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Histoire et Artistique autour d'objets sacrés
Yves Gagneux   Reliques et reliquaires à Paris - (19ème - 20ème siècle)
Cerf - Histoire religieuse de la France 2007 /  34 € - 222.7 ffr. / 336 pages
ISBN : 978-2-204-08241-9
FORMAT : 14,5x23,5 cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Actuellement directeur de la Maison de Balzac, Yves Gagneux est docteur en histoire de l’art et archéologie, et spécialiste de l’art religieux en France au XIXe siècle. C’est en historien de l’art qu’il aborde les reliques et les reliquaires parisiens au cours des deux derniers siècles, selon un plan en trois parties classique (La relique, le reliquaire, le culte des reliques à Paris aux XIXe et XXe siècles), avec un appareil critique, des annexes, un index et une bibliographie. Son approche est originale, car les XIXe et XXe siècles ne sont pas ceux sur lesquels les historiens se sont le plus penchés pour étudier l’histoire des reliques. Or le XIXe siècle - période de ferveur religieuse retrouvée aux lendemains de la Révolution française - est un temps fort de construction d’églises à Paris. Durant cette période a été rassemblé un mobilier sacré abondant, dont une partie a été dispersée dans le contexte de modernité affirmée des années post-Vatican II. Yves Gagneux choisit de construire son analyse en s’appuyant résolument sur les perspectives offertes par l’interdisciplinarité.

L’Église s’est toujours montrée soucieuse d’organiser et d’encadrer le culte des reliques qui répond à une ferveur populaire (cf. le concile de Trente, 1545-1563). Une définition précise de la relique est donnée, et les reliques sont classées selon leur importance en «reliques insignes» (corps, tête, bras, etc.), ou non (restes corporels plus petits), en «reliques réelles» (objets utilisés par les saints de leur vivant, vêtements etc.) et «reliques représentatives» (tombeau du saint, ou objets divers au contact de leur tombeau ou de leur sanctuaire, p.26).

Yves Gagneux, sur ces bases, se propose d’analyser les reliques et leur culte en utilisant la réflexion anthropologique («la relique sera désormais considérée comme les restes de la personne élue ou de ses biens, dans la mesure où ils servent à établir des relations, une communication, un culte, soit directement avec le sujet, soit indirectement, avec son avoir»). Ce qui fait une relique n’est d’ailleurs pas uniquement l’historicité de l’objet (par exemple la signature conservée aux Archives de Jeanne d’Arc n’a jamais été considérée comme relique) et il y a une réelle indépendance de la relique par rapport à la vérité historique. Cet écart a d’ailleurs nourri les sarcasmes anticléricaux, auxquels répondent les catholiques au XIXe siècle lorsque les républicains se partagent les reliques de Gambetta ou de Victor Hugo (on peut aussi songer à nos réalités contemporaines, les reliques concernant alors telle ou telle star médiatique…). Quoiqu’il en soit «il n’y a relique que pour celui qui voue un culte» (p.29).

Reliée étroitement au saint, la relique suit dans une certaine mesure l’évolution de la législation de l’Eglise en ce domaine. C’est au pape Urbain III (1623-1644) que l’on doit la codification de la législation en matière de canonisation, et les procédures qui se mettent en place aux deux derniers siècles sont longues et complexes. Une des conséquences du concile Vatican II fut la réorganisation du calendrier et la radiation d’un certain nombre de saints dont l’authenticité apparaissait douteuse : c’est le cas de la fête de sainte Philomène, instaurée par Pie IX en 1855 et supprimée en 1961, comme de celles de Christophe ou Catherine d’Alexandrie, qui disparaissent alors du calendrier. L’Église authentifie les reliques par un certificat et un sceau scelle l’ensemble. Ces précautions ont pour objet de lutter contre le commerce attesté depuis toujours de fausses reliques. En fait, le renouvellement régulier des interdictions en indique les limites.

Le cadre choisi par Yves Gagneux est Paris, qui souffrit particulièrement pendant la Révolution, et dont la plupart des reliques accumulées pendant les siècles antérieurs disparurent, soient qu’elles aient été détruites par les révolutionnaires, soient que des fidèles les aient cachées chez eux ou confiées à des ordres religieux en banlieue ou en province. Ceci étant, les pratiques du culte des reliques avant la Révolution à Paris sont mal connues, en dehors des grandes reliques : la sainte Chapelle ou Saint Germain-des-prés… Au début du XIXe siècle (Paris retrouve un archevêque en 1819), une partie de ces reliques réapparaissent, accompagnées de récits héroïques sur les conditions de leur sauvetage ; les paroisses et ordres religieux voisins de Paris, qui en avaient accueilli pendant la période troublée, les rendent. Ces retours sont d’ailleurs inégaux, et dus à des initiatives diverses : la volonté des archevêques de Paris, la piété d’individus, la bonne volonté des ordres religieux ou des églises paroissiales. Certains se montrent particulièrement généreux : c’est le cas de la basilique de Longpont sur Orge, vieux centre de pèlerinage au fonds très riche dans ce domaine. Une partie toutefois ne revient pas : soit qu’elles aient été détruites, soit que les ordres qui les conservaient ne se réinstallent pas à Paris.

