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La nature du film
Dimitri Vezyroglou    Collectif   Le Cinéma : une affaire d’État. 1945-1970
La Documentation française - Travaux et documents 2014 /  18 € - 117.9 ffr. / 283 pages
ISBN : 978-2-11-009706-4
FORMAT : 16,0 cm × 24,0 cm

L'auteur du compte rendu : David-Georges Picard est conseiller pour le livre, la lecture et les archives à la Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France.
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Tant singulière qu'exemplaire parmi les politiques économiques et culturelles de l’État, la situation présente du cinéma en France s'explique à l'aune du 20e siècle, c'est-à-dire au prisme des à-coups de l'histoire, des oppositions entre secteurs professionnels et administratifs, des aspirations à la rentabilité et à la qualité, de la concurrence internationale et de la construction réglementaire européenne. Le Cinéma : une affaire d’État. 1945-1970, ouvrage dirigé par Dimitri Vezyroglou et publié en 2014 par le Comité d'histoire du ministère de la Culture et de la Communication, dessine une perspective exhaustive de ce pan des industries culturelles dont la nature polymorphe en rend la perception délicate. C'est là l'un des grands mérites de cette publication que d'expliciter, en considérant une longue période et l'ensemble des facteurs (historiques, philosophiques, commerciaux, budgétaires, artistiques, etc.), la construction de la politique de l’État en faveur du cinéma.

Le Cinéma : une affaire d’État prend place, ainsi que le rappelle Maryvonne de Saint-Pulgent (p.15), parmi les travaux menés dans le cadre de la coopération du Comité d'histoire et des milieux universitaires. Pour comprendre ce que le cinéma représente aujourd'hui au sein des politiques portées par le ministère de la Culture et de la Communication, c'est-à-dire pour saisir les inflexions politiques et la résonance des autres secteurs culturels qu'a suscitées l'entrée du cinéma au sein du ministère, une somme manquait jusqu'alors dans ce domaine, finalement peu étudié, comme le souligne Alain Auclaire dans son introduction (p.17).

Dans l'appréhension du secteur du cinéma en France, prime une nécessaire étude interdisciplinaire mettant en perspective les différents champs sur lesquels se situe le cinéma, à commencer par les champs économique et commercial. Si le Centre national du Cinéma et de l'Image animée (CNC), tant en interne par les dispositifs d'accompagnement qu'en externe par les relations nouées avec d'autres acteurs, joue un rôle essentiel, consolidé tout au long de la seconde moitié du 20e siècle, il n'assume néanmoins pas seul la définition de la politique et les équilibres à garantir sont de natures très diverses. Par «une observation attentive sur une longue durée de l'économie du secteur, de l'attitude des opérateurs vis-à-vis de la puissance publique, de l'évolution des instruments juridiques et financiers de l’État» (Alain Auclaire, p.19), la place prise par le cinéma parmi les politiques culturelles de l’État s'éclaire. Fait écho à ce postulat l'article de Laurent Creton (''Histoire économique du cinéma français dans les années 1950 et 1960 : quelques analyses sur la fréquentation,  la concentration et les parts de marché'', pp.103-120) s'appuyant sur la «périodisation» économique de l'histoire du cinéma pour comprendre la fondation d'une politique publique : progression puis régression de la fréquentation, arrivée massive de films américains à la suite des accords Blum-Byrnes (28 mai 1946), parc de salles vieillissantes dans les années 1950, etc. Cette multiplicité de facteurs contribue à l'approfondissement de l'intervention de l’État que ce soit sous la forme de dispositifs d'accompagnement financier ou sous la forme de labels reconnaissant telle ou telle spécificité, par exemple la diffusion Art et essai.

