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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Rémi Dalisson Les Fêtes du Maréchal - Propagande festive et imaginaire dans la France de Vichy Tallandier 2008 / 32 € - 209.6 ffr. / 473 pages ISBN : 978-2-84734-355-7 FORMAT : 14,5cm x 21,5cm
Préface de Pascal Ory.
L'auteur du compte rendu : Frédéric Saenen est professeur de français langue étrangère à l'Université de Liège. Il a publié plusieurs recueils de poésie et des articles de critique dans diverses revues littéraires belges et françaises. Imprimer
Les nuits de défilés aux flambeaux qui fascinèrent tant Robert Brasillach et que filma Leni Riefenstahl dans son Triomphe de la Volonté ont profondément marqué les mémoires de ceux qui en furent les témoins, voire par la suite les simples spectateurs. Elles illustrent lexploitation que les totalitarismes surent faire des rassemblements festifs, ritualisés à lexcès et au sein desquels lindividu se dilue dans la masse. Si lon connaît assez bien en la matière les archives du IIIe Reich et de lItalie mussolinienne, on découvrira par contre avec intérêt, et grâce à Rémi Dalisson, les implications multiples et limprégnation profonde que le concept de «fête» recouvrit dans la France de Vichy.
Le sujet est aussi vaste que diffus, dans la mesure où il nécessite à la fois une connaissance des rouages des instances supérieures qui prennent linitiative dinstaurer telle ou telle célébration, et la réception de ces événements auprès de «la France den bas», selon lexpression de Tocqueville. Il est en tout cas indéniable que la politique festiviste constitua lun des faisceaux transversaux majeurs du pouvoir, imposée par la Révolution nationale à toutes les sphères de la société, et investie du rôle de «ciment ethnique».
Avec méthode et systématisme, Rémi Dalisson prend soin de baliser le terrain avant den décrire chaque aspect. Il rappelle notamment que, malgré une influence considérable des modèles nazis et fascistes, la France des liesses maréchalistes comporte quelques spécificités irréductibles. Elle nétait pas sous le coup dun parti unique et se voyait en outre divisée en deux, ce qui empêchera toujours une réelle cohérence nationale, en ce qui concerne lorganisation ou lobservance des nouvelles solennités. En effet, la zone occupée fera lobjet dune surveillance accrue de la part des autorités allemandes tandis que, dans la zone libre, Pétain disposait dune plus grande marge de manuvre afin dimposer ses vues.
Cest donc au-delà de la ligne de démarcation que se développera avec le plus de ferveur un authentique culte de la personnalité à celui qui, déjà lauréé Héros de Verdun, promettait désormais sur les ondes le redressement de la patrie, à condition bien sûr que chacun sy dévoue corps et âme. Le travail de Dalisson permet dobserver au plus près, soit dans ses réalisations les plus concrètes comme les plus anecdotiques, larticulation entre propagande dÉtat et imaginaire collectif. Il décrit les modifications stratégiques apportées au calendrier de la IIIe République, et qui consistent à redonner un sens nouveau à des dates aussi symboliques que le 1er Mai, le 14 Juillet ou le 11 Novembre. Purgées de leurs dimensions révolutionnaires ou hostiles au «Boche», ces célébrations seront réinterprétées à laune des valeurs du régime, et leur portée contestataire se verra bien sûr désamorcée.
Quelles soient réactivées (Fête des Mères ou de Jeanne dArc) ou instaurées de neuf (Fête de la Sportive, Célébration de la Fondation de la Milice, Anniversaire de la Légion), les fêtes sont au coeur dun vaste projet culturel qui tente de distiller ladoption dune discipline de vie, marquée par lesprit de sacrifice et de contrition. En périphérie de ces manifestations, on trouve un arsenal de papiers et dobjets hétéroclites, la plupart à leffigie du Divin Philippe : affiches, brochures, médailles et décorations, images presque pieuses ou représentations gigantesques, jeux, calendriers, assiettes, etc. La vocation de ce «grand chosier» nest autre que de garantir lomniprésence symbolique du Chef dans chaque foyer et dans chaque esprit.
Avec cette étude, Dalisson réintroduit pleinement, dans la quête de sens mémorielle que connaît la France depuis quelques années, lune de ses dimensions oubliées, peut-être la plus cruciale. Il ne néglige pas de focaliser son point de vue sur les comités locaux les plus reculés du pays, pour le généraliser ensuite jusquaux confins des colonies de lEmpire ; se montre habile à traiter des aspects aussi variés que la politique, la religion, le folklore, la radiodiffusion ou les sports ; suit à la trace Pétain au fil de ses nombreux déplacements en province ; mentionne les variantes apportées à La Marseillaise et aux chants patriotiques afin de complaire à loccupant. Il conclut par lévocation des actes de résistance, isolés ou publics, qui émaillèrent de nombreux événements, et lénumération des «contrefêtes» subversives, tels lanniversaire de Valmy ou celui de lassassinat de Jaurès, qui fleurirent en réaction au calendrier vichyssois. The party was (nearly) over.
Derrière son titre aux relents de flonflons rances, ce livre recèle de réelles clefs de compréhension pour lhistoire de France entre 1940 et 1945, et un savoir autrement plus vivant que maints autres pensums sur la période. À lire, sine die.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 19/03/2008 ) Imprimer
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