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Un nouveau Dien Bien Phu ? | | | Stéphane Mantoux L’Offensive du Têt - 30 janvier-mai 1968 Tallandier - L'Histoire en batailles 2013 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 223 pages ISBN : 979-10-210-0264-7 FORMAT : 14,5 cm × 21,5 cm
L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Vue de France, la guerre du Vietnam demeure une guerre un peu floue, perçue au prisme de la culture américaine (et notamment du cinéma) plutôt quanalysée par les historiens. Il existe certes dexcellentes synthèses, telle celle de John Prados (La Guerre du Viêt Nam, Perrin, 2011) plus intéressée du reste par les questions politiques que militaires mais lhistoriographie francophone demeure rare, et circonspecte. Lombre de lIndochine pèse sans doute sur ce conflit.
Il faut donc saluer la parutions de lexcellent ouvrage publié par Stéphane Mantoux, historien et bon connaisseur des questions militaires et stratégiques. En effet, cette Offensive du Têt a déjà une première vertu incontestable, celle de rendre lumineuse une situation compliquée, que les analystes ont comparée à un «bourbier». Très pédagogiquement, et sans excès dérudition, lauteur, après avoir fait lhistorique du conflit, montre les forces en présence Américains, Vietnamiens du Sud, Vietcongs et Vietminhs et leurs choix stratégiques et tactiques
pour en arriver à lidée dune impasse, dune situation bloquée. En effet, les deux forces, chacune avec ses propres atouts, livrent une guerre quelles ne peuvent pas gagner. Loffensive du Têt, de janvier à mai 1968, est donc pensée comme une vaste offensive en rupture, une manière de dénouer une situation bloquée et de forcer la décision.
La manuvre, mise en musique par le général Giap pourtant hostile à lorigine est subtile en ce quelle cible, outre larmée sud-vietnamienne, lopinion publique américaine. Il sagit, en débordant le seul champ de bataille où la technologie américaine domine, de frapper ladversaire dans son point faible, élargissant par là le théâtre des opérations. Une stratégie qui se déploie, en trois temps, sur plusieurs mois et dont lauteur suit, pas à pas, le déroulement, en en observant par ailleurs les échos, tant les dimensions morale et politique simbriquent dans les épisodes militaires. Et les combats sont importants, marquants : depuis les prémices à Saigon (avec lassaut symbolique de lambassade américaine, évoqué en introduction) jusquà des épisodes beaucoup plus coûteux en vies humaines, comme Hué ou le siège de la base de Khe Sanh, que les Nord Vietnamiens veulent transformer en un nouveau Dien Bien Phu.
Louvrage aurait pu se limiter à une longue chronologie commentée de la guerre (et il aurait déjà été fort utile), mais il se lit en fait comme une belle leçon de stratégie et de tactique, un véritable wargame historique : tout le crédit en revient à lauteur, qui a su prendre de la hauteur, élaguer les détails pour se concentrer sur lessentiel, et donner à penser. Au-delà des épisodes marquants et péripéties, Stéphane Mantoux montre la mécanique de cette offensive, le rôle de la géographie (particulièrement de la piste Ho Chi Minh et plu largement de ce qui se joue hors des frontières vietnamiennes), lenjeu technologique (et, par contraste, le côté asymétrique du conflit), le poids des considérations psychologiques au sein du commandement (notamment le général américain Westmoreland, dont les intuitions et lentêtement pèseront lourd), ou encore les rapports au sein du pouvoir politique (le président Johnson, partagé entre des conseillers excessivement optimistes et une opinion de plus en plus critique). Louvrage, court, est bien pensé et introduit son lecteur dans les Etats-majors, où lon suit les divers développements de ce vaste mouvement.
Étayé par une bibliographie largement anglo-saxonne, louvrage savère très accessible également du fait dun appareil cartographique efficace, ainsi que par lindispensable index des noms. Il lui manquait peut être un cahier iconographique, mais la collection nen prévoit pas, et cest bien regrettable. On avance donc le long dune offensive rythmée par quelques grandes batailles, avec, en arrière-plan, un moral qui se désagrège. Un bel exemple dhistoire politico-militaire et de cette «histoire bataille» renouvelée, et bien renouvelée.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 19/11/2013 ) Imprimer
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