Outre les motifs économiques, c'est la structuration d'un secteur professionnel qui participe à l'établissement d'une politique portée par la puissance publique. La création de la Cinémathèque française en 1936 constitue en ce sens une première étape (Stéphanie-Emmanuelle Louis, ''Le musée au pluriel. 1958-1968 : le patrimoine cinématographique au prisme de la décentralisation'', pp.195-204). Vient peu après la création par le pouvoir de Vichy d'un organe corporatif, le Comité d'organisation de l'industrie cinématographique (COIC), en 1940, auquel succédera, par décret en date du 28 août 1945, l'Office professionnel du cinéma (OPC). Ce dernier sera rapidement remplacé le 25 octobre 1946 par le vote de la loi portant création du CNC. Dès son acte de naissance, considéré comme l'héritier du COIC décrédibilisé par la collaboration, le CNC fait l'objet de vives critiques. De plus, le secteur professionnel se raidit face à ce qui est perçu comme une ingérence de l’État. Les premières années du CNC sont donc jalonnées de différends : ainsi la «querelle du 3 800 mètres» par le passage du métrage de 3 300 à 3 800 mètres avec la décision réglementaire en date du 15 juin 1950, mais aussi à l'occasion du vote du budget 1951 la proposition de loi en 1950 en faveur de la suppression de la dotation destinée au CNC, le remplacement de Michel Fourré-Cormeray, directeur général du CNC, par Jacques Flaud, etc. (Pascal Legrand, ''Le Centre national de la cinématographie des «premiers temps» (1944-1954)'', pp.59-69).

Avec l'intervention croissante des pouvoirs publics depuis les années 1930, la formalisation d'une politique de l’État en faveur du cinéma se situe véritablement au moment du glissement de la tutelle exercée sur le CNC du ministère de l'Industrie vers le ministère des Affaires culturelles. Dimitri Vezyroglou et Gaël Péton (''La politique française du cinéma au moment du rattachement du CNC au ministère des Affaires culturelles, 1957-1962'', pp.27-57) relèvent dans ce passage la «césure» marquant l'entrée du secteur dans une ère politique nouvelle. Plusieurs événements soulignent ce changement. D'une part, la qualité de la production devient l'un des piliers de la politique d'accompagnement, ainsi : «[…] ce sont les incitations à la qualité – que ce soit pour le long métrage, le court métrage ou la presse filmée – qui bien qu'elles existassent déjà avant 1959, deviennent une formule privilégiée de soutien à ce secteur [...]» (p.33). D'autre part, le cinéma est intégré au dialogue budgétaire et stratégique que représente le IVe Plan (1962-1965), pour lequel André Malraux suscite la mise en place d'une Commission de l'équipement culturel et du patrimoine artistique, au sein de laquelle un groupe Cinéma est créé. Ensuite et toujours sous l'impulsion de Malraux, le CNC parachève sa mue, malgré le feu des critiques, passant d'une nature corporative à une structure administrative (pp.39-41) ; ce mouvement se fait naturellement au désavantage de la corporation. Le choix d'un modèle de régime d'aide, amorcé à partir de 1953, a nécessité, par ailleurs, l'adaptation de celui-ci aux textes européens (en particulier au Traité de Rome signé le 25 mars 1957, en son article 92), cela participant de facto à la définition d'une position de l’État face à la CEE, position que partagera l'Italie et fondée sur le respect de la concurrence. Enfin, les contours de la Cinémathèque française se voient précisés par les fonctions de conservation, de valorisation et de diffusion de productions de qualité.