Ainsi voit-on se réorganiser à Paris, dans le premier XIXe siècle, le culte des saints, selon un schéma différent de celui de l’Ancien régime : «les contemporains du christianisme, les grandes figures du diocèse de Paris, les modèles du clergé postérieurs au XVe siècle, les fondateurs d’ordre». Aux saints au culte ancien, s’ajoutent de nombreux saints nouvellement honorés à Paris car le XIXe siècle est une période de canonisations nombreuses (premiers martyrs et fouilles des catacombes romaines, missionnaires…). Enfin, des saints peu vénérés dans la période précédente font désormais l’objet d’un culte assidu : par exemple saint Vincent de Paul, dont le culte est à relier à la ferveur qui accompagne l’histoire de la médaille miraculeuse et du sanctuaire des soeurs de la Charité, rue du Bac. Yves Gagneux pense que l’on peut compter à Paris environ 3400 reliques pour environ 800 saints. A titre d’exemple, pour saint François de Sales, on recense une centaine de reliques. Ce matériel abondant entraîne la fabrication de reliquaires, de taille, de forme et d’importance diverses : de la simple boîte à la châsse dans laquelle on expose aux fidèles le corps du saint. Les lieux de conservation sont de deux ordres : les églises paroissiales et les congrégations (ce qui posera d’ailleurs problème à leur expulsion à partir des années 1880).

Ces reliques sont présentées à la vénération des fidèles dans des reliquaires, dont l’étude fait l’objet de la seconde partie de l’ouvrage. La plus grande inventivité se déploie pour les formes et types de reliquaire qui renouvellent le matériel de l’Ancien Régime : bustes, châsses, coffrets d’orfèvrerie, etc. Constatant l’inadaptation des sciences traditionnelles à l’étude de ces objets, Yves Gagneux propose de s’appuyer sur les pistes neuves ouvertes par la théorie de l’artistique (P.Bruneau, P.-Y. Balut, Artistique et archéologie, 1997) : «L’artistique ne renouvelle pas les questions qui restent à la discrétion du chercheur : elle ne fonde pas une nouvelle école historique. Mais parce qu’elle distingue d’emblée le discours sur l’art de l’analyse des œuvres, de l’étude sociale des artistes ou de la réglementation de l’art, tout en organisant leurs rapports, elle ouvre une perspective cohérente pour l’histoire de l’art, discipline trop souvent écartelée entre réception, histoire esthétique, histoire sociale, analyse isolée de l’objet et histoire des styles, sans que des ponts solides n’aient jamais relié les uns aux autres ces îlots de science humaine».

Cette grille d’analyse s’applique à une variété considérable d’objets : du reliquaire le plus «visible», le plus évident, aux reliquaires «cachés» (par exemple des reliques installées dans la flèche de Notre Dame). Les lieux les plus variés sont aussi adoptés : si possible près de l’autel, mais également en haut de colonnes ; par ailleurs, la présentation aux fidèles peut se faire lors de processions, à l’occasion de fêtes. La diversité est la règle. Elle règne aussi pour le choix des éléments de décor : écriture, couleurs, symboles… mais également souci purement ornemental. Enfin l’industrialisation permet une fabrication standardisée (par exemple dans le cas des médaillons et petites boîtes).

Cette abondance de reliques, regroupées selon des schémas variés, est présentée dans le cadre d’un culte (troisième partie) souvent davantage paroissial que diocésain. Dans la vague néo-gothique des années 1840, on réorganise le regroupement des reliques. Il y a un réel «patriotisme» dans ce domaine. Ainsi les reliques de sainte Geneviève dont le jésuite Arthur Martin règle en 1847 la mise en scène, en faisant construire un tombeau d’aspect médiéval, sans toutefois faire allusion ni à la bergère ni à celle qui organise la défense de Paris. Parmi les saints accueillis à Paris à cette époque figurent en grand nombre, objet d’un culte neuf venu d’Italie, les saints des catacombes volontiers présentés «à l’italienne» (le corps du saint, effigie de cire, en gisant, est exposé dans une grande châsse vitrée, sous ou près de l’autel : par exemple Louise de Marillac et Catherine Labouré, dans la chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du Bac). Le choix du décor, de la mise en scène exprime le discours que l’Église veut transmettre. Ainsi, si l’on reprend le cas de Louise de Marillac, la figure de cire qui dissimule son squelette est habillée en soeur de la Charité avec une cornette qui n’existait pas à son époque, mais qui pour le fidèle du XXe siècle (la reconstitution est de 1920) rattache bien la sainte à l’ordre.

Le culte des reliques pourtant s’essouffle au XXe siècle, dès 1914. L’âge d’or des reliques chrétiennes est désormais passé (même si le public demeure friand de reliques, et si une piste s’offre aux chercheurs : celle des dévotions laïques ; Yves Gagneux suggère rapidement en fin de volume le tombeau de Napoléon aux Invalides et le Panthéon) ; le concile de Vatican II lui porte un coup décisif, consacrant un déclin inexorable.

La conclusion, fortement problématisée, porte en elle des critiques que l’on peut faire à l’ouvrage : la Révolution est une rupture chronologique dont il est difficile de saisir la pertinence étant donné le peu d’informations sur le culte parisien antérieur dont on dispose ; les années 1830 seraient sans doute un meilleur choix. Il y a une réelle originalité parisienne dans ce culte, qui relève davantage des élites sociales que de la ferveur populaire, à la différence de ce qui se passe en province. Enfin Yves Gagneux constate les limites de l’histoire de l’art pour analyser ces objets à la fois d’art et de culte que sont les reliquaires et appelle à une réflexion dans ce domaine.

Au total, une lecture stimulante (alors que nous pouvons chaque jour observer un culte laïc dans le domaine du show biz ou de la «peopolisation» de notre société….), qui nous incite à mieux observer le mobilier des églises parisiennes Un ouvrage qui s’adresse à un public cultivé, qu’il s’intéresse à l’histoire parisienne ou à l’histoire religieuse.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 18/10/2007 )
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