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Histoire & Sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Contre le Mémocide
Ruta Sakowska   Archives clandestines du ghetto de Varsovie - Tome 1, Lettres sur l'anéantissement des Juifs de Pologne
Fayard BDIC 2007 /  26 € - 170.3 ffr. / 333 pages
ISBN : 978-2-213-62754-0
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

Voir aussi :

- Ruta Sakowska, Archives clandestines du ghetto de Varsovie. Tome 2, Les enfants et l'enseignement clandestin dans le ghetto de Varsovie, Fayard/BDIC, 2007, 359p., 28 €, ISBN : 978-2-213-63213-1

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.

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Dans le ghetto de Varsovie, un historien, Emmanuel Ringelblum a mis sur pied une équipe scientifique (dénommée Oneg shabat en hébreu, «plaisir du shabat») chargée de recueillir tous les documents relatifs à la vie quotidienne et à la situation de la communauté juive. Chroniques rédigées quotidiennement, dessins d’enfants, lettres reçues, papiers trouvés, affiches, cartes de rationnement, emballages de sucreries, presse clandestine de la résistance, tout était soigneusement collecté. Il s’agissait d’éviter que l’extermination physique ne soit aussi un «mémocide» (Annette Wieworka) : il fallait constituer les archives d’une histoire en formation et en devenir de la machine criminelle nazie, une histoire qui ne soit pas celle des vainqueurs, mais celle des vaincus. Aussi, Oneg shabat ne se contentait pas de recueillir, mais enquêtait, établissait des statistiques, analysait la situation, formulait des hypothèses, produisait et incitait à produire le plus de témoignages sur le ghetto, mais aussi plus largement sur la communauté juive. L’équipe de Ringelblum entreprit également d’alerter l’opinion publique en Pologne, mais également le gouvernement polonais de Londres, voire plus généralement les Alliés.

Alors que la destruction du ghetto semblait inéluctable, les membres d’Oneg Shabat ont enterré les documents dans des caisses métalliques. Seule une partie a pu être exhumée en 1946 puis en 1950, révélant quelques 6000 documents, 25 000 pages de natures très diverses, certains en polonais, d’autres en yiddish ou encore en hébreu, papiers manuscrits comme dactylographiés, soit un fonds d’une inestimable richesse pour témoigner du martyr subi par les juifs des ghettos. Ils renseignent ainsi sur la situation économique, sanitaire des ghettos, sur la résistance clandestine, sur la vie sociale, culturelle, sur les relations avec les Polonais, les Nazis, sur le fonctionnement du Conseil juif… Conservés par l’Institut historique juif de Varsovie, ces documents font l’objet en Pologne d’une édition scientifique systématique. Le projet ambitionne de publier une douzaine de tomes, dont 4 pour l’instant sont sortis. La BDIC a entamé la traduction en français et la publication chez Fayard de ces tomes – les deux premiers ont actuellement paru.

Il s’agit donc essentiellement d’une publication de sources, rapidement introduites par un rappel historique sur le ghetto et l’équipe de Ringelblum. Les documents, traduits en français, très généralement inédits, sont précédés d’une courte analyse et de la mention de leur langue originale, et suivis de quelques notes explicatives, ou signalant des difficultés de déchiffrement (les documents étant souvent fort endommagés). Parfois, les originaux sont reproduits en regard, dans l’objectif scientifique de permettre une vérification de la traduction, mais également pour mieux incarner, pour donner à sentir ces archives de la souffrance du ghetto. Les éditeurs polonais ont fait le choix d’une publication par tome thématique, ce que reprend la publication française – un index général à paraître devant permettre de se guider dans l’ensemble.

Le premier tome rassemble les documents qui rendent compte de la prise de conscience progressive de la solution finale. Ce sont très majoritairement des lettres envoyées d’autres ghettos en passe de disparaître. En octobre 1941, parvenaient ainsi à Varsovie les informations sur les exécutions en masse des juifs de Wilno, puis de ceux des territoires occidentaux intégrés au Reich ; en mars 1942, on apprenait l’anéantissement des juifs de Lublin. La vague d’extermination se rapprochait de Varsovie. Ces lettres pourtant ne rapportent pas clairement les assassinats, les coups, les convois bondés ; les auteurs, dans un contexte de contrôle du courrier, ont recours à un camouflage prudent. Rédigés dans un état de tension émotionnelle extrême, leurs mots expriment la résignation, le désespoir, parfois la révolte, le réveil de la foi comme ses fluctuations, mais aussi l’espérance d’être épargné et toujours l’amour pour les proches. On notera aussi ces billets déchirants jetés par les fenêtres des wagons par ceux qui partaient vers la mort. On retiendra aussi la longue correspondance de Szlamek, évadé du camp d’extermination de Chemlo, et qui témoigne lui très crûment de la mise en place de la solution finale. Sur la base de ses lettres, la prise de conscience par les membres d’Oneg Shabat de l’irrévocable verdict de la mort les conduisit à passer de la résistance passive à la préparation de la lutte armée.

Le deuxième tome porte sur les enfants et l’enseignement clandestin. Dans le ghetto, les enfants représentaient un quart de la population. Ils partagèrent les souffrances, puis le destin de leurs parents. Les matériaux de ce volume, plus variés que ceux du précédent, rendent compte des douleurs de ces malheureux parmi les malheureux, mais aussi de l’action menée par la communauté pour essayer de les aider matériellement, pour leur fournir également un enseignement en dépit de l’interdiction par les nazis. Le livre s’ouvre sur des écrits d’enfants, souvent des rédactions faites à l’école à la demande d’Oneg Shabat. Les photographies des originaux, avec leur écriture ronde et enfantine, est particulièrement bouleversante. Éducateurs, maîtres témoignent ensuite des conditions des enfants et du contenu de l’éducation. Sont aussi rassemblées les traces diverses des nombreux spectacles qui étaient organisés. Est enfin publié le Manuel de lecture pour les écoles clandestines du ghetto. À nouveau, la charge informative, émotionnelle et morale de ces textes, leur authenticité poignante est saisissante.

La publication des Archives du ghetto est donc non seulement un travail de mémoire nécessaire, une œuvre d’histoire incontournable, mais, plus encore, elle témoigne de la victoire intellectuelle posthume du projet de Ringelblum.


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 27/06/2007 )
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