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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
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Représentations du voyage (1790-1840) | | | Nicolas Bourguinat Sylvain Venayre Collectif Voyager en Europe de Humboldt à Stendhal - Contraintes nationales et tentations cosmopolites. 1790-1840 Nouveau monde 2007 / 49 € - 320.95 ffr. / 541 pages ISBN : 978-2-84736-266-4 FORMAT : 14,5cm x 23,0cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Le voyage en tant que tel a longtemps été négligé par les historiens, alors que le récit de voyage intéressait les littéraires. Depuis les années 70, dans le cadre de la nouvelle histoire, Emmanuel Le Roy Ladurie avait présenté les voyages des Platter dans lEurope du XVIe siècle et le public avait mesuré que nos ancêtres étaient moins sédentaires quon ne se plaisait à limaginer.
Nicolas Bourguignat (Université Marc Bloch/IUF) et Sylvain Venayre (Paris I-Panthéon Sorbonne) ont lambition de définir une approche historienne du voyage, et dans cette perspective ont organisé un colloque, réparti en trois journées (Strasbourg, 27-28 janvier 2006, Paris-I Panthéon Sorbonne, 29 avril 2006). Ils ont fait appel à des chercheurs européens (8 pays différents) pour envisager le voyage sous différents aspects qui donnent les quatre parties de louvrage : «Des Lumières au romantisme, le voyage entre science et expérience», «Anciens points dattraction et nouveaux carrefours», «Les voyageurs entre contrainte et découverte» et «Voyage, écriture, mémoire». Une introduction claire (Nicolas Bourguinat - «Un temps de rupture dans lhistoire des pratiques de voyage») et une conclusion solide (Sylvain Venayre - «Du voyage au pèlerinage») encadrent les 26 contributions et font figure de plaidoyer (ou de manifeste) en faveur de louverture de ce champ neuf (ou renouvelé) de lhistoire. Le propos des auteurs est de sortir de la littérature de voyage, genre littéraire à soi seul, pour privilégier une approche dhistoire sociale et culturelle.
Les problématiques, stimulantes, sont doublées dun choix de périodisation original : 1790-1840, cest à dire la période qui souvre avec la fin du Grand Tour, cher aux Anglais mais désormais rendu impossible par les conditions politiques et les guerres de la Révolution et de lEmpire ; lannée 1840 est un terminus dans la mesure où, dans les décennies suivantes, on observe la naissance de ce que lon peut appeler le «tourisme de masse», facilité par la révolution des transports, encadré par les guides de voyage. Une autre lecture du voyage simpose, que résume lanecdote citée par N. Bourguignat sur George Sand qui répond à Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes lui demandant un nouveau récit de voyage en 1838 : «Jai une femme de chambre qui écrit ses impressions de voyage. Vous la publierez» (cit.p.18).
Or ce cadre spatio-temporel : lEurope des années 1790/1840 (et une phase centrale avec les années 1810/1815) est aussi celui dans lequel, au même moment, on constate lélaboration de lidentité nationale, la construction des patriotismes. La question se pose alors de mettre ces différents aspects en relation, et de se demander si les voyages ont joué un rôle dans ces évolutions. Les traversées constantes de lEurope durant ces années agitées, traversées libres, mais aussi contraintes (exils, déplacement des armées, envoi des fonctionnaires en mission
) ont-elles contribué, et de quelle façon, à la construction des nationalismes européens ? Comment change-t-on de pratique entre la fin du XVIIIe siècle, marquée par lesprit des Lumières et le voyage savant, et le milieu du XIXe ?
Les différentes contributions permettent de dégager les logiques dapproches historiennes du voyage. En premier lieu, une logique dhistoire sociale : quels sont les groupes sociaux qui voyagent ? Daniel Roche, dans son livre désormais classique, Humeurs vagabondes (Fayard, 2003), avait proposé les premières bases dune typologie : commerçants, fonctionnaires, migrants, diplomates, savants, militaires
Les travaux réunis ici soulignent le lien fort entre guerre et voyage en 1790/1815, dans une Europe bouleversée par les guerres de la Révolution et de l'Empire. En revanche, on constate leffacement de pratiques de voyages antérieures, le grand tour, les voyages dartistes, alors que les conditions politiques favorisent la résurgence dune pratique archaïque : l'itinérance des cours royales. La permanence simpose également dun modèle du voyage savant élaboré depuis la Renaissance et renouvelé à la fin du XVIIIe siècle. On voit aussi se construire une autre expérience, celle du retour : retour des Émigrés en France, nostalgie des lettres des soldats de lEmpire, retour vers les voyages de l'enfance (George Sand), etc. Expériences qui renvoient à celle du pèlerinage quil soit religieux ou culturel.
Limpression qui s'impose est celle du caractère massif des déplacements durant la période (1 million de soldats de lEmpire, environ 150000 émigrés) ce qui entraîne un renouvellement du discours sur lexpérience du voyage. Discours produit par des acteurs quil sagit détudier dans leurs pratiques, leur identité culturelle, le regard quils portent sur leur expérience. Un des aspects intéressants et neufs du colloque est lidée que, durant cette période, la rencontre devient lessentiel du voyage avec ce quelle suppose et/ou entraîne : la déception inévitable, et la «nationalisation accrue des stéréotypes locaux, dans le contexte de lassomption du patriotisme moderne au tournant des XVIIIe et XIXe siècles» (p.534).
Les contributions très diverses ouvrent des horizons : on découvre la présence de Syriens et dEgyptiens, en communautés organisées, dans la France du début du XIXe siècle ; on suit les soldats de Wellington dans la France de la fin de lEmpire ; on voit se construire des lieux qui marqueront limaginaire du XIXe siècle et éventuellement au-delà : Capri, le Rhin... On mesure le rôle de lil de lécrivain, quil sagisse de Stendhal parlant de lItalie, de Rome en particulier, ou de George Sand reconstruisant un voyage denfance en Espagne, dEdgar Quinet... Une identité européenne se construit par le voyage et les acteurs prennent conscience des différences qui les opposent, des caractères quils entendent maintenir malgré lerrance, choisie ou contrainte. Ainsi sélaborent aussi les nationalismes dans une Europe en reconstruction.
En conclusion : certes il sagit dun ouvrage savant, essentiellement destiné à un public universitaire ; cependant tout lecteur qui aime voyager peut sintéresser à ces origines lointaines de nos pratiques contemporaines. Il montre aussi la vitalité actuelle de lhistoire culturelle.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 18/06/2008 ) Imprimer
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