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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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Y a-t-il encore des catholiques ? | | | Denis Pelletier La Crise catholique - Religion, société, politique en France (1965-1978) Payot - Petite bibliothèque 2005 / 9 € - 58.95 ffr. / 330 pages ISBN : 2-228-90001-X FORMAT : 11x18 cm
Première publication en mars 2002 (Payot). Imprimer
On mesure encore imparfaitement lampleur du changement religieux survenu en France à la fin du XXe siècle. Quoi de commun en effet entre la spiritualité des années 50, encore largement dominée par un catholicisme socialement et politiquement influent, et la religiosité des années 2000, subordonnée à lépanouissement personnel des individus et marquée par la concurrence de diverses offres religieuses, souvent de nature sectaire ? Comment en est-on arrivé là, quelles évolutions ont conduit à ce profond bouleversement du paysage religieux français ?
Cest à ces questions que répond partiellement lhistorien Denis Pelletier dans cet ouvrage consacré à la crise du catholicisme français entre 1965 et 1978. Au cours de cette période, lEglise de France fut non seulement en proie à toutes sortes de conflits internes, mais vit aussi son influence politique et sociale se réduire comme peau de chagrin. Comme le démontre l'auteur, une forme historiquement datée du catholicisme arriva à épuisement, mais les efforts de renouvellement engagés par le clergé manquèrent de lui faire perdre tout contenu religieux. Il sen fallut de peu que le catholicisme ne disparût comme religion et ne se transformât en idéologie sécularisée.
Dès le milieu des années 60, les signes abondèrent de lentrée en crise du modèle catholique qui sétait constitué pendant lentre-deux-guerres : une crise des vocations atteignant des seuils alarmants, des mouvements daction catholique spécialisés par milieux sociaux (ouvriers, paysans, étudiants) ayant de moins en moins de prise sur une société en cours de recomposition autour dune vaste classe moyenne, sans compter le très mauvais accueil réservé par les fidèles aux novations liturgiques de Vatican II. De façon plus générale, un fossé dincompréhension commençait à se creuser entre une société française de plus en plus individualiste et consumériste, et un catholicisme perçu à tort ou à raison comme immobile.
Face à ces symptômes de crise, les réactions ne manquèrent pas au sein de lEglise. Une idée gouverna de multiples tentatives de réforme : il fallait réconcilier linstitution ecclésiale avec son temps. Les prêtres du groupe « Echanges et dialogues » essayèrent de repenser les conditions du sacerdoce, sans exclure le travail ni le mariage des serviteurs de Dieu. La communauté cistercienne de Boquen imagina des modes de participation plus diversifiés des fidèles à la vie spirituelle de lEglise. Clercs et laïcs conçurent de nouvelles formes dengagement politique et firent souvent un détour prolongé par le gauchisme.
Ces diverses tentatives de transformation se heurtèrent très vite à une difficulté de fond : à force dêtre subordonné aux exigences du siècle, le catholicisme risquait de se couper de la tradition et de voir son message religieux se diluer dans une culture ambiante matérialiste, quelle fût marxiste ou consumériste. Le christianisme des militants catholiques du début des années 70 avait en effet perdu toute dimension religieuse et tendait à se muer en simple idéologie politique.
Ce fut pour parer à ce risque de sécularisation que les évêques français reprirent en main leur clergé, sans interrompre toutefois le cours des réformes pastorales engagées depuis Vatican II. Les prélats eurent le souci de restaurer la primauté dun engagement spirituel fondé sur une tradition chrétienne revisitée mais inaccessible aux sirènes du siècle. A lorigine de la dérive séculière du catholicisme, se trouvait, selon lépiscopat, la subordination du message chrétien aux intérêts politiques, notamment révolutionnaires. Il convenait donc que la foi cessât de déterminer les engagements politiques des catholiques. Par la déclaration du 28 octobre 1972, par laquelle ils reconnaissaient les vertus du pluralisme dans lespace public, les prélats invitèrent tacitement les catholiques à ne plus sengager en politique au nom de leur foi et à dissocier les sphères religieuses et politiques. Dans cette perspective, lEglise dut aussi renoncer à agir sur son temps par des moyens politiques et sociaux. En 1975, les évêques réunis à Lourdes mirent un terme à lexpérience pourtant ancienne de lAction catholique.
Ce retour à lordre nempêcha pas pour autant le catholicisme de participer à la recomposition des croyances à luvre dans la société sur un modèle plus attentif à la subjectivité et à lémotion religieuse. Le Renouveau charismatique séduisit dès le milieu des années 70 des chrétiens désireux de sépanouir au moyen de leur foi, en faisant lexpérience sensible de la présence de lEsprit Saint. La nouvelle religiosité catholique fut aussi marquée par le goût très prononcé des fidèles pour les rassemblements de masse, où lon éprouvait le bonheur de vivre ensemble sa foi. Les jeunes catholiques furent nombreux à participer aux cérémonies cuméniques et conviviales organisées par les frères protestants et catholiques de la communauté de Taizé.
On nattendra pas du livre de Denis Pelletier quil fournisse des conclusions définitives sur la crise catholique des années 60 et 70. Les travaux universitaires sur le sujet sont encore rares, le temps des synthèses nest pas encore venu. Mais son essai donne une bonne idée des recherches en cours et des friches historiques encore à cultiver sur la crise catholique (comme lépineuse question de la réception du Concile de Vatican II par lopinion chrétienne). On regrettera toutefois que lhistorien utilise sans beaucoup de précaution le concept pourtant très délicat et discuté en sciences sociales de « sécularisation ». Si celui-ci est utilisé à tort et à travers par Marcel Gauchet, le philosophe allemand Hans Blumenberg a démontré dans La Légitimité des Temps Modernes (Gallimard, 1999) que cette notion navait aucune valeur scientifique, dans la mesure où elle ne recouvrait pas un déclin identifiable, au cours de lhistoire, dun sentiment religieux enclin au contraire à de constantes résurrections comme à dincessantes métamorphoses.
Ainsi, il paraît difficile de suivre Denis Pelletier quand celui-ci affirme que la crise catholique des années 60 et 70 constitue lultime épisode en date du lent processus de sécularisation qui serait à l'oeuvre dans la société française depuis le XVIIIe siècle. Et lon ne peut manquer de sétonner quil semble considérer comme radicalement nouvelle la volonté des chrétiens des années 70 de faire servir à leur croyance des intérêts politiques révolutionnaires. A vrai dire, la tendance à mettre la foi au service dun idéal révolutionnaire sécularisé, quitte à faire courir au message chrétien le risque de se muer en simple idéologie politique, est une orientation récurrente du christianisme. Que lon songe aux mouvements joachimites des XIIIe et XIVe siècles ou, dans une moindre mesure, au jansénisme populaire français des années 1780.
Roland Pintat ( Mis en ligne le 07/07/2005 ) Imprimer
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