, chacun avance ses pions sur léchiquier que représente lAfrique du nord, siège du nouveau pouvoir en construction qui sorganise pour reprendre les leviers de commande en France après la Libération. Laffrontement De Gaulle-Giraud, qui a lieu en 1942-1943, se termine par la victoire du politique sur le militaire.
De cette minutieuse recherche, écrite dans un style très agréable, nous retenons combien les Britanniques et les Américains nenvisageaient nullement daccorder leur confiance à De Gaulle, après avoir battu les forces de Vichy lors du débarquement du 8 novembre 1942. Le général Giraud fut préféré pour incarner la France de la Libération, après lassassinat de lamiral Darlan, le 26 décembre 1942. Les Alliés souhaitèrent associer Giraud aux projets de débarquement ; cela nempêcha nullement Giraud, germanophobe, de continuer à vouer une grande admiration pour le maréchal Pétain et les grandes lignes de la Révolution nationale. Parallèlement, les résistants pieds-noirs gaullistes furent pris au cur de la tourmente. Après Darlan, dauphin de Pétain, ces résistants ont subi larrivée de Giraud. Ce dernier les interna et entra en relation étroite avec les Anglo-saxons, mettant lArmée dAfrique à la disposition des Américains. Cela dit, antiparlementaire avéré, il continua dappliquer à la lettre les principes de la Révolution nationale en Algérie ; les Juifs ne trouvèrent pas en lui un protecteur ; au contraire.
Dans ce contexte, le chef de la France combattante, venant de Londres après neuf mois dattente -, a essayé de se faire reconnaître comme lunique leader des Français libres, mais ce fut sans compter sur lhostilité des Anglo-Saxons. De Gaulle fut un temps en position de faiblesse et dut faire avec Giraud lequel ne manqua jamais de rappeler quil était son supérieur hiérarchique avec une étoile de plus sur le képi de général ; Giraud a été autrefois le chef de De Gaulle à Metz. De Gaulle continue de penser que la seule victoire sur lAllemagne ne suffit pas ; il faut également restaurer la souveraineté française, ce que Roosevelt trouve dune audace démesurée. De son côté, Giraud ne pense quà la victoire militaire, se vantant dêtre un apolitique. Lun incarne donc le retour à la République et lautre reste fidèle aux conceptions autoritaires du régime de Vichy. Le 21 février 1943, le Comité national français adresse un mémorandum à Giraud afin de lui demander de dénoncer larmistice et la législation vichyste et de se prononcer pour la restauration des libertés et la mise en place dun pouvoir centralisé provisoire qui doit exclure tous ceux qui ont participé à la collaboration et à larmistice.
Giraud est acculé à faire des concessions, ce que lui suggère fortement Jean Monnet. Il libère ainsi les résistants gaullistes quil avait internés alors quils venaient daider les Alliés lors du débarquement sur les côtes dAfrique du Nord. Par ailleurs, il dissout le service dordre légionnaire. Le 14 mars, il va plus loin et prononce un discours dans lequel il rejette les «lois» de Vichy, dont le statut des Juifs. Il se représente ainsi comme le réunificateur des Français. Le 15 mars, il se dit prêt à accueillir De Gaulle pour négocier lunion. Mais rien nest fait. Les deux camps saccusent et notamment les gaullistes qui exigent la soumission de Giraud à leur chef. A Alger, la capitale de la nouvelle France, les deux généraux vont jusquà marquer leurs différences dans les tenues quils portent. Mais le sentiment gaulliste simpose de plus en plus. Le 3 juin, ils sentendent pour créer le CFLN, un nouvel organe exécutif dans lequel les gaullistes sont majoritaires. La situation devient de plus en plus intenable pour Giraud. Pourtant, en septembre-octobre 1943, il prend le risque dordonner linsurrection en Corse. De Gaulle y est opposé de peur que les communistes ne semparent du pouvoir dans lîle. Mais Giraud, de plus en plus critiqué, est écarté de la coprésidence du CFLN, le 9 novembre 1943. En mars 1944, il commet limprudence de demander la grâce de lancien ministre de lIntérieur de Vichy, Pucheu, qui a été condamné à mort. Le 14 avril, il est placé en réserve de commandement. Le 28 août, il est victime dun attentat à Mazagran ; sorti vivant, il en attribue la responsabilité à certains partisans du général de Gaulle. Le président américain F.D. Roosevelt met en garde De Gaulle dans une lettre du 2 septembre 1944, reproduite dans louvrage (p.501). Le livre sachève sur le rappel des derniers épisodes de la vie de Giraud, élu député après la guerre et qui meurt en 1949.
A travers l«affrontement», Michèle Cointet livre un portrait très fouillé et neuf de Giraud qui se montre piètre politique. Deux conceptions de la France future saffrontèrent sans concession. Corrélativement, lhistorienne donne aussi à mieux discerner les germes du premier gaullisme et les sources de lantiaméricanisme gaullien. Cet affrontement a peut-être finalement permis à De Gaulle, plus rusé, de se dégager comme un véritable homme dEtat, enfin mûr pour dautres affrontements à partir de 1944. Sa politique dindépendance vis-à-vis des Etats-Unis, notamment dans les années 1960, se lit ainsi plus aisément.
Eric Alary ( Mis en ligne le 18/09/2006 ) Imprimer |