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Un apôtre de la morale éternelle | | | Ferdinand Buisson La Foi laïque - Extraits de discours et d'écrits 1878-1944 Le Bord de l'eau - Bibliothèque républicaine 2007 / 22 € - 144.1 ffr. / 297 pages ISBN : 978-2-915651-61-4 FORMAT : 13,0cm x 20,0cm
Présentation de Mireille Gueissaz.
L'auteur du compte rendu : Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie française du XIXe siècle, parmi lesquels Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998) ou Comte (Les Belles Lettres, 2000, Rééd. 2006). Imprimer
La réédition de cet ouvrage publié pour la première fois en 1911, du vivant de Ferdinand Buisson (1841-1932), prend place dans une collection destinée à faire connaître les grands textes de la philosophie républicaine de tradition française. Il faut rappeler que Buisson a été lune des têtes pensantes des réformes scolaires de la Troisième République. Son parcours est bien connu : protestant libéral réfugié en Suisse romande sous le second Empire, directeur de lInstruction primaire de 1879 à 1896, professeur de pédagogie en Sorbonne, membre fondateur de la Ligue des droits de lhomme, député radical socialiste du Bloc des gauches en 1902, président de la commission de «séparation» en 1905, prix Nobel de la Paix en 1927.
Dans ces textes de circonstance articles et conférences -, plusieurs registres de discours se superposent, quil est assez difficile de distinguer en raison du contexte. Plusieurs genres de problèmes sont abordés. On y trouve des éléments de philosophie de léducation. Le maître duvre de limposant Dictionnaire de pédagogie fait à plusieurs reprises léloge des «maîtres de morale», qui ont su transmettre dans leurs manuels scolaires «le trésor de la sagesse humaine», tel Jules Steeg, autre protestant et républicain de la première heure. Linstruction morale et civique introduite à lécole par Jules Ferry apporte «la claire notion du devoir, les idées de justice et de bonté, lhabitude de la réflexion, la culture de la conscience, lamour du travail, le sentiment des droits de lhomme et de la dignité humaine, et enfin le véritable patriotisme» (p.158). Léducation morale car il y a éducation et non pas seulement instruction - construit le caractère comme la nature forme un banc de corail : molécule après molécule.
Buisson définit la laïcité comme lapplication du principe de la «libre pensée» à la vie de la collectivité. Elle «consiste à séparer les Eglises et lEtat, non pas sous la forme dun partage dattributions entre deux puissances traitant dégale à égale, mais en garantissant aux opinions religieuses la même liberté quà toutes les opinions et en leur déniant tout droit dintervention dans les affaires publiques» (p.192). Plutôt que dinsister sur le spiritualisme de Buisson, thème qui reste cependant à explorer, la présentation de M. Gueissaz montre la dimension politique de son engagement : adversaire des congrégations, aussi virulent que ses partenaires radicaux, il polémique avec Brunetière et, lorsque ce dernier lui reproche de mettre à lindex une catégorie de Français, il répond, en distinguant les personnes privées et les buts associatifs, que cest à lEtat daccorder ou de refuser aux congrégations la capacité civile de lexistence légale et le droit dexercer des activités denseignement. Le christianisme libéral de Buisson est une religion de la conscience, une religion sans dogmes, sans credo, sans orthodoxie, sans catéchisme. Religion paradoxale que celle de ce libre penseur, qui récuse le pouvoir des Eglises et enseigne que la première forme de la liberté humaine est la liberté de lesprit
Outre la dimension politique - lhostilité au cléricalisme et au césarisme, les imprécations contre lesprit des couvents, etc. -, on découvre, à mesure que lon avance dans la lecture, limportance de lesprit universel et moral des religions, et notamment lattachement à lesprit de lEvangile comme «le plus précieux des trésors de la civilisation occidentale» (p.76). Ainsi Buisson est-il favorable après la loi de séparation - à un enseignement transversal des religions centré sur la «morale éternelle» dont elles sinspirent
et que parfois elles dénaturent. Lunité de la morale et de la religion, voilà, en bref, ce que le christianisme a légué à la modernité. Buisson va jusquà parler dune religion laïque (véhiculée par lécole républicaine) dans laquelle les citoyens se retrouvent «comme les membres dune même famille» (p.254). Ce rôle de lien social assumé par le religieux, même sous la forme la plus épurée, contraste avec lidée de la laïcité comme «vide expérimental», selon lexpression de Catherine Kintzler, mais Buisson écarte aussi, sur lautre versant, les formes sécularisées de cultes organiques comme ceux de Saint-Simon et dAuguste Comte. Buisson se réfère dailleurs plus volontiers à Condorcet et à Edgar Quinet.
On lira sur cette filiation les travaux remarquables de Patrick Cabanel. auteur cité dans la bibliographie. Est oublié en revanche, Eric Dubreucq, lauteur de Une éducation républicaine, Marion, Buisson, Durkheim (Vrin, 2004), dont nous avions donné ici même un compte rendu. Mais ce défaut est peu de chose en comparaison du manque de soin dans létablissement du texte. Le nombre invraisemblable de fautes - avec quelques perles dignes de La Foire aux cancres : Victor «Coussin» (au lieu de «Cousin», p.180), «tripe» (au lieu de «triple», p.275) ou la Ligue des «Droites» de lHomme (p.283) ! compromet les chances de succès de cette édition qui aurait pu devenir autrement lédition de référence.
Laurent Fedi ( Mis en ligne le 18/06/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Une éducation républicaine de Eric Dubreucq | | |