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Ecrivain lutteur
Georges Nivat   Le Phénomène Soljénitsyne
Fayard 2009 /  25 € - 163.75 ffr. / 449 pages
ISBN : 978-2-213-63628-3
FORMAT : 15cm x 23,5cm
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La parution d’un ouvrage de Georges Nivat est toujours un événement, surtout quand celui-là est consacré à Alexandre Soljénitsyne, le géant disparu en août dernier. Disons-le d’emblée, une petite déception pointe dès l’ouverture du livre. Le texte reprend pour partie l’excellent travail que Georges Nivat avait consacré à l’auteur d’Une journée d’Ivan Denissovitch paru, entre autres, dans la regrettée collection «Microcosme» des éditions du Seuil. Cette dernière édition est, bien entendu, largement revue et complétée. Elle a même bénéficié, nous dit l’éditeur, des remarque de Soljénitsyne lui-même.

Mais ne boudons pas notre plaisir de la lecture d’un livre qui prend à bras le corps l’ensemble «du phénomène Soljénitsyne». Georges Nivat n’exclut rien : les éléments de la biographie (dont la dernière et la plus complète est enfin parue en russe), l’œuvre, la pensée, la réception, les polémiques enfin. C’est à la condition de ne pas séparer l’homme de son art que s’éclairent une vie et une œuvre faites d’un bloc.

L’œuvre de Soljénitsyne est d’abord un combat, celui de David contre Goliath. C’est une lutte à mort, sans merci et donc, sans concession, d’un revenant des camps contre le régime du mensonge. La relégation, l’exil, la calomnie sont autant d’épreuves qui peu à peu forgent l’écriture. D’une vie inscrite dans l’histoire, Alexandre Isaievitch en fait une œuvre de vérité dont l’ampleur est à la mesure de la catastrophe russe. L’homme accumule les souffrances et la puissance de révolte, l’écrivain fait le travail méticuleux de réunir une quantité considérable de notes, d’informations de toutes sortes, qu’une mémoire prodigieuse seule portera jusqu’à la publication une fois la liberté retrouvée. Le foisonnement de matériau vécu est une caractéristique fondamentale de l’œuvre, elle est sa condition d’entrée dans la littérature et sa force de persuasion. Pour écrire Lénine à Zürich, Soljénitsyne arpente les rues de la ville. L’Archipel est une quête du vrai. Pour être crédible, il faut créer des situations d’intense confiance entre les témoins (227 «coauteurs»), une sociabilité qui bénéficie à l’émergence du réel aussi terrifiant qu’il fut. Le témoin est au cœur de l’œuvre, y compris quand il s’agit de reconstituer l’histoire russe depuis Août 14. Il est le vecteur du récit. Comme Soljénitsyne lui-même est le propre témoin de sa vie de zek (le détenu dans les camps) et de proscrit.

Clé de voûte de l’œuvre, il y a la mise en œuvre – au sens littéral - de l’histoire russe : comprendre l'enchaînement des événements en rassemblant des milliers de pièces d’un gigantesque puzzle. Devant une telle puissance qui mobilise le passé, le souci des mots, l’émotion, la rage d’écrire, on en vient à penser à Saint-Simon... Mais n’allons pas trop loin. Ce travail part d’un échec, nous dit Georges Nivat, celui de l’historien. Il échoue dans son travail raisonné de saisir les enchaînements, d’établir une fois pour toute la généalogie des faits qui ont mené au mensonge et à la répression. Mais de cet échec, l’écrivain se nourrit pour mieux nous faire sentir la déraison du processus révolutionnaire et son caractère imprescriptible.

Lire Soljenitsyne est une aventure rare et singulière, ne serait-ce que par la dimension de l’œuvre qui est à l’image de la curiosité infinie de son auteur et de l’importance de ce qu’il veut impérativement rapporter. La quantité de textes, le temps mis à les écrire, celui qui est nécessaire pour les lire laissent peu de place au discours de la critique et ce n’est pas le moindre mérite de cet essai que de tenter une synthèse de cette critique qui a pourtant eu lieu et qui ne fut pas tendre.

Georges Nivat nous permet de mieux comprendre les aspects les plus rudes de Soljénitsyne. Les polémiques qui ont jalonnées sa vie d’exil depuis le discours d’Harvard jusqu’à la publication de Deux siècles ensembles sont décortiquées ; son rattachement à la tradition slavophile est assumé et justifié ; Soljénitsyne est définitivement un écrivain russe. Mais ce serait réduire l’œuvre et commettre une erreur fondamentale de jugement que de lire dans les romans d’Alexandre Isaievitch ou ses grandes fresques, des regrets de l’ordre ancien. D’autres auteurs ont montré la catastrophe de la Russie, Chalamov, Grossman, Zinoviev, mais c’est Soljénitsyne qui fut l’éveilleur de la conscience du monde, rôle ingrat, rôle essentiel pour un «écrivain lutteur».

Dans l’épilogue, Nivat rapporte une phrase d’Anna Akhmatova ne voulant pas quitter Moscou sans avoir eu entre les mains la dernière livraison de la revue littéraire soviétique Novy Mir qui publiait alors Soljénitsyne : «je veux m’assurer que nous sommes bien entrés dans une ère nouvelle».


Pascal Cauchy
( Mis en ligne le 23/06/2009 )
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