La politique publique en faveur du cinéma s'articule dès lors à partir d'une volonté manifeste d'accompagner une production de qualité. Frédéric Gimello-Mesplomb précise ainsi que «le 23 septembre 1948 sont mis en place les grands principes de fonctionnement de la première loi d'aide temporaire à l'industrie cinématographique, adoptée au Parlement en juillet 1948, et ayant permis l'institution d'un Fonds spécial d'aide temporaire à l'industrie cinématographique (FSATIC) alimenté par la TSA (taxe spéciale additionnelle sur le prix du billet)» (''La qualité comme clef de voûte de la politique du cinéma : retour sur la genèse du régime de soutien financier sélectif à la production'', pp.85-102). Si l'objectif initial est d'assurer le financement d'organismes et de manifestations, l'élargissement de l'assiette donnera la possibilité au CNC de construire une politique culturelle. En 1953, avec la transformation du FSATIC en Fonds de développement de l'industrie cinématographique (FDIC), le CNC se voit attribuer la gestion de ces crédits. Ceux-ci sont destinés à six catégories de bénéficiaires : producteurs de longs métrages, producteurs de courts métrages, exploitants de salles, industries techniques, presse filmée, organismes d'intérêt général. Avec la loi du 6 août 1953, selon l'article 10, «les longs métrages se voient attribuer possiblement un minimum garanti de recettes s'ils répondent à trois critères : servir la cause du cinéma français, ouvrir des perspectives nouvelles à l'art cinématographique, faire connaître les grands thèmes et problèmes de l'union française» (p.95). Guillaume Vernet souligne ici le fait que cette seconde loi «marque en effet l'apparition effective du critère de qualité au sein du cadre du soutien à la production du CNC» (''L'hypothèse d'une «prime à la qualité» au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Discours, projets et rendez-vous manqués (1944-1948)'', p.73). L'inscription du terme «qualité» dans le marbre de la loi est en soi la conclusion d'une dynamique engagée à la Libération, manifeste par la création de l'IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) pour la formation de techniciens qualifiés et par la proposition d'une détaxation particulière appliquée aux films de mérite à partir de 1946, cette dernière proposition connaissant une reconfiguration pour se transformer en une prime à l'exportation, elle-même finalement convertie en une simple bonification accordée aux producteurs dans le calcul de leurs droits (Guillaume Vernet, pp.74 et 78). Une évolution interne sera ensuite rapidement engagée qui débouchera, par le décret en date du 16 juin 1959, sur le système de l'avance sur recette. En 1957, c'est-à-dire presque simultanément, sont créées d'une part l'Association française des cinémas d'art et essai (Afcae) d'autre part une commission de réflexion au sein du CNC chargée d'identifier les critères de qualité des salles de cinéma qui pourront se voir reconnaître le classement art et essai. Les fondations sont dès lors posées pour un soutien institutionnalisé à la qualité.

Dès la fin des années 1940, la demande du public avait contribué à l'installation de programmations alternatives dans le paysage de la diffusion. De même, des initiatives venant des critiques, notamment de l'Association française de la critique du cinéma (1949) pour la création d'un cinéma d'Essai «où sont projetés en public des films non programmés par les autres cinémas» participaient de la sensibilisation à la qualité et du rapprochement entre critiques et exploitants dont la conséquence sera la création de l'Afcae. A la suite de la création du label Art et essai établissant un secteur non strictement commercial, il s'agit alors de préciser ce que recouvre le secteur marchand de qualité (Aurélie Pinto, ''L'Art et essai ou la politique de qualité dans les salles de cinéma (1949-1961)'', pp.185-194).

La première réglementation du secteur non commercial est établie par le décret du 21 septembre 1949 pris par le ministère de l'Information et à partir duquel s'organise le mouvement des ciné-clubs. En raison de son apparentement à l'éducation populaire, ce mouvement amateur n'est pas considéré par André Malraux comme un interlocuteur du ministère des Affaires culturelles mais davantage du ministère de l’Éducation nationale. Néanmoins, le CNC joue un rôle d'interlocuteur pour les ciné-clubs et participe à leurs relations avec l’Éducation nationale pour le volet éducatif. Léo Souillés-Debats souligne les difficultés rencontrées par les ciné-clubs d'une part dans leur organisation en fédération, d'autre part en matière d'approvisionnement, enfin par la concurrence déloyale supposée qu'ils causaient au secteur commercial. Ces tensions conduisent à l'installation d'une nouvelle réglementation du secteur non commercial par : le décret du 6 août 1963, qui distingue les séances de l'exploitation commerciale et les séances dites non commerciales qui, elles, sont exemptées du contrôle des recettes, l'arrêté du 6 janvier 1964 qui reconnaît en son article 3 un label/une appellation ciné-club et la décision réglementaire n°50 du 9 juin 1964 complétant l'arrêté (''L'institutionnalisation des ciné clubs. Du statu quo professionnel à l'uniformisation d'un mouvement (1957-1964)'', pp.163-172.).

