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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Dino Costantini Mission civilisatrice - Le rôle de l'histoire coloniale dans la construction de l'identité politique française La Découverte - Textes à l'appui 2008 / 24 € - 157.2 ffr. / 286 pages ISBN : 978-2-7071-5387-6 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
Traduction de Juliette Ferdinand.
L'auteur du compte rendu : Historien des relations internationales à Sciences Po Paris, Pierre Grosser est directeur des études de linstitut diplomatique du ministère des affaires étrangères. Imprimer
Depuis quelques années, les travaux sur lidéologie coloniale en France sont non seulement plus nombreux, mais plus visibles, parce quils sinsèrent dans les débats sur le «modèle français» dintégration et ses limites évidentes. Avec retard et plus ou moins de réussite, les questionnements et la méthodologie bien ancrés dans le paysage académique anglo-saxon arrivent en France. Il faudrait se demander pourquoi ce ne sont pas les meilleurs travaux des historiens anglo-saxons qui sont traduits, mais le livre dun spécialiste italien de philosophie politique qui, disons-le tout de suite, namène pas grand chose.
Louvrage sappuie sur les travaux du courant initié par Bancel et Blanchard, dont lobjectif est de montrer limprégnation coloniale de la société mais aussi de la République française. Ce courant a été critiqué, mais pas de manière aussi argumentée quen Grande Bretagne, où les recherches sur lomniprésence de lEmpire dans la vie de la métropole (défendue en particulier dans des ouvrages publiés par les Presses de lUniversité de Manchester) se sont développées depuis les années 1980. Il a été renforcé en revanche par des spécialistes de lhistoire des idées qui se sont replongés dans les publications de lépoque. Cest ce que fait également Dino Constantini.
Or celui-ci ne justifie pas son corpus de textes. Cest vraiment la plaie de cette histoire «intellectuelle» qui fait lexégèse décrits sans expliquer de qui et de quoi ils sont représentatifs, quel a été leur impact et leur influence, etc. Même dans la seconde partie, dans laquelle lauteur ajoute sa pierre à limmense pile détudes sur Césaire, Memmi et Fanon (on parle même de Fanon Studies aux États-Unis), il ny a quun rapide rappel biographique. Mais concentrons-nous sur la première partie dans laquelle lauteur «découvre» que le discours colonial glose sur la «mission» de la France qui aurait une «vocation universelle» à diffuser la «civilisation» européenne, mais qui se heurte au dilemme de savoir si les colonisés sont seulement «en retard» (et donc «transformables», par léducation mais aussi leur «mise au travail» et la «mise en valeur» des colonies) ou complètement différents (et inférieurs), ce qui empêcherait toute assimilation. La colonisation serait dans tous les cas légitime, et participerait à la grandeur et à lidentité de la France.
Bref, lauteur enfonce des portes ouvertes. Elles le sont dautant plus que les déclinaisons de ces discours ont été étudiées par une multitude de travaux dhistoriens qui se sont penchés sur les politiques éducatives ou de santé dans les colonies, sur la construction des histoires officielles et de larsenal symbolique, sur les origines des politiques de mise en valeur, etc. Tout cela est allègrement ignoré. De même que les travaux sur lhistoire du libéralisme, qui montrent sa «face noire» colonialiste (le livre de Jennifer Pitts vient fort heureusement dêtre traduit : Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et anglais et la question impériale, 1770-1870, Éditions de L'Atelier), sur lhistoire du droit international largement imprégné par ce discours sur la civilisation, sur la «sécularisation» de lidée de mission, sur la problématique des mandats, sur lapproche «gender» de la colonisation, etc. Sont également éludées les questions fondamentales. En quoi tout ceci serait-il spécifiquement français ? Ne retrouve-t-on pas les dilemmes similaires dans le discours colonial japonais ? En quoi des élites «indigènes» ont-elles adhéré à ce discours et ont donc été «importatrices» ? Ny avait-il pas bien dautres logiques de la colonisation (il est bien loin le temps des historiens marxistes qui insistaient sur les logiques économiques) ? Ce discours était-il spécifique à la République mais là encore pas un mot sur les nombreux travaux portant sur le colonialisme à lépoque de Vichy ? Les réalités selon les terrains nétaient-elles pas très différentes, de lAlgérie au Cambodge, de Pondichéry au Liban ?
Bref, cet ouvrage napporte vraiment pas grand chose à cause de son ignorance de la bibliographie sur lEmpire français (même quand lauteur cite des travaux, comme ceux dEmmanuelle Saada, il ne simmerge pas dans la complexité quils décrivent), de son parti pris de sappuyer sur quelques livres de chantres de la colonisation (Hardy, Sarrault
) sans justification de ce choix, et à cause de son faible souci comparatiste.
Pierre Grosser ( Mis en ligne le 09/07/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Histoire de la décolonisation au XXe siècle de Bernard Droz La Fracture coloniale de Nicolas Bancel , Pascal Blanchard , Sandrine Lemaire , Collectif Coloniser, Exterminer de Olivier Le Cour Grandmaison | | |
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