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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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De la misère en milieu situationniste | | | Patrick Marcolini Le Mouvement situationniste, une histoire intellectuelle L'échappée 2012 / 22 € - 144.1 ffr. / 337 pages ISBN : 978-2-915830-37-8 FORMAT : 16,6 cm × 22,1 cm Imprimer
Quel bilan pouvons-nous faire aujourdhui du situationnisme et de son héritage ambigu ? Si les critiques émises par ce mouvement à lencontre de notre société moderne semblent plus que jamais dactualité, que dire de la notoriété du groupe, fréquemment cité en référence par les meilleurs alliés du Spectacle ? Cest le cas par exemple de la Société du spectacle qui, bien souvent réduite à une critique du système médiatique, constitue aujourdhui le «Marx pour les Nuls» de communicants en mal danticonformisme.
Afin de mieux comprendre ces contradictions, il semble nécessaire de faire le point sur lhéritage ambigu de la pensée situationniste ; cest chose faite dans ce remarquable ouvrage de Patrick Marcolini. Il sagit ici de ladaptation dun travail de thèse, dont on reconnaît la recherche minutieuse. La première partie de ce livre retrace lévolution de lInternationale situationniste, depuis sa fondation en 1957 jusquà son autodissolution en 1972. La synthèse, bien que peu originale, demeure pertinente ; mais cest certainement dans létude de lhéritage situationniste que réside lintérêt majeur de cet ouvrage.
Lauteur présente avec précision lensemble des mouvements inspirés par les théories situationnistes, ou ayant eu lambition den poursuivre le combat. Louvrage a le mérite de recenser des groupuscules plus restreints et éphémères les uns que les autres, et des publications de périodiques oubliés de (presque) tous. On imagine les efforts déployés par lauteur pour trouver trace de ces mouvements contestataires aux effectifs et à la notoriété extrêmement limités (ce qui était également le cas de lInternationale situationniste en son temps).
Parallèlement à léclosion et disparition de ces groupes politiques, les théories situationnistes se sont imposées dans les milieux artistiques, avec notamment le succès de la technique du détournement et la reprise du projet de fusion entre art et vie (malgré les très sévères critiques de Debord à lencontre de lart contemporain). Le succès situationniste est également intellectuel, car les thèses situationnistes sont désormais discutées dans lensemble des institutions françaises (lexistence même de cet ouvrage démontre la banalisation des théories situationnistes, le sujet de thèse de Patrick Marcolini ayant été accepté par lUniversité. On aurait peut-être apprécié que lauteur se justifie de cette contradiction). Loriginalité du situationnisme, qui sest tout autant aventuré dans lavant-gardisme artistique que dans lactivisme politique, explique la diversité de ces héritages.
Malheureusement, lauteur semble parfois manquer de distance critique envers son sujet ; son attachement au situationnisme lui interdit de penser ses apories théoriques, et il persiste à penser son héritage en termes de «récupération» lorsque ces contradictions inviteraient davantage à souligner les paradoxes de la pensée du mouvement. Car en réalité, il nexiste pas de bonne récupération, mais que de mauvaises théories ; le succès des thèses situationnistes souligne avant tout lincapacité du mouvement à formuler une critique cohérente du monde moderne. Il en est ainsi par exemple de la place du désir dans les écrits de Debord, qui constitue tour à tour le moteur du sentiment révolutionnaire puis le cur de la pensée capitaliste («léconomie du désir»). On trouvera dans les textes situationnistes des critiques extrêmement pertinentes du fonctionnement du capitalisme mêlées à des élans modernistes totalement en phase avec lidéologie consumériste : il est donc parfaitement logique de constater, quarante ans plus tard, les héritages contradictoires de cette pensée incohérente.
Ce nest que tardivement que Patrick Marcolini semble prendre conscience de ces contradictions et de la nécessité dun héritage «conservateur» du situationnisme, cest-à-dire débarrassé de son individualisme anarcho-libéral. Tandis que la récupération des théories modernistes du groupe par lart contemporain et le milieu publicitaire démontre leur totale nullité, il semble plus jamais nécessaire de sappuyer sur la critique situationniste de ces chimères contemporaines afin de lutter contre les méfaits dun progrès crétinisant ; comme laffirmait le Debord tardif et mélancolique de Panégyrique, «quand être «absolument moderne» est devenu une loi spéciale proclamée par le tyran, ce que lhonnête esclave craint plus que tout, cest que lon puisse le soupçonner dêtre passéiste».
Antoine Robineau ( Mis en ligne le 11/12/2012 ) Imprimer | | |
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