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Chronique d’un drame tombé dans l’oubli | | | Jacques-Henry Paradis Journal du siège de Paris Tallandier - Texto 2008 / 10 € - 65.5 ffr. / 397 pages ISBN : 978-2-84734-519-3 FORMAT : 12cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à lInstitut catholique de Paris, à luniversité de Marne la Vallée et ATER en histoire à lIEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense. Imprimer
Le siège de Paris est un drame oublié dans un autre drame oublié : la guerre franco-allemande de 1870-1871. Les deux Guerres mondiales ont rejeté cette «Guerre de 70» dans lombre. Pourtant, ce conflit, qui a entraîné la naissance accidentelle de la IIIe République, a hanté la mémoire nationale et pesé sur la politique de la France, tant au plan intérieur quau plan extérieur jusquen 1914. Le boulangisme, lAffaire Dreyfus, lexpansion coloniale, lalliance russe, sont en partie des conséquences de la défaite de 1870-1871. Jusquaux années 1970, les manuels scolaires en ont entretenu le souvenir et la connaissance. Ils rappelaient les grands épisodes : les charges des cuirassiers à Reichshoffen et des chasseurs dAfrique à Sedan, les combats de Gravelotte, la défense de Bazeilles par les marsouins, la trahison de Bazaine, le siège de Paris et son cortège de souffrances, etc. Mais aujourdhui, elle a du mal à exister, coincée entre le souvenirs des exploits des guerres napoléoniennes et les traumatismes du XXes. Elle a ainsi presque disparu de la mémoire nationale. Un exemple parmi dautres le montre : lun des moins connus des volumes des Rougon-Macquart sintitule La Défaite et a pour cadre les principaux épisodes de la guerre.
Lhistoriographie traditionnelle divise la guerre en deux grandes phases ou deux grandes dimensions. Dune part, les opérations militaires classiques, qui aboutissent à la destruction de larmée impériale en quelques semaines, à lété 1870. Dautre part, la courageuse et vaine tentative de résistance à linvasion, animée par le Gouvernement de la Défense nationale et incarnée par Gambetta. Cest dans ce deuxième aspect de la guerre que le siège de Paris trouve sa place. Ce fut lun des sièges les plus importants de lhistoire par ses dimensions : jamais, à cette date, une ville aussi peuplée navait été assiégée aussi longtemps. Il débuta à la mi-septembre 1870 et sest achevé fin janvier 1871, avec la signature de larmistice. Paris martyrisée, mais qui avait résisté, fut humiliée, obligée de céder ses forts et de laisser défiler sur les Champs-Élysées des troupes prussiennes, en échange de quoi, la France put conserver Belfort lors de la signature de la paix.
Jacques-Henry Paradis était un petit bourgeois parisien, sans doute agent de change, demeurant boulevard de Clichy. Conscient, demblée, dêtre le témoin dun événement exceptionnel, il décida de tenir un journal du siège. Cest cette chronique de plus de 350 pages que les éditions Tallandier (coll. «Texto») proposent aujourdhui de découvrir. Les récits du siège sont nombreux. Par exemple celui de Victor Hugo. Dès la chute de lEmpire, il sétait précipité dans Paris avant que la ville ne soit investie et il avait raconté le siège dans Choses vues. Les anecdotes sur la consommation de chats, de chiens, de rats, mais aussi des animaux des ménageries du Jardin des Plantes et du Jardin dAcclimatation, dont les populaires éléphants Castor et Pollux, sont dailleurs les rares faits historiques ayant surnagé dans le naufrage de la mémoire de ce drame. Mais si le récit de Jacques-Henry Paradis nest pas un genre isolé, il frappe par plusieurs aspects, qui lui donnent toute sa valeur.
Tout dabord, Jacques-Henry Paradis a écrit chaque jour et livre donc une chronique complète du siège. Au fil des pages, on suit lévolution de latmosphère dans la ville assiégée. Au début, le siège est presque une curiosité mondaine. Lors des beaux dimanches dautomne, on se rend aux barrières pour visiter les troupes, commenter létat des défenses et tenter dapercevoir les Prussiens. Puis les premières restrictions sont imposées. La vie devient plus dure. Enfin, les souffrances du siège se font pleinement sentir. Le froid, la faim, les bombardements en janvier, tuent chaque semaine un nombre croissant de Parisiens, dont lauteur tient le compte. Au fil de ces passages, on mesure aussi combien ce Paris est différent du Paris actuel. Cest une ville industrielle, qui, même assiégée, est capable de fabriquer des canons, des fusils, des munitions, par milliers. Cest aussi une ville agricole : dans les jardins, entre les boulevards et les fortifs, on produit les légumes qui empêchent la population de mourir de faim.
Le récit de Jacques-Henry Paradis fascine aussi par la lucidité de son auteur. Demblée, il est sans illusions sur lissue du siège. Il sait que les tentatives de briser lencerclement, de lintérieur ou par les armées de province, sont vouées à léchec. Il comprend que les Prussiens nattaqueront pas la ville. Ils préfèrent étouffer et affamer Paris, plutôt que de se lancer dans de hasardeux et meurtriers combats de rue, contre une armée, une garde nationale et des habitants prêts à se faire tuer sur place pour défendre chaque pavé de la capitale. Il est également très inquiet de la démagogie des blanquistes et des différents meneurs et agitateurs dextrême gauche. Ils utilisent lexaspération et le patriotisme des habitants pour saper lautorité des pouvoirs publics. Ils noffrent aucune perspective, sauf celle du désordre érigé en système. Ces lignes, si elles ont véritablement été écrites sur le coup, sont dune profondeur stupéfiante. Au cur dun drame, le siège, Jacques-Henry Paradis identifie déjà les racines du drame suivant, qui lui est intimement lié : la Commune de Paris.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 09/09/2008 ) Imprimer
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