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Ronald Reagan, Président ''comme si…'' | | | Françoise Coste Reagan Perrin 2015 / 25,90 € - 169.65 ffr. / 618 pages ISBN : 978-2-262-04812-9 FORMAT : 15,7 cm × 24,1 cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en Français Langue Étrangère à l'Université de Liège, Frédéric Saenen collabore comme critique à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France. Il est l'auteur de deux romans (La Danse de Pluton et Stay behind, Collection "Plumes du coq", Weyrich) et de deux essais (Dictionnaire du pamphlet en France et Pierre Drieu la Rochelle face à son uvre, Infolio) Imprimer
Il nest que justice davoir décerné à Françoise Coste le Grand Prix de la biographie pour la somme quelle a consacrée chez Perrin au parcours de Ronald Reagan.
Cet ouvrage dun peu plus de 600 pages serrées est dabord le fruit dun travail considérable de dépouillement darchives : journal intime et discours, fardes de documents émanant de ses plus étroits collaborateurs, auditions liées au scandale de lIran-Contra, dossiers de campagnes présidentielles, mémorandums et blocs-notes préparatoires aux réunions et aux sommets, bref, cest toute la «Ronald Reagan Presidential Library» quelle a compulsée ; et dans les sources secondaires, lon retrouvera, outre des titres portant sur la carrière de «Dutch» depuis ses origines, les essais nécessaires à la compréhension du courant conservateur aux États-Unis. Puis, le Reagan de Coste gageons que cest ainsi désormais que lon désignera la référence constitue une biographie politique exemplaire par sa rigueur documentaire autant que par la mise à distance objective quelle respecte. Une démarche pas toujours évidente lorsque lon ne partage pas la nationalité de son sujet détude, et qui consiste à comprendre avant de juger.
La thèse défendue par Françoise Coste tient en ces termes : Ronald Reagan naccéda au pouvoir et ne sy maintint avec autant de fermeté et de quant-à-soi que parce quil évolua dans un perpétuel déni de la réalité, du moins des faits, et ce jusquen ses derniers jours de fonction. Plus que quiconque, il fut convaincu du bien-fondé de ses actes, de ses choix, de ses décisions et de ses vues. Cet aveuglement fonda sa force ; et son incapacité rédhibitoire à se remettre en question le protégea des critiques comme des coups durs. Rien nabattit Reagan, chez qui sa mère enracina lidée que le plan préétabli au niveau divin, forcément identifiable au Bien, ne pouvait quêtre favorable à sa destinée.
Lhomme nétait pas fait pour les nuances, et lhumour que lon décèle aujourdhui dans ses formules nétait à lépoque que la traduction, version choc, de son regard sur le monde. Ainsi, quand il déclarait «Bon Dieu, suffit daller là-bas et de sy mettre sérieusement. On peut très bien détruire le Vietnam, le recouvrir dasphalte, peindre des lignes blanches dessus et le transformer en parking !» ou encore quand il résumait les hippies à des êtres vêtus comme tarzan, coiffés comme Jane et fleurant comme Cheeta
Des décennies durant, sa rhétorique rebondit en permanence sur les mêmes clichés, les mêmes statistiques infondées, les mêmes plaisanteries à deux cents. Il ny a donc pas à proprement parler de pensée chez Reagan, mais une vision idéologique rigide, manichéenne, fonctionnant sur des rejets basiques des maux, derrière lesquels se cache le Mal. Ainsi, lanti-fiscalisme et lanticommunisme furent les deux chevaux de bataille de cow-boy Ron ; le premier parce que ce fils dun fervent démocrate rongé par lalcoolisme crut comprendre, après y avoir adhéré, que le «wellfarisme» mis en uvre par Roosevelt créait un État injuste, exagérément dirigiste en matière socio-économique, et jaloux de la levée dimpôts toujours plus contraignants sous couleur de servir une collectivité gangrenée par des parasites. Le second, parce quaprès 1945, lennemi suprême de la Liberté individuelle était le fallacieux libérateur des peuples : le régime soviétique.
Mais il nest sans doute rien de plus complexe à saisir quun homme aussi monolithique. En effet, outre des valeurs, Reagan incarne le mouvement animant une certaine Amérique : la foi dans le progrès (celui en tout cas voulu par Dieu), loptimisme, et il faut ladmettre, une naïveté désarmante. Ladjectif prend dailleurs tout son sel lorsque lon se rend compte que, sans doute, avec un autre président que Reagan, la détente avec lURSS puis les pactes mutuels dabandons de missiles ne se seraient jamais scellés de la même façon. Bien sûr à coups de bourdes et dindélicatesses (Ronny adorait resservir ses vieilles blagues sur les Rouges à un Gorby exaspéré devant ce «dinosaure»), mais au service dune réelle foi en la paix, idéal que Reagan sétait fait un devoir moral datteindre.
Dès lors, ce que le personnage ne gagne pas en sympathie, il le récupère en étoffe et en humanité. Voilà un maître du monde quil ne fallait déranger sous aucun prétexte de sa sieste quotidienne, durât-elle quatre heures ; un puissant qui sextasiait devant les cadeaux de ses simples citoyens et répondait par une lettre personnelle et chaleureuse au moindre envoi dun ceinturon ; un Président qui préférait écouter son cur plutôt que ses «hommes» même si sans les fiches rédigées par ses équipiers, il eût été définitivement perdu.
Françoise Coste permet de suivre au petit trot lacteur dans sa chevauchée vers le gouvernorat de Californie en 1966, la victoire électorale contre Jimmy Carter en 1980, et le bureau ovale quil occupa jusquen 1988. À travers ce récit limpide à tous moments même lorsquil sagit denvisager des rouages économiques ou décisionnels particulièrement complexes , Françoise Coste nous permet de relire un pan entier de lhistoire des États-Unis, ponctué de crises majeures (la question noire, le Viêtnam, le Watergate, le Nicaragua) et où une figure vient sinsérer comme une nécessité. Reagan apparut comme lhomme providentiel, dont lindéfectible énergie positive allait galvaniser le corps national. Aux yeux de ses contemporains mêmes, ce succès participait dun mystère. Mélange détonant dambition, darrogance, de bon sens et de foi, Reagan incarna lAmérique dans ce quelle a de plus irritant et de plus fascinant.
Pour éviter que soublient ses (innombrables) erreurs dappréciation, ses (indéniables) lacunes intellectuelles, ses (souvent catastrophiques) bilans comptables, ses outrances, il y a désormais un livre. Pour découvrir les aspects touchants et sincères du personnage, pour mesurer lenvergure du mythe quil laisse, aussi
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 11/01/2016 ) Imprimer
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