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Inventeur d’un métier : marchand de tableaux | | | Jean-Paul Morel C'était Ambroise Vollard Fayard 2007 / 28 € - 183.4 ffr. / 622 pages ISBN : 978-2-213-62472-3 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Ambroise Vollard (1866-1939) a été un immense «marchand de tableaux» (pour reprendre le titre de ses Souvenirs). Doué de flair, intelligent et cultivé, il a su reconnaître avant les autres le génie dun Cézanne, à passer contrat avec Gauguin, à faire partie des premiers à apprécier Picasso. Sil na jamais rencontré Van Gogh, il a organisé une exposition de ses uvres. Plus jeune que Durand-Ruel ou Bernheim, avec des méthodes différentes et peu de fonds au départ, il sest imposé comme lun des grands galeristes de sa génération, il a fait partie des inventeurs de ce métier nouveau, lié à la naissance dun marché de lart adapté à la société du XIXe siècle. Il a aussi avec talent exercé une activité déditeur de livres dart, exigeant sur les textes quil confiait ensuite à de grands peintres. Disparu dans un accident de voiture en 1939, sans enfants, il laissait une fortune en tableaux dont il organisait de façon précise la destination, instructions qui ne furent dailleurs par suivies par ses héritiers.
Tombé dans un long oubli, il en ressort aujourdhui, à la faveur dun intérêt neuf (depuis une vingtaine dannées) pour les galeristes, et une exposition organisée par lArt Institute de Chicago, le Metropolitan Museum de New York et le Musée dOrsay (Paris, juin-septembre 2007) qui montre lampleur de son talent de découvreur dartistes et de marchand de tableaux. A cette occasion les éditions Albin Michel ont réédité ses Souvenirs dun marchand de tableaux et les éditions Fayard publient une biographie écrite par Jean-Paul Morel.
Ce dernier a voulu sortir des axes traditionnels de la biographie, et plus que dune biographie cest dune enquête kaléidoscopique quil faudrait sans doute parler. Il aborde en huit points, divisés en chapitres, différents aspects de la vie dAmbroise Vollard : «Vous avez dit créole
», «Qui suis-je ?», «Le mirage de la rue Laffitte», etc. En fin de volume : des repères biographiques, le catalogue raisonné des éditions Vollard, la liste des portraits de Vollard et un index complètent lensemble. En coeur de texte figurent de très nombreux encarts de citations et extraits des oeuvres de Vollard (qui fut aussi écrivain) et des articles des journaux, critiques, etc., qui illustrent sa participation à lactualité artistique et aux polémiques de son époque. Des notes de bas de page, bienvenues, donnent les références. Jean-Paul Morel a aussi eu le souci de fournir léquivalent en euros des sommes payées par Vollard pour les tableaux dont il faisait lacquisition auprès des artistes (en général en sachant à qui il pourrait revendre), et des rentes quil versait à «ses» peintres puisquil a été lun des premiers à sassurer par contrat de la fidélité de ces derniers.
Lensemble donne un curieux volume, un peu disparate : on imagine volontiers que les chapitres ont été écrits séparément et raccordés artificiellement pour le propos ; certains sont démesurément longs : par exemple les origines créoles (il était né à La Réunion) de Vollard, la longue généalogie de ses parents ne présentent malgré tout pour le sujet quun intérêt relatif. Autre déception : lencart de photos, celles de la famille réunionnaise sont à peine identifiées, on ne voit pas lintérêt de la reproduction des trois cartes postales de la Réunion, les photos du 28 rue Martignac, domicile prestigieux de Vollard, sont mal prises et là aussi parfaitement anecdotiques
Tant quà publier des photos autant quelles soient de qualité ! Enfin Jean Paul Morel, de façon souvent confuse, entre dans la vie professionnelle de Vollard (du moins en partie) mais en revanche rien ou tellement peu sur lhomme ! Le prétexte donné est la discrétion affichée du personnage : certes, mais alors pourquoi écrire une biographie ?
