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Un petit tour à la ''piscine'' ?
Roger Faligot   Jean Guisnel   Rémi Kauffer   Histoire politique des services secrets français - de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
La Découverte - Poche 2013 /  15 € - 98.25 ffr. / 738 pages
ISBN : 978-2-7071-7771-1
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en novembre 2012 (La Découverte)

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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Les services secrets sont une usine à fantasmes pour un grand public aussi avide de révélations que conscient de ne pas être dans le secret des cabinets ministériels : la démocratie protège jalousement sa part d’ombre. Si le stéréotype de James Bond est définitivement à écarter, le thème des opérations secrètes, des manipulations variées, des agents doubles ou triples et, plus largement, d’une «vraie» histoire qui s’écrirait dans les coulisses de la grande, fait toujours recette.

Cet ouvrage, qui se dévore comme un bon thriller, s’inscrit parfaitement dans ce courant. Les auteurs sont, il est vrai, des habitués, presque des complices. Chacun, dans son domaine, peut revendiquer une production massive de livres, articles et documentaires consacrés au sujet : Roger Faligot est l’auteur, encore d’un ouvrage passionnant sur les SR chinois et d’une histoire mondiale du renseignement, Jean Guisnel s’est plutôt intéressé à la période mitterrandienne ou encore au cyberspace ; quant à Rémi Kauffer, après son histoire de l’OAS, il a également participé à cette histoire mondiale du Renseignement.

On avait aimé, en 2006, L’Histoire secrète de la Ve république, ses secrets, ses révélations, ses titres chocs et ses formules saillantes… Les amateurs de ce premier ouvrage retrouveront le même charme de lecture avec cette Histoire politique des services secrets français : même présentation agréable (mais dense), où les chapitres sont entrecoupés de précisions diverses (affaires, biographies, débats, etc.), même style mêlant l’art de la conversation et celui de la confidence. Une pincée de terrorisme, un peu de piraterie, des secrets d’espions, des entretiens avec quelques grandes éminences du monde des services... Bref, des secrets et de l’information par un trio d’excellents journalistes qui n’aiment rien tant que passer de l’ombre à la lumière, en explorant au passage les recoins du renseignement et du monde de l’espionnage, la «piscine» pour les habitués.

On plonge donc dans la piscine, et on y plonge tôt. La préhistoire des services est déjà militaire, et, dès les années 20, on voit les services de renseignement, liés à l’armée, se heurter à un pouvoir dubitatif. Espionnant l’Allemagne nazie (jusqu’à disposer d’un agent extrêmement bien placé au sein du Chiffre allemand), les SR français ont plus d’opportunités que de crédit politique… A cet égard, le récit d’une tentative avortée contre un Hitler déjà menaçant, en 1937, le plan Paillole, laisse songeur. C’est donc dans l’adversité que l’outil se forge, dans l’adversité et dans la défaite : la France libre s’adapte au défi d’une France devenue hostile et se dote d’un outil capable de préparer la libération. Ce sera le BCRA - récemment étudié par Sébastien Albertelli –, une ébauche efficace qui cumule les dangers de la guerre et de la résistance, les risques de l’espionnage… et la rivalité des Alliés. Car si les modèles anglais et américain s’imposent, inévitablement, les relations entre alliés demeurent complexes, et les prés carrés sont jalousement gardés. La guerre sert donc d’école autant que de matrice avec, en ligne de mire, la libération, la rénovation de l'État, et la construction d’un service de renseignement national fort. La guerre froide, en germe, justifie cet impératif.

Et donc, on passe des officines de la Résistance au SDECE, non sans difficultés - et l’affaire Passy montre bien que la frontière entre l’intérêt politique et l’intérêt national demeure ténue - en conservant quelques habitudes (bonnes ou mauvaises). L’après guerre est pour le SDECE une période d’élaboration… sans filet. La guerre froide change déjà la donne, le «grand jeu» a commencé et les services français s’y appliquent sans état d’âme. L’heure est à la lutte contre la subversion, celles du Viêtminh, du FLN comme celles des pays de l’Est : les agents retrouvent les réflexes de la résistance et des maquis (notamment les GCMA indochinois), installent des réseaux (jusqu’au Vatican) dans une certaine indépendance aussi, avec le sentiment d’agir pour la bonne cause. La guerre secrète se déploie, avec ses victoires (l’affaire Farewell) et ses défaites, à l’ombre du processus de décolonisation.

