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L'autre héros des deux mondes | | | Axel Poniatowski Cécile Maisonneuve Benjamin Franklin Perrin 2008 / 22 € - 144.1 ffr. / 348 pages ISBN : 978-2-262-02590-8 FORMAT : 14,0cm x 21,0cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban: l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
La parution dun Franklin sous la signature du président de la commission des affaires étrangères de lAssemblée nationale ne manquera pas de rappeler lactualité diplomatique, à savoir le rapprochement entre la France et les États-Unis entrepris par Nicolas Sarkozy. Quelle meilleure figure tutélaire de ce rapprochement que Benjamin Franklin, grand homme en Amérique et grand homme en France de son vivant-même ? Au même titre que La Fayette, Franklin peut être salué comme un «héros des deux mondes».
A y regarder de plus près, en lisant cette intéressante biographie, il nest pas certain que lemblème soit bien choisi. La vie de Benjamin Franklin nest pas de celles qui font rêver les Français. Cest celle dun fils dartisan, né à Boston en 1706, dix-huit ans après que son père a quitté lAngleterre. Dabord apprenti fabricant de chandelles puis apprenti coutelier, enfin épicier, imprimeur et journaliste à Philadelphie, Benjamin réussit par son travail et son sens des affaires. Fortune faite, il se retire en 1748 pour se consacrer à la politique (il est déjà secrétaire de lAssemblée de Pennsylvanie depuis 1736). Rien de commun avec les héros français, qui naissent en général dans la gentilhommerie ou la bonne bourgeoisie, guerroient, écrivent, gouvernent
mais travaillent fort rarement de leurs mains.
Franklin nest pas davantage lAméricain-type que certains ont voulu voir en lui. Jusquà la cinquantaine, il a été un fidèle sujet de lEmpire britannique. Il sest embarqué pour lAngleterre dès 1724 et y est resté un an et demi pour parfaire sa formation dimprimeur. En 1757, il est retourné en Grande-Bretagne, cette fois comme représentant de la Pennsylvanie. En ces années agitées de la guerre de Sept Ans, Franklin sest plu à Londres et nen est reparti quen 1762. Dès 1764, il est retourné en Angleterre et a failli devenir sous-secrétaire dÉtat aux Colonies, et ce nest que faute de pouvoir faire infléchir les positions de la Couronne quil sest rallié à lidée dindépendance. Ayant goûté à la vie policée de la vieille Europe, il sest attardé au-delà du raisonnable en Angleterre (jusquen 1775), et il a sans doute pensé sy installer définitivement.
Devenu partisan de lindépendance, il est presque immédiatement rentré en Europe, mais cette fois pour représenter les colonies rebelles auprès de Louis XVI (1776-1785). Son séjour en France, où ses travaux sur lélectricité lont rendu célèbre et où il est traité comme une «star» avant lheure, a également été prolongé davantage que ne le réclamaient ses obligations diplomatiques. Américain peu enraciné, homme sensuel, mari et père peu exemplaire, croyant moins convaincu encore, Franklin nest sans doute pas le plus édifiant des «Founding Fathers».
Signataire de la déclaration dindépendance (1776), du traité de Paris (1783) et de la Constitution américaine (1787), Benjamin Franklin nest pas pour autant le héros idéal de lAmérique ou de la France, et moins encore lincarnation dun rapprochement franco-américain. Il appartient en effet à une génération dont le premier souci, avant lindépendance, a été dexpulser les Français hors dAmérique ! Axel Poniatowski et Cécile Maisonneuve montrent aussi quil a été surtout ce que les politiques et les historiens deux corporations amoureuses des séries détestent : un esprit original, aussi libre et imprévisible dans ses écrits que dans la conduite de sa vie. Un original qui se paie le luxe de finir sa carrière politique et littéraire par la proposition dune mesure impopulaire : labolition de lesclavage des noirs.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 28/05/2008 ) Imprimer | | |