|
Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
| |
Pour la dignité du politique : le mendésisme ou la poursuite d’une exigence | | | François Stasse L'Héritage de Mendès France - Une éthique de la République Seuil 2004 / 16 € - 104.8 ffr. / 152 pages ISBN : 2-02-029865-1 FORMAT : 14x20 cm
L'auteur du compte rendu: Perrine Cayron, après une hypokhâgne et une khâgne en Lettres classiques, a poursuivi son cursus en histoire. Elle est l'auteur d'un mémoire de maîtrise sur Jacob et sa maison aux temps carolingiens, sous la direction d'Yves Sassier. Elle est actuellement enseignante. Imprimer
«Dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus qui est la vertu. Je parle ici de la vertu politique qui est la vertu morale dans le sens quelle se dirige au bien général.»
Montesquieu, De lesprit des lois, III.
Le présent ouvrage est non pas consacré à la biographie dun homme mais à lhéritage politique quil a transmis et que lon peut retrouver, ou justement ne pas retrouver dans le paysage politique actuel. Il sagit de la recension et lanalyse de valeurs politiques dun homme qui fut un «penseur de la cité» en son temps, un philosophe, un avocat, un spécialiste des questions économiques et financières et avant toute chose, un homme daction. Un homme, et même un «personnage» dont la «stature morale» importe plus au final que son bilan gouvernemental pourtant imposant. On notera demblée la fascination distancée et non dissimulée pour le sujet de la part de lauteur qui sest fait spécialiste de «PMF» (François Stasse fut directeur de la publication des uvres complètes de Pierre Mendès France en 6 volumes chez Gallimard et auteur dun ouvrage : La Morale de lhistoire : Mitterrand-Mendès France 1943-1982, Seuil, 1994).
Le parcours de cet homme est marqué par la précocité et lexcellence : cursus à lInstitut des Sciences Politiques de Paris, avocat, député dès 1932 (il a alors 25 ans), maire, ministre à 31 ans, Président du Conseil. Qui plus est, cest un itinéraire politique émaillé de combats pour la liberté, la justice, la démocratie, bref les valeurs cardinales de la République. Sa mort, le 18 octobre 1982 consacre sa place dans le panthéon républicain français. En effet, le legs dun homme politique ni même dun homme dEtat ne se mesure pas à laune de ses réalisations gouvernementales, il faut aussi faire entrer en ligne de compte «la noblesse de ses idées, la cohérence de ses propositions, la justesse de ses combats». (p.18) En son temps et encore aujourdhui, Mendès France incarnait une autre vision de la politique, une autre façon de faire de la politique. Son message si singulier et peut-être unique dans le XXe siècle français est que la dignité du politique «est le socle de léthique républicaine» (p.18). En effet, sa spécificité rare réside en la volonté de réconcilier morale et politique. Lui-même nappréciait guère le terme de «mendésisme» car il craignait limmobilisme de la doctrine, lui qui était un philosophe de laction politique. Il ny a quà observer pour cela le nombre de dossiers anciens et épineux qui furent réglé par le chef du gouvernement en seulement sept mois et demi de législature.
Un intérêt particulier est porté par lauteur de louvrage au vocabulaire utilisé par Mendès France ; il sagit non pas dun vocabulaire politique mais philosophique et plus spécifiquement kantien. Pour définir le cadre nécessaire de laction politique, Mendès France parle de règles morales et de vérité. Ces notions sinscrivent dans la tradition kantienne selon laquelle la fin ne justifie pas les moyens et, justement, le mendésisme na pas de fin car ce «nest pas un messianisme» (p.24). Parce que, pour Pierre Mendès France, la justesse du combat politique est inséparable de la dignité de ses méthodes, nous pouvons affirmer avec François Stasse que le mendésisme «nest pas une politique mais une forme de gouvernement» (p.28). En répondant à limpératif moral et à limpératif de méthode quil sest fixé comme préalable à toute action politique, Pierre Mendès France affirme que le but du politique est la qualité du vivre ensemble. Devant tant dexigences et face à la primauté de ces principes, la carrière de Mendès France a été pénalisée ; à plusieurs reprises en effet, il a préféré renoncer à des fonctions éminentes plutôt que de trahir des convictions fondamentales. Au sein dun univers politique traversé dambitions personnelles et de plans de carrières, il apparut comme «létranger du siècle passé» (p.36).
Parmi les certitudes qui lanimaient figuraient en bonne place la croyance en un rôle du citoyen et celle en la perfectibilité de la société. Combinées aux exigences éthiques déjà mentionnées, ces convictions nourrissaient sa volonté de rendre le combat politique noble et digne car il est le lieu où la collectivité politique choisit son destin. Cette foi immense en la figure du citoyen et en son rôle sexplique par la force de la signification conférée par Mendès France lui-même à la notion : le citoyen est lunique source de légitimité du pouvoir politique, il est lacteur central de la vie démocratique et enfin, il est «lincarnation du principe de responsabilité» (p.41). Par linsistance de son discours sur la nécessité de lengagement politique et social, Pierre Mendès France était un partisan du vote obligatoire avec pénalité à légard des «déserteurs du devoir civique». Une telle position relevait de sa conception contractuelle de la démocratie, lui qui avait tant critiqué les institutions de la Ve République et le régime présidentiel quelles avaient contribué à pérenniser, lui pour qui la rigueur intellectuelle, le souci de vérité (et non pas de transparence comme on peut partout lentendre aujourdhui), la représentativité des électeurs et des citoyens, lengagement, le civisme étaient des conditions nécessaires et suffisantes à lamélioration de la démocratie et de la République, cadres optimums du bien vivre ensemble.
Une idée de léthique républicaine faite de «respect intransigeant», de «lambition dune démocratie généralisée» et de «la volonté du citoyen de rester maître de son destin» : cette analyse fine et soignée du contenu de la doctrine de celui qui fut «une conscience de la République» pousse aussi ses conclusions sur les aspects qui pourraient constituer aujourdhui une ligne politique pour lavenir.
Perrine Cayron ( Mis en ligne le 03/03/2004 ) Imprimer | | |
|
|
|
|