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Guerre de mémoires
Rémi Dalisson   Guerre d'Algérie : l’impossible commémoration
Armand Colin 2018 /  24,90 € - 163.1 ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-200-61713-4
FORMAT : 15,3 cm × 23,5 cm

L’auteur du compte rendu : Anndal Narayanan a reçu son doctorat en histoire française contemporaine à l’Université de la Caroline du nord-Chapel Hill, aux États-Unis, en 2016. Son manuscrit, Home from the war with no name: the Algerian War veterans’ movement in France, sera publié en anglais par les Presses de l’Université du Nebraska. Ensuite, il compte le faire publier en français.
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. «Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé», nous rappelle l’écrivain américain William Faulkner. Un tel constat semble convenir à la France, pays de l’esprit critique, du «devoir de mémoire», et des guerres intestines. Dans son ouvrage ambitieux Guerre d’Algérie: l’impossible commémoration, Rémi Dalisson cherche à expliquer pourquoi ce fut si difficile d’insérer au «roman national» (Pierre Nora) la guerre d’Algérie (1954-1962), que l’État n’a reconnue officiellement comme telle qu’en 1999.

Rémi Dalisson, historien de la France des XIX-XXe siècles, et professeur à l’université/Espe de Rouen, s’appuie ici sur sa spécialisation dans la mémoire des guerres et les politiques commémoratives, mais aussi les rapports entre l’État, l’école et la citoyenneté. Il traite ici l’histoire de la commémoration de la guerre d’Algérie d’un regard clair, sans parti pris. En fait, enjambant l’histoire et la politique actuelle, il souligne que la «gestion mémorielle et commémorative de la guerre d’Algérie est [...] capitale pour la France» en ce début de XXIe siècle (p.274), puisque tous les débats mémoriaux se tournent autour des questions d’identité nationale, de l’histoire de la colonisation, et des valeurs républicaines.

Ce livre s’insère dans l’historiographie considérable de la mémoire de la guerre d’Algérie, qui s’est généralement développée en trois étapes. La première consiste principalement en des témoignages par des officiers français qui désiraient justifier leurs actions pendant la guerre. L’ouvrage du général Jacques Massu, La Vraie bataille d’Alger (1971), et celui du général Jacques Pâris de la Bollardière, Bataille d’Alger, bataille de l’homme (1972), figurent parmi les meilleurs exemples. La deuxième étape considérait plutôt la mémoire de la société française en général, comme La Gangrène et l’oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie (1989) de Benjamin Stora, ou l’anthologie dirigé par Jean-Pierre Rioux, La Guerre d’Algérie et les Français (1990).

Depuis les années 1990, des évolutions générationnelles, l’ouverture des archives algériennes, et la reconnaissance de l’état de guerre en Algérie ont déclenché une explosion de publications, produisant une troisième étape plus diversifiée. Appelés en Algérie : la parole confisquée de Claire Mauss-Copaux (1998), et Soldats en Algérie : expériences contrastées des hommes du contingent par Jean-Charles Jauffret (2000) traitent pour la première fois de manière historique la mémoire des anciens appelés. Les Héritiers du silence : Enfants d’appelés en Algérie de Florence Dossé (2012) analyse la transmission aux descendants. Beaucoup d’ouvrages récents ont traité les mémoires et les pratiques commémoratives des communautés harkis et pieds-noirs, comme celui de Claire Eldridge, From empire to exile: History and memory within the pied-noir and harki communities, 1962-2012 (2016), Decolonization and the French of Algeria: Bringing the Settler Colony Home par Sung-Eun Choi (2016), et la thèse doctorale de Laura Sims, Rethinking France’s “Memory Wars”: Harki and Pied-Noir Collective Memories in Fifth Republic France (2015).

Travaillant dans cette troisième vague, Rémi Dalisson est bien placé pour analyser les diverses pratiques commémoratives de tous les groupes touchés par la guerre d’Algérie. Il résume cette évolution des mémoires et les heurts ainsi : «Les protagonistes, engagés et appelés, harkis et pieds-noirs, ont subi de tels traumatismes que leurs mémoires restent longtemps enfouies en même temps qu’elles se radicalisent et s’opposent dès 1963» (p.269). Son projet est ambitieux mais bien défini : étudier le chemin vers une «mémoire nationale et officielle [...] du côté français» (p.8), de la guerre d’Algérie de 1945 - plusieurs historiens datent le début de la guerre d’Algérie avec les massacres à Sétif et Guelma – à aujourd’hui. Ce choix permet à l’auteur d’examiner l’emploi de pratiques commémoratives par les groupes distincts qui ont parcouru la guerre, mais aussi les efforts «d’en haut», de l’État, pour contraindre, canaliser, et républicaniser ces pratiques. Dans son analyse, Dalisson se sert habilement de nombreux types de sources : des archives du Service historique de l’armée de terre, des témoignages, des discours législatifs, des textes scolaires, des entretiens, et des journaux et sites internet créés par des associations de diverses communautés.

