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Soljénitsyne, côté jardin | | | Claude Durand Agent de Soljénitsyne Fayard 2011 / 19 € - 124.45 ffr. / 278 pages ISBN : 978-2-213-66297-8 FORMAT : 15,3cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
A lheure où lon condamne le livre papier, jugé obsolète, le récit des aventures des manuscrits de Soljénitsyne (et dautres dissidents), sortis clandestinement dURSS au temps de la dictature soviétique, nous rappelle que lobjet livre ne saurait se réduire à quelques lignes de code lancées sur la Toile, et que son poids, historique, demeure. Si tous les livres nont pas un destin, certains et notamment les uvres dAlexandre Soljénitsyne jouèrent un rôle notable dans la vie de gens qui, souvent, nen connurent même pas lexistence. Ayant consacré une partie de son uvre à dénoncer le totalitarisme soviétique, via son expression la plus manifeste, le goulag, Soljénitsyne fut, sans doute, lun des acteurs de la fin de ce système, le général dune armée de mots. Et Claude Durand assura à cette armée une intendance sans faille.
En effet, à partir de 1974, Claude Durand fut, au Seuil puis chez Fayard, lagent littéraire de Soljénitsyne : une tache importante, non seulement pour débrouiller les affaires (juridiques, administratives, fiscales
) de lauteur de LArchipel du goulag et lui offrir la liberté décrire, mais surtout une manière de jouer, discrètement, sa partition dans le conflit Est-Ouest. Et du travail, il y en eut : louvrage se présente sous forme de grands dossiers thématiques, un peu comme si C. Durand, ouvrant ses fonds, tirait de chaque classeur un chapitre. Et donc se posent la question des droits, celle des traductions, des adaptations, des procès divers, des honneurs, des rumeurs, des conflits, des accusations
Lensemble, écrit dune main ferme, est à la fois assez formel le récit des diverses affaires savère parfois technique et administratif et en même temps très personnel, car petit à petit se tisse, entre lécrivain et ses agents (C. Durand, mais également N. Struve, N. Dmitrievna
), une relation forte, semblable à celle des vétérans. Le texte oscille ainsi entre récit et synthèse. On y croise un Soljénitsyne conscient de limportance de ses écrits, convaincu de parler pour ceux que le régime soviétique a fait taire, et de ce fait, très pugnace. Et de la pugnacité, il en faut à ce couple de lutteurs, et même à revendre, pour défendre une uvre passée par le canal des samizdat (les «éditions clandestines» soviétiques, autrement dit la publication en fraude en Occident) et que certains éditeurs occidentaux peu scrupuleux estimèrent abandonnée au capitalisme sauvage. Il en faut également pour se protéger contre les diverses attaques lancées, par les milieux pro-soviétiques notamment, contre un écrivain accusé, entre autres, dantisémitisme, de sympathie pour Vlassov (et donc pour la collaboration russe au nazisme), de mensonge (sur la réalité des camps), dopportunisme, voire de trahison et de russophobie.
On comprend, à la lecture des chapitres consacrés aux divers procès soit pour la défense de luvre, piratée, détournée, réécrite
, soit pour la défense de lauteur, soupçonné même de vouloir ruiner le programme commun de la gauche française de 1981 que le cas Soljénitsyne dépassa largement la simple gestion dun auteur réputé, sapparentant plus à un combat permanent au nom dune certaine conception de la liberté décrire et de la propriété intellectuelle (tant il apparaît que le monde de lédition occidentale peut être aussi retors que celui de la justice soviétique). Immanquablement, on songe, en lisant cet ouvrage, à laffaire Kravtchenko et aux difficultés rencontrées par les dissidents pour publier dans le monde dit libre (même si de Kravtchenko à Soljénitsyne, le style des attaques a évolué, moins frontal, plus insidieux).
Si Soljénitsyne a pu laisser dans lhistoire, littéraire et politique, une trace qui demeure, cest certes du fait de son uvre comme de sa personnalité, cest également grâce à la sagacité, et à la pugnacité de Claude Durand, son agent littéraire et, plus encore, son héraut. Et lorsque Claude Durand ouvre ses archives et montre ce que fut la cuisine éditoriale du prix Nobel de littérature, louvrage dépasse largement le simple récit dune collaboration littéraire, et sinsère au contraire dans une histoire trouble, complexe, celle des rapports Est-Ouest.
Un ouvrage qui intéressera donc non seulement les amateurs dhistoire littéraire, curieux des marges dune grande uvre (et dun grand écrivain), mais également les spécialistes de la Guerre froide, confrontés à lun de ces nombreux conflits, indirect mais certainement pas virtuel.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 13/09/2011 ) Imprimer
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