Dautant que lhomme est étonnant : dun physique qui ne plaisait guère au XIXe siècle, affectant volontiers une allure de balourd, enclin à lhypersomnolence qui nourrit diverses anecdotes (dont celle de la pose alors que Cézanne faisait son portrait, au cours de laquelle il sendormit). Elégant : devenu riche, il rembourse à lEtat la bourse dont il avait bénéficié pour faire ses études de droit, geste peu courant qui nécessitera un an de formalités et démarches administratives ! Séducteur, il refusa de se marier, au prétexte suivant : elle «se serait mêlée de mes affaires et elle maurait sûrement demandé des explications de Cézanne» (p.385). Cest pourtant à une femme, Madame de Galea, amour de jeunesse, quil lègue une partie de ses biens. Il manie lhumour et la provocation, apprécie Jarry, édite Ubu (illustré entre autres par Rouault) et poursuit son écriture après la mort de Jarry. Lorsquil édite Parallèlement de Verlaine, illustré par Bonnard (1900) et subit la censure, en compensation il choisit déditer
LImitation de Jésus-Christ ! Ecrivain à ses heures il reprend sans cesse ses récits sur ses peintres : Renoir, Degas, Cézanne ; il donne ses Souvenirs, rédige une Vie de sainte Monique (la mère de saint Augustin), illustrée par Bonnard (1930) dans laquelle son biographe retrouve des accents autobiographiques. Exigeant dans son activité déditeur, il publie volontairement à de très faibles tirages, des volumes de grande qualité.
Enfin il a su, dans le marché de lart qui se renouvelait considérablement à son époque, faire des choix sûrs, présenter des expositions dartistes inconnus ou peu connus dans son magasin rue Laffitte, ou dans son hôtel particulier rue Martignac. Il est passé maître dans lart de vendre avec intelligence et dacheter à bon escient dans les ventes aux enchères à Drouot, quitte, comme lors de la vente Degas, à sassocier en participation dans un pacte illicite à ses concurrents Durand-Ruel, Seligmann et Bernheim, ou encore dans les familles dartistes (il rachète à son fils latelier de Cézanne à la mort de celui-ci), chez le particuliers. Il connaît parfaitement et alimente le réseau des collectionneurs de son époque. Il a aussi noué des amitiés durables avec les peintres, couples neufs du galeriste et de lartiste. Son «écurie» est impressionnante : Jean-Paul Morel en dresse la liste. Deux «regrets» : Modigliani et Utrillo, mais sinon, génération après génération, il vend les plus grands noms de la peinture française du XIXe (et quelques-uns sombrés dans un oubli sans doute mérité : Iturrino) et de la première partie du XXe siècle (Picasso, Matisse, Braque, Derain, Chagall, etc.). Il aimait les peintres de sa génération : les nabis, les fauves, avant-gardes dont il appréciait les qualités et laudace.
Dans son métier, dont il est aussi linventeur - ou du moins lun des inventeurs -, il tient à la fois du Père Tanguy et des «marchands de couleurs» de la génération précédente, qui acceptaient de se faire payer en toiles par des artistes désargentés, qui tous ne deviendraient pas Van Gogh, et de Durand-Ruel qui sait la valeur dune adresse et lhabileté dune négociation, reconnaît le marché des collectionneurs américains qui souvre. Comme lui, Vollard sera lun des fournisseurs de Barnes, fera le voyage aux Etats-Unis.
A sa mort survenue en 1939, aux dernières heures dune civilisation dont il avait été lun des acteurs, il laisse une fortune considérable en tableaux. Son testament rédigé en 1911 est précis et ne sera quimparfaitement respecté. Ses tableaux, dispersés, connaîtront des fortunes diverses, dans une gestion
complexe, menée essentiellement par son frère Lucien et dont JeanPaul Morel reprend les différents épisodes.
En conclusion donc : un ouvrage bien documenté qui apporte de nombreuses précisions, rectifie quelques légendes, mais aurait pu être meilleur ; lauteur remercie en fin douvrage 67 personnes pour leurs conseils, leur soutien, etc. : elles mériteraient encore davantage de remerciements si elle avaient exercé une relecture plus critique, non sur le fond mais sur la forme et sur lorganisation générale du livre. Le lecteur a trop souvent le sentiment dêtre promené darticle en article.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 08/10/2007 ) Imprimer
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