La structure de cet ouvrage offre à la fois une analyse des obstacles historiques posés à la commémoration de la guerre d’Algérie, et un tour de la question pendant les deux décennies passées. La première partie, «Les racines du problème commémoratif, 1945-1999», discute les mémoires extrêmement diverses des différents acteurs dans la guerre pour clarifier pourquoi une mémoire collective unifiée de la guerre d’Algérie sera impossible dès 1962. A l’époque où une reconnaissance officielle par l’État de cette «guerre sans nom» était impensable, mais où les groupes touchés par la guerre s’organisaient pour demander la reconnaissance de leurs épreuves, l’État n’était pas tout à fait silencieux, mais se servait d’une double politique commémorative : l’effacement des crimes par des amnisties, ce qui a ralenti la recherche historique, et la promotion d’une culture mémorielle sans reconnaissance officielle de l’état de guerre, tout en la républicanisant afin de normaliser le conflit dans le régime mémoriel français.

Dans la deuxième partie, «Les enjeux de la commémoration de la guerre d’Algérie, 1999 à nos jours», l’auteur débusque les séquelles de l’époque de non-reconnaissance officielle. Ici il démontre que les pratiques commémoratives développées avant la reconnaissance officielle ont permis à l’État de lancer une «ambitieuse politique commémorative» (p.167), une fois la guerre «entré[e] dans le domaine des événements historiques susceptibles d’être commémorés» (p.137). Mais Dalisson constate qu’il reste toujours des controverses, parce que la force des mémoires cultivées dans la période de la non-reconnaissance poussent certains à rejeter la commémoration du 19 mars (l’anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, institué par décret Journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie en 2012), ou celle du 5 décembre (Journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, instauré en 2003, premier anniversaire de l’inauguration du Mémorial du Quai Branly à Paris). Les refus de ces jours mémoriaux par d’importantes minorités continuent à produire des contre-manifestations, des gestes d’irrespect, et même parfois, de la violence.

Au moment où il écrit en 2018, l’auteur nous indique, «le bilan est donc négatif» (p.271) parce qu’une multiplicité de jours mémoriaux risquent de continuer la «guerre des mémoires». Mais, somme toute, la conclusion que nous offre Rémi Dalisson est modestement optimiste. Il constate que la majorité de l’opinion publique soutient la date du 19 mars pour commémorer la guerre, mais si les politiciens ne peuvent décider, il suggère que «rien n’empêche de choisir une autre date : j’opterais alors pour le 8 avril» (p.272), l’anniversaire du référendum en 1962 qui a approuvé massivement les Accords d’Évian. En outre, Dalisson se dit rassuré par l’enthousiasme à commémorer la guerre, exprimé par les jeunes générations, «qui sont les plus nombreuses sur le terrain, notamment dans les petites communes, lors du 19 mars ou des autres Journées mémorielles” (p.273). L’auteur comprend bien les liens essentiels entre la formation de la jeunesse et la citoyenneté : étant donné que la guerre d’Algérie est devenue synecdoque pour «toute la mémoire coloniale» (p.257), il trouve qu’il est de première importance de «bâtir une histoire partagée entre descendants des colonisés et des colonisateurs» (p.266).

Guerre d’Algérie : l’impossible commémoration est une étude importante et perspicace. Il s’agit d’un essai historique intéressant puisqu’il fait le pont entre un sujet historique - la construction d’une mémoire officielle nationale de la guerre d’Algérie - et la réception du sujet aujourd'hui. L’auteur s’approche de ce sujet polémique de manière claire et appaisée, en s’appuyant parfois sur sa spécialisation de la commémoration des guerres pour jouer le rôle de juge impartial. La structure chronologique du livre, bien que méthodique et complète, mène parfois à des lacunes, comme le manque de discussion sur l’activisme des appelés vers la reconnaissance de leur statut de combattant, qui a gagné le soutien politique d’importantes proportions du Sénat et de l’Assemblée nationale, de tous bords, vers la fin des années 1960, mais qui ne sera gagné qu’en 1974, sous le première régime présidentiel post-gaullien. Il est également possible que Dalisson traite parfois «l’État» de manière trop monolithique – il y eut de vraies différences entre les mandats de Charles de Gaulle, Pompidou, Giscard-d’Estaing, Mitterrand, et Chirac, y compris les mémoires personnelles de ces hommes politiques sur la guerre elle-même – ce qui a certainement influencé le déroulement de la politique commémorative de l’État.

Au final, ce livre bien argumenté donne à réfléchir sur des questions importantes et très actuelles. Dalisson nous offre l’espoir, «[p]lus que jamais dans la France post-attentats, en pleine crise des migrants et montée des populismes, quand l’idée démocratique recule», qu’il soit possible de «se rassembler autour d’une cérémonie symbolisant la mémoire de la guerre, mais aussi son décryptage historique» (p.272). Publié l’année du soixantième anniversaire de la Cinquième République, elle-même née de la guerre d’Algérie, ce livre sera capital non seulement pour les spécialistes de la guerre d’Algérie et de la commémoration des guerres plus largement, mais aussi pour des étudiants et des chercheurs désireux d’une introduction sur la mémoire de la guerre d’Algérie, l’évolution de la politique mémorielle de l’État, et les efforts commémoratifs poursuivis par les différents groupes touchés par la guerre jusqu’à nos jours.


Anndal Narayanan
( Mis en ligne le 20/02/2019 )
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