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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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La Russie post-soviétique en poche | | | Françoise Daucé La Russie postsoviétique La Découverte - Repères 2008 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 122 pages ISBN : 978-2-7071-5436-1 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Docteur en science politique de lIEP de Paris, maître de conférences en civilisation russe à luniversité Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, lauteur présente un exposé synthétique de létat de la Russie depuis la dislocation de lURSS en 1991 et la fin du communisme dEtat. Elle sappuie sur les mémoires des acteurs principaux et la littérature universitaire française, russe et anglo-saxonne consacrée à ce sujet depuis la fin de la Guerre Froide (même si certains titres manquent, qui mériteraient une mention, comme La Puissance pauvre de Georges/Youri Sokolov, bonne étude économique et géopolitique très lue il y a dix ans ; on regrettera loubli des études germanophones, culture pourtant riche depuis trois siècles en études russes).
Lintroduction rappelle lactualité du sujet : après une époque de bouleversements et de chaos sous la présidence de Boris Eltsine (la «libéralisation» économique et politique), marquée par un affaiblissement géopolitique humiliant pour la majorité de la population, la Russie remet de lordre dans ses affaires et revient sur la scène internationale. Mais cest pour sécarter du modèle «libéral» que loccident pensait y exporter. La médiatisation de lautoritarisme de Vladimir Poutine ou les interventions militaires au Caucase comme les bras-de-fer avec lUkraine et lUnion européenne ou avec lOTAN sur le périmètre de «létranger proche» (États indépendants issus de lex-URSS) que la Russie tente de contrôler, linquiétude des États occidentaux et de leurs mass media (et donc de lopinion ?) devant une nouvelle menace russe, limportance de la Russie comme fournisseur de matières premières stratégiques, la question des origines de ce tournant poutinien du pays après une cure «libérale» qui devait «normaliser» la voie russe de développement : voilà des sujets passionnants qui susciteront la curiosité de nombreux lecteurs et sur lesquels ils trouveront ici une information à jour et un état pédagogique des discussions savantes.
Louvrage, composé de six chapitres, suit chronologiquement lévolution de la Russie post-soviétique avec pour fil directeur la question de la nature de la «transition» : démocratique et libérale mais lente et marquée dun coup de barre provisoire sous Poutine ? ou post-communiste et post-soviétique, vers un nouveau modèle étatiste et national, largement héritier de lURSS (elle-même fort nationaliste et impériale depuis 1945), en somme une transition (via une période de crise et dexpériences libérales ratées) vers un nouvel équilibre, celui dun retour à une voie autoritaire ancrée dans lhistoire du pays et dont lURSS aurait été une forme (le communisme nétant lui quune adaptation conjoncturelle à un siècle catastrophique pour le pays) ? Lambiguïté des faits justifie en effet ce débat, qui ne se tranche sans doute pas au niveau de lhistoire ou des sciences politiques sans engagement interprétatif.
«Les espoirs de la libéralisation» rappelle ce quont été les années Eltsine : une rupture radicale par rapport aux hésitations de la Perestroïka. Thérapie de choc en économie, privatisations, instauration de léconomie de marché avec la liberté des salaires et des prix, suppression des protections sociales de lEtat, inspirées par des «experts» néo-libéraux anglo-saxons ; création dune démocratie électorale pluraliste dans le cadre dun régime présidentiel à laméricaine, marqué aussi par le fédéralisme ; affirmation des libertés publiques et des droits de lhomme, voire de la liberté des murs et de lindividualisme : tout cela contrastait nettement avec le système soviétique, même finissant. Lauteur traite ensuite sous le titre «Les résistances de lordre ancien» aussi bien de la lutte de la douma (qualifiée de «réactionnaire», parce que les «libéraux» de Gaïdar, honni du pays, sont ultra-minoritaires) - contre la politique «libérale» ou la personnalisation et la présidentialisation du pouvoir - que lindéniable reproduction des élites qui transforme la progéniture de la nomenklatura en nouvelle classe capitaliste et dirigeante du pays, souvent enrichie de façon aussi rapide que douteuse (une concentration post-communiste du Capital par dépeçage des biens publics) ; il y a aussi le refus de la Russie de perdre toute influence dans les ex-républiques soviétiques (et anciennes provinces de lempire russe !) devenues des États indépendants, refus qui prend la forme dun partenariat dans le cadre de la CEI. «Les soubresauts du régime eltsinien», «Le retour de lEtat», «Le tournant illibéral», «Les tensions dans la société».
Létudiant et le professeur de lycée devant enseigner aux classes de terminales trouveront dans ce livre un point utile et pratique sur un sujet qui est un des parents pauvres de lenseignement général français : que lauteur enseigne dans un centre de «civilisation russe» témoigne de ce à quoi est réduit souvent le domaine russe dans notre université : une spécialité assez exotique, qui tient peu de part dans la formation de la jeunesse française. Très nourri sur le plan factuel et clair de présentation, ce petit livre présente les grandes pistes dinterprétation des événements des deux dernières décennies. On peut lui reprocher de mêler une tendance interprétative «libérale» et «réformatrice» (le consensus des sciences politiques occidentales : le modèle occidental comme sens de lhistoire et progrès, lexigence dadaptation à la «modernité») à une allure dobjectivité et de neutralité heuristique ; le livre souffre de surcroît du défaut typique de la monographie : labsence de comparatisme nuit à la mise en perspective historique et géopolitique suffisante. Or lhonnêteté impliquerait déviter les critiques (même sous-jacentes) unilatérales. En trois questions : que signifie être un État «libéral» et «démocratique» ? Quel État y correspond-t-il aujourdhui vraiment ? Pour approfondir et lire une brillante approche marxisante, on pourra lire La Russie aujourdhui : néo-libéralisme, autocratie et restauration (Parangon, 2004) de Boris Kagarlitsky, ancien dissident de gauche sous Brejnev, devenu directeur de lInstitute of Globalisation Studies de Moscou et conseiller de la Fédération des syndicats indépendants de Russie, un des instigateurs du boycott des élections présidentielles de 2000 (un opposant aux pratiques dElstine aussi bien que de Poutine donc) : auteur reconnu et édité en anglo-américain mais omis en bibliographie chez Daucé. Un hasard ?
La Russie revient donc à notre attention, comme dhabitude, par la grâce de la peur : elle nest étudiée (sauf exception, par les programmes faisant des incursions dans le 19ème siècle !) que sous les hypostases de lURSS comme «menace» communiste et régime «totalitaire» ou bien comme «super-puissance» de la bipolaire Guerre froide ; à ce chapitre historique sajoute désormais celui, géographique et politologique, de la grande puissance régionale dEurasie, quest devenue la Russie post-soviétique : une des puissances dun monde polycentrique, où seuls les États-Unis émergent encore comme dernière super-puissance, voire «hyper-puissance». Ce nest pas quil faille lidéaliser non plus ou en faire le cur de notre enseignement. Il est vrai quen matière de perspective historique de plus longue durée aussi bien lInde, la Chine ou le Japon que même les États-Unis ne sont guère mieux servis. Il était pourtant question à la fin des années soixante de prendre au sérieux, avec Fernand Braudel, la «grammaire des civilisations».
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 01/09/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:A RECYCLER de Marie-Pierre Rey Dictionnaire de la Russie de Pascal Cauchy , Collectif Archives et histoire dans les sociétés postcommunistes de Sonia Combe , Collectif | | |
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