| Camille Froidevaux-Metterie Politique et religion aux Etats-unis La Découverte - Repères 2009 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 123 pages ISBN : 978-2-7071-5397-5 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
De W. Wilson, qui voyait dans les États-unis le «meilleur espoir du monde», à Georges W. Bush, qui invitait systématiquement Dieu dans la politique extérieure américaine, on a pu, depuis longtemps, mesurer la place de la religion dans la vie politique américaine (et limpact des thèmes religieux notamment). Au point que certains auteurs - pour une population qui revendique, jusque dans sa monnaie, sa croyance en Dieu et sa certitude (quasiment un mythe fondateur) dincarner un nouveau peuple élu ont pu considérer les États-Unis comme une théodémocratie (A. Colosimo). Un concept intéressant mais qui, en soi, nest pas une réponse, plutôt une manière de qualifier une situation complexe. A cette relation qui, vue depuis la France laïque, semble résolument étrange, Camille Froidevaux-Metterie, maître de conférences à luniversité Paris 2 ainsi quà lIEP de Paris, consacre un ouvrage de synthèse efficace et éclairant, qui va au-delà des réflexions conventionnelles pour formuler - et cest tout lintérêt de louvrage - une théorie dexplication.
Cette relation originale se tisse quasiment au temps des pères fondateurs, et C. Froidevaux-Metterie débute son ouvrage par une évocation des premiers temps américains, balayant, dans la foulée, le mythe dune tolérance née dans la dissidence (puritanisme et démocratie ne font pas forcément bon ménage). Car les pères fondateurs sont partagés entre deux destins, ou plutôt deux cités pour plagier saint Augustin et les sentiments qui vont avec : réaliser la cité de Dieu sur Terre à partir des seuls élus (sur le modèle de la cité antique, égalitaire pour les seuls citoyens), ou bien développer un modèle de liberté religieuse évangélique, qui concilie raison et attentes spirituelles, une «république chrétienne» éclairée. Si cest finalement cette dernière option, mainstream, qui simpose, cela donne un système politique ouvert aux influences religieuses et qui, dans une certaine mesure, sen remet aux institutions politiques pour trancher des débats spirituels
Un cléricalisme démocratique ?
Doù une situation originale, un tiraillement fondateur entre un esprit de religion et un esprit de laïcité, tiraillement dont les effets de balanciers scandent la vie politique américaine. C. Froidevaux-Metterie entreprend donc de restituer les débats qui secouent non seulement le monde politique, mais également les institutions. Car si la constitution, via le 1er amendement, érige un véritable «mur de séparation» entre lEtat et le religieux, cette situation suppose lintervention de la Cour suprême, c'est-à-dire le pouvoir judiciaire, comptable de la constitutionnalité des lois. Mais quen est-il lorsque cette cour, au gré de son évolution politique, entreprend de pratiquer des brèches dans la muraille laïque ? Cest le sens dun débat actuel bien synthétisé dans le chapitre 4. Quant au débat politique, il participe également de cette identité chrétienne, qui nest pas lapanage des Républicains mais qui, au contraire transcende les partis et les débats, Obama compris. En éclairant les identités religieuses au sein des partis républicain et démocrate, ainsi que dans leurs débats, C. Froidevaux-Metterie propose au lecteur francophone une synthèse utile sur lévolution politique actuelle. En arrière-plan, la notion de «religion civile», qui structure louvrage, rend intelligible cette histoire politique originale et justifie la superposition des enjeux : la combinaison des identités («E pluribus unum», devise américaine alternative, lofficielle étant «In God we trust») se justifie de la sorte.
Louvrage est dautant plus intéressant à lire que comme à lhabitude dans cette collection la lecture est rythmée par des encarts généralement bien utiles, comme autant de contrepoints à la thèse centrale. Des difficultés dimplantation de lEglise catholique qui saméricanise malgré elle à la trajectoire finalement mal connue de Thomas Paine, ou encore à lidentité religieuse, controversée, de Barack Obama. Une bibliographie accompagne louvrage et permet de relayer, ou dapprofondir, les multiples pistes proposées. Au final, un ouvrage qui mêle agréablement érudition et synthèse, pour dépasser les stéréotypes et réfléchir de manière informée sur la singularité américaine (et la nôtre, par rebonds).
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 24/03/2009 ) Imprimer
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