Au cœur du processus de décentralisation culturelle voulue par Malraux, les maisons de la culture n'accueillent cependant le cinéma qu'à la marge. Elles sont inscrites auprès de l'Afcae qui assume la mission de distribution d'un cinéma de qualité. La programmation des maisons de la culture se bâtit donc sur les films commerciaux mais aussi sur ceux qui ont bénéficié d'un accompagnement de l’État dans le cadre de l'aide sélective. Avec pour objectif d'assurer la cohérence du programme d'action culturelle voulu par l’État, l'association ATAC (association technique pour l'action culturelle) est créée en 1966 et s'installe comme espace de dialogue et de réflexion des directeurs d'établissements culturels, instaurant en son sein en 1970 une section consacrée aux activités cinématographiques (Gaël Péton, ''Décentralisation, politisation, pédagogie : l'activité cinématographique au sein des maisons de la culture, 1959-1973'', pp.173-184).

En marge de ce mouvement en faveur d'une production de qualité et de l'encouragement à la diffusion de cette production, des courants conservateurs voire réactionnaires continuèrent à se manifester. Opposé à l'intégration des organes de censure au sein du ministère des Affaires culturelles, Malraux n'était pas parvenu à empêcher en 1961 l'instauration de la pré-censure qui permettait l'intervention de la Commission de contrôle des films dès le découpage dialogué. La Commission siégea par ailleurs dans les murs du CNC tout en restant sous la tutelle du ministère de l'Information (Frédéric Hervé, ''Encombrante censure. La place de la Commission de contrôle des films dans l'organigramme de la politique du cinéma (1959-1969)'', pp.123-132). Parmi les forces contraires se manifestèrent notamment le Parti communiste français, qui prônait, modérément d'abord, clairement ensuite en raison de la révocation des ministres communistes en 1947, une position dure de nationalisation du secteur (Pauline Gallinari, ''Le PCF et la politique du cinéma de l'après guerre à la fin des années 1950'', pp.143-150) mais aussi l’Église catholique de France. Celle-ci poursuivait une démarche d'«apostolat cinématographique» engagée dans les années 1920, validée par l'encyclique Vigilanti cura (1936) et qui s'appuyait sur le déploiement de services qu'étaient la Centrale catholique du cinéma et la radio CCR. Si elle connut à la Libération une période d'atténuation, la contestation catholique vécut un sursaut tout particulièrement face à la production de la Nouvelle Vague. Cependant, l'essoufflement fut manifeste à partir du concile Vatican II, ce qui s'explique par la confusion qui enchevêtra critiques artistiques, postures idéologiques et relations avec les pouvoirs publics (Mélisande Leventopoulos, ''La fin des croisades morales ? L'Église de France, Vatican II et l'espoir d'une moralisation gaulliste du cinéma'', pp.151-160). Autre acteur institutionnel du cinéma, le Service cinématographique des armées (SCA), service interarmées du ministère de la Défense, tenta de conserver la mainmise sur l'information militaire à l'heure des conflits de la décolonisation et de la Guerre froide. Il fut néanmoins contingenté dans son volume de production afin d'éviter toute concurrence avec le secteur privé mais aussi par le système du visa attribué par le CNC. La guerre d'Algérie mit un terme à la contribution de ce service à la propagande qui, dès lors, concentra son activité sur les films d'instruction (Sébastien Denis, ''L'institution militaire française face au cinéma. Filmer les guerres, promouvoir l'armée (1945-1970)'', pp. 133-142).

Pierre Viot le mettait en exergue en 1995 : le cinéma a puissamment contribué à l'intérêt du ministère de la Culture et de la Communication pour les industries culturelles mais aussi à sensibiliser les pouvoirs publics et le secteur privé à la nature du film qui «n'est pas un bien marchand comme les autres» (''Annexe 1 : Intervention de Pierre Viot, ancien directeur général du CNC à la réunion du Comité d'histoire du 13 novembre 1995'', pp.207-210).


David-Georges Picard
( Mis en ligne le 13/10/2015 )
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