A cet égard, l’ouvrage éclaire les coulisses des guerres d’Indochine et d’Algérie, avec force détails et angles originaux. On découvre alors le poids politique des services de renseignement, les enjeux de l’action clandestine, ainsi que les apories de la raison d'État. Avec, au sein du SDECE, des agents qui jouent leurs propres partitions (jusqu’au pseudo terrorisme de la Main rouge). Mais si la raison d'État peut légitimer des écarts, on voit également ses dangers, à commencer par le développement, au sein du SDECE, d’une culture de l’indépendance qui confine à l’impunité. L’affaire Ben Barka ou l’affaire Markovic tracent la limite entre le service de l'État et celui d’un parti ou d’une faction. Et c’est l’un des nombreux intérêts de cet ouvrage que de se placer constamment au confluent de l’inspiration politique, de la décision administrative et de l’action pour observer les dangers du maniement des services. Il y a des leçons à prendre dans la conduite du pouvoir.

Les incontournables ne sont, du reste, pas contournés : le détour indispensable par la Françafrique et les réseaux Foccart, les accointances politicardes avec le SAC et, plus largement, la nébuleuse gaulliste (et ses coups bas). Durant la IVe et les débuts de la Ve républiques, le paysage du renseignement français fait plus penser au Far West qu’à une administration encadrée. Une véritable auberge espagnole : on croise, au hasard des pages, quelques sommités, un cardinal de la sainte Église romaine, un mercenaire malchanceux, un présentateur télé, un conseiller élyséen, des terroristes… Le temps des barbouzes est toutefois compté, d’abord avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, qui opère une première réorganisation (sur le mode épuration politique) des services, transformant au passage le SDECE en DGSE. Une preuve de la nature toujours très politique de l’instrument, extrêmement sensible aux inflexions politiques.

La chute du mur de Berlin marque aussi un changement majeur de style, de regard porté sur le renseignement, de gestion même (avec la présidence Sarkozy). Dans un monde qui s’est notablement complexifié, face à la multiplication et la diversification des missions et des acteurs, le renseignement évolue, s’adapte aux menaces nouvelles (le terrorisme) et aux enjeux renouvelés de la diplomatie française, sans oublier de surveiller les anciens adversaires (à commencer par la Russie). La question des collaborations avec les services amis est également abordée, non seulement les collaborations traditionnelles (mais pas sans tensions) avec la CIA ou le MI6, mais aussi – dans une Europe en constante intégration – avec le BND allemand et, plus largement, les nombreux services européens, tissant ainsi une Europe du renseignement sans doute plus avancée (mais c’est une affaire à suivre) que celle de la défense. Enfin, le renseignement se croise avec les affaires et une actualité toujours plus brûlante : otages divers, contrats nucléaires et d’armement, scandales politiques (les comptes bancaires à l’étranger, les échecs retentissants des manœuvres clandestines), privatisation du renseignement et développement du renseignement économique, etc. C’est tout le sel de cet ouvrage de montrer l’évolution tant des services eux-mêmes que de l’usage politique/étatique qui en est fait, dans un contexte international changeant.

Alors certes, les notes sont réduites à l’essentiel : le lecteur est prié de faire confiance aux auteurs… Mais il s’agit de se laisser porter, par le style tout d’abord qui rappelle les «Conversations avec Mr X» (la cultissime émission de France Inter), par une sobriété nuancée de quelques pointes d’ironie, par un regard à la fois citoyen, «affranchi» et lucide, par la profusion des références, des informations, des portraits, des renvois à telle ou telle fiche. Comme on dit à Rome, «se non è vero, è ben trovato». Et donc l’ouvrage se lit, se déguste, se picore ou se parcourt, au choix, avec une impression d’exhaustivité.

En fin d’ouvrage, un index ainsi qu’une liste des agents morts pour la France offrent au lecteur exigeant un instrument indispensable pour se repérer dans une histoire finalement ample et complexe, qui garde forcément un parfum de secret. Mais cet ouvrage réussi démontre, une fois de plus, que la réalité est bien plus intéressante que la fiction.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 26/11/2013 )
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