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Trois poètes face au vide
Henri Scepi   Poésie vacante - Nerval, Mallarmé, Laforgue
ENS éditions 2008 /  27 € - 176.85 ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-84788-127-1
FORMAT : 14cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Poulet est une ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Agrégée de lettres modernes, elle est actuellement allocataire-monitrice à l'Université de Poitiers et prépare une thèse sur les représentations de l'extravagance dans le roman et le théâtre des années 1630-1650, sous la direction de Dominique Moncond'huy.
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Poésie vacante prend pour point de départ la crise qui touche les auteurs de la «modernité poétique», crise caractérisée par une difficile confrontation avec le langage, par une séparation d'avec le réel, par la douleur d'affronter le vide qui envahit le poème. Dans un contexte qui voit le déclin du mouvement romantique, et avec lui, la disparition de la posture de prophète visionnaire que la société, à la suite de Victor Hugo, avait pu conférer au poète, le je poétique se replie sur lui-même, tel un paria déchu et maudit. Le poème comme «acte de discours individuel» se heurte aux formes poétiques reconnues, aux carcans des normes et des traditions. La retombée des aspirations libertaires et utopiques après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, la déception surgie du monde extérieur, la conscience d'être parvenu à une situation limite, entraînent une crise esthétique et morale chez certains poètes du tournant du XIXe siècle. «Le 2 décembre m'a physiquement dépolitiqué», dira Baudelaire dans une lettre du 5 mars 1852 à Narcisse Ancelle (p.11). Le poète, retranché dans sa solitude, éprouve alors la tentation de gagner une sorte de hors-temps, puisque le présent n'est plus apte à recueillir les élans de sa Muse.

Dans ce contexte désenchanté, Henri Scepi choisit de suivre les parcours poétiques singuliers de trois poètes : Nerval, Mallarmé et Laforgue. Tous trois sont confrontés à la même «coupure» : celle qui se dessine entre la poésie et le réel. Un vide se forme dans le poème. Comment écrire cette «vacance» ? A cet évidement, les trois poètes répondent par un repli vers l’intériorité. Mais cette clôture du poème sur lui-même se fera à partir de trois cheminements poétiques différents. Nerval empruntera la voie légendaire et rêvée des «chimères», Mallarmé sera tenté par l’abstraction et la fuite vers l’idéal, tandis que Laforgue choisira au contraire de répondre par le mépris, dans une position de dilettante plein de dérision.

L’introduction de cet essai retrace efficacement le contexte troublé de cette même expérience poétique, ainsi que le paradoxe en apparence infranchissable d’un poème qui se construit autour d’une béance, qui s’élabore à partir d’un constat nihiliste. La première partie, consacrée à Nerval, opère une bonne synthèse des approches critiques anciennes et récentes portant sur l’auteur des Filles du feu et des Chimères. Par une approche de ses textes faisant alterner les «microlectures» et les analyses plus globales fondées sur des études de structure, Henri Scepi retrace les étapes d’une poétique du deuil, de la perte. Il se livre à une étude des grands textes du poète par une exploration de séries (la figure de la morte, celle de la mère), du retour de motifs, etc. Dans le second chapitre, c’est à partir d’un parcours plus chronologique qu’il montre comment Nerval devient, avec la sensation de n’être plus qu’un poète déchu, un «humble prosateur». Mais la prose donne l’occasion d’explorer d’autres voies/voix par rapport à celles de la poésie, patrie des «chimères».

La seconde partie de l’ouvrage explore le parcours poétique de Mallarmé : dans le chapitre 3, Henri Scepi aborde les poèmes antérieurs à l’expérience décisive que représente «Hérodiade» dans son œuvre ; ils disent, par le biais de l’allégorie, l’aspiration à l’idéal éprouvé par le je poétique, mais aussi la réversibilité négative de cette fuite hors du concret. Le chapitre 4 est entièrement consacré à l’entreprise inachevée d’«Hérodiade», commencée à la fin de l’année 1864. Au rêve abstrait d’une pureté absolu, répondent des couples indissociables : le Beau et la mort, le langage et le néant. Le poème est plus que jamais le lieu d’une dépossession : mais la parole poétique tente de dire cette négation. Font suite à cette expérience épuisante d’autres voies, comme celle de la suggestion, dans une poésie impressionniste (chapitre 5).

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage est consacrée à Laforgue et entreprend de lui rendre la place qu’il mérite dans cette famille de poètes de la fin du XIXe siècle qui ont cherché à inventer une langue. A partir de ses influences littéraires et poétiques, Laforgue a tenté de trouver le «style désécrit», la «langue artiste», libérée des normes syntaxiques et grammaticales, fondée sur une originalité lexicale (chapitre 6). Cette dernière section synthétise également la conception laforguienne de l'humour, regard résolument destructeur et grinçant porté sur le monde qui entoure le poète (chapitre 7).

Cet ouvrage sera apprécié pour la précision et la finesse de ses analyses, notamment stylistiques et prosodiques. Écrit dans une prose fluide et élégante, jamais jargonnante, il n'élude aucune des difficultés qui guettent le chercheur qui s'attelle à de tels textes. Revenant sur les pièces poétiques les plus célèbres de ces auteurs, mais nous permettant également de découvrir d'autres textes moins souvent étudiés, cet essai se situe, comme il est précisé dans l'introduction, à mi-chemin de la poétique du discours et de l'histoire des formes littéraires. Même si chaque auteur est étudié séparément, il rapproche dans une expérience commune trois conceptions du texte poétique rarement confrontées.


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 16/09/